Santé — Montpellier

Accès aux soins : vers la mort de la médecine libérale ?

“La difficulté d'accès aux soins c'est 86 % du territoire, donc ce ne sont pas que les petits villages reculés”, annonce Vanessa Poggi, médecin généraliste à Juvignac et membre du collectif Resist’34. Le groupe réunit près de 500 médecins libéraux en Occitanie, dont 330 dans l’Hérault. L’objectif ? Créer une solidarité face à une politique de santé de moins en moins lisible et aux difficultés spécifiques de la médecine libérale.

La part de la médecine libérale

Sur la problématique de l’offre de soin, l’hôpital public est souvent cité en illustration d’un système qui arrive à saturation. Pourtant, “en tant que médecins libéraux, généralistes, on traite 90% des demandes de santé”, rappelle Vanessa Poggi, qui reçoit pour sa part 1 500 patients à l’année. Une patientèle importante, surtout au moment du départ du médecin : “Entre décembre et avril, nous avons deux collègues qui partent. Donc on va passer  de 10 à 8 médecins pour 12 000 patients. Nos patientèles sont déjà complètes, et ni moi ni mes confrères et consœurs ne pourront absorber ces patients”, alerte la généraliste.

“Médecin, pourquoi personne ne veut le faire ?”

L’installation des jeunes médecins est une première réponse pour augmenter l’offre de soins. Encore faut-il qu’il y ait suffisamment d’installations. Une pénurie qui s’explique doublement. D’un côté, la sélection plus sévère en médecine, au numerus clausus, réduit le nombre d’étudiants formés. De l’autre, les diplômés sont réticents à s’installer en libéral. Les jeunes ne s’installent plus en libéral, pourquoi? Parce qu’ils voient bien qu’on galère, il y a pas d’autres mots. Ils n’ont plus envie d’être obligés de gérer une entreprise avec des fonds limités car il n’y a pas de revalorisation, alors que les charges augmentent, explique Vanessa Poggi. Je me pose la question du manque d’installation de jeunes. Il y a trois grandes qualités à être médecin : on gagne bien sa vie, c’est intellectuellement très intéressant, et c’est bien vu par la population. Pourquoi personne ne veut le faire ? Parfois, financièrement et au niveau de notre santé mentale, on se dit qu’il vaudrait mieux faire autre chose”.

Les nouvelles attentes des médecins

Surtout, les attentes des médecins ont évolué avec leur situation. “On n’est plus comme les anciens médecins. Il y a 30 ans, il n’y avait pas la même problématique d’accès aux soins, affirme Vanessa Poggi. Ils étaient très nombreux, il fallait qu’ils travaillent donc ils ouvraient leurs horaires. Nous, on travaille beaucoup plus sur la journée. Moi j’ouvre à 8 h et je finis à 20 h, pratiquement tous les jours, et j’ouvre un samedi sur deux. Je suis aussi une mère de famille, j’ai envie de voir ma famille mais je travaille 50 h par semaine quand même. Ce n’est pas rien et je pense qu’on est beaucoup à travailler comme ça. Des médecins qui travaillent 20 h ou 30 h par semaine, je n’en vois pas moi”.

Gagner ou prendre du temps

L’autre axe d’action pour libérer du temps médical consiste à alléger le quotidien des médecins déjà en place. Par exemple, en régulant une sollicitation particulièrement chronophage : la délivrance de certificats médicaux. Vanessa Poggi l’affirme, “des certificats dont on pourrait se passer, ça nous arrive tous les jours, pour justifier l’absentéisme scolaire notamment, pour des remboursements de cantine, mais ce n’est pas à la Sécurité sociale d’absorber ces coûts, sur du temps de consultation”.

La multiplication des demandes affaiblit la valeur des certificats médicaux. Ainsi, pour la généraliste, pas question de le supprimer complètement.“Il faut le maintenir pour les sports à risque, par exemple, il doit apporter une plus-value médicale si on le demande. Si ça ne l’est pas, c’est qu’il faut s’en débarrasser”.

L’économie du temps a néanmoins ses limites. “Il n’y a que 24 h dans une journée, et ma consultation est d’au moins 20 minutes. J’attache beaucoup de temps au dialogue avec le patient. Ça déborde souvent parce que je fais aussi beaucoup de psychothérapie. C’est très important, c’est vraiment le rôle du médecin de famille de connaître le patient dans sa globalité, pour le diagnostic et l’orientation de la prise en charge. Un médecin qui ne connaît pas son patient, n’aura pas cet éclairage”. 

La téléconsultation, médecine d’avenir ?

En effet, pour tenter d’optimiser le temps médical, de nouvelles pratiques se développent.“L’autorisation des téléconsultations sauvages alors là c’est la grande mode, soupire Vanessa Poggi. Récemment, il a été question de télécabines dans les gares en 2025. Il y en a déjà pas mal dans les pharmacies”.

Une solution efficace pour faciliter l’accès aux soins ? Pas vraiment pour la généraliste. “ Comment cela se passe ? Les médecins sont très bien payés, mais pour faire de l’abattage. Ils proposent 6 consultations par heure. Ils répondent à une demande unique, simple : un Doliprane, un mal de gorge… Pour toutes les choses difficiles, soit ils prennent des risques  pour eux, parce que  comment examiner convenablement le patient via une caméra. Soit ils vont répondre à moitié à la demande et renvoyer chez le médecin habituel. Finalement on en revient au même et ça coûte une fortune à la société”, s’indigne la médecin.

Car la télémédecine a un coût plus élevé. “Le samedi à partir de midi, ils s’autorisent à facturer des consultations d’urgence/ de weekend à 49 € au lieu de 25 € . Le soir, à partir de 20h, c’est 60 €, qui sont donc facturés à la sécurité sociale. Au lieu de 25 € ”.

“La médecine de qualité, ça ne peut pas être une médecine de rendement”

Une évolution des pratiques vers la privatisation de la médecine, qui serait déjà en cours : “On a déjà des plateformes privées qui se développent pour le remplacement médical.  L’an dernier j’ai dû payer pour obtenir une liste de remplaçants”, s’étonne Vanessa Poggi.

Alors, peut-on parler d’ubérisation de la médecine ? Et, là aussi, le salariat serait-il une solution ? L’hypothèse est peu réaliste pour Vanessa Poggi : “Dans des territoires en difficultés, on nous propose d’être médecin salarié dans des centres de santé. Sur le papier, c’est magnifique ! 6 000 euros par mois pour 35 h par semaine, avec trois secrétaires. Mais combien ça coûte à l’Etat ? Le médecin salarié voit 1 700 patients par an en moyenne pour 35 h. Nous, médecins libéraux, on en voit 5000, parce qu’on fait 50 h, pour le même prix. Ce n’est pas une solution viable à terme”.

Le risque ? “Il va alors falloir donner du rendement et la médecine de qualité, ça ne peut pas être une médecine de rendement , avec des dispensaires d’État comme en  Angleterre où les délais de prise en charge sont très allongés alors que la situation est déjà critique”.

Revalorisation de la rémunération et du statut

La meilleure solution pour l’accès aux soins serait ainsi de garantir en premier lieu  le statut du médecin libéral. Qui passe nécessairement par une revalorisation.

“On peut pas rester décemment à 26,50 € après une revalorisation de 1,50 € ! Ce n’est plus possible ! Malheureusement le coût de la vie augmente pour tous, chez les médecins libéraux aussi, déplore Vanessa Poggi.

Une reconnaissance du statut nécessaire, pour celui qui est le  “coordinateur global d’un patient”, afin de valoriser l’ensemble des petites actions : mails et coups de fils aux patients, analyse des bilans…

Vers l’économie de la santé ?

Pour quel financement ? “ Dans le collectif, on est plutôt tous d’avis de maintenir une convention juste pour tous. La revalorisation tarifaire? Elle est indispensable, maintenant comment partager ça entre les mutuelles et l’Etat, c’est difficile à déterminer”. Une chose est sûre : “l’État veut faire des économies sur tout. Je ne sais pas si on peut faire des économies sur la santé des gens”, conclut Vanessa Poggi.

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