Art : "Le Grand Imaginarium" sous les projecteurs à Lunel / Interview de Philippe Loubat

A Lunel, l’Espace Louis-Feuillade accueille les tableaux du Lunellois Philippe Loubat du 23 mars au 13 mai 2018, à l’occasion de sa troisième exposition personnelle dans cette ancienne chapelle désacralisée dédiée à l’art. Le peintre y présente sa toute nouvelle série, intitulée "Le Grand Imaginarium", ainsi que des œuvres récentes et des créations des cinq dernières années. Au total, une cinquantaine de tableaux figurent aux cimaises. Interview…

Pourquoi le cirque, les forains, ce milieu bohème ? Qu’est-ce qui vous fascine en lui, pour que vous le traitiez en peinture pour la seconde fois ? Le rapprochez-vous de la vie d’artiste ?

« Je ne suis pas sûr que ce soit du cirque que je parle. Peut-être qu’à la façon de Magritte, j’aurais dû appeler l’expo Ceci n’est pas un cirque. Surtout qu’on peut dire que je suis un piètre spectateur du cirque. J’ai vu peu de représentations. J’ai croisé pourtant des merveilles, Alexandre Romanès… Je suis surtout fasciné par son potentiel symbolique. Le cirque ne triche pas ; c’est sans doute curieux de dire ça, tant il y a d’artifices dans le cirque. Pourtant, je le ressens comme une scène d’humilité, de vie, de vérité, de lumières et de toutes les merveilles. Un théâtre de l’humanité. Je l’utilise ici comme un prétexte pour mettre en scène les sentiments et les relations humaines. »

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“Une saveur d’extase”.

Sur les plans stylistique et thématique, cette série présente plusieurs nouveautés (transparence des couleurs, qui sont plus fondues, réseaux de lignes au Posca, hommes en relation ensemble)…

« La transparence provient du désir que la création s’attache moins à l’objet, et que le regard traverse. Partir toujours vers plus de profondeur. Une toile n’est pas une tapisserie, mais une fenêtre sur des possibles proposés. Dans la réalité, rien n’est jamais net et tranché. Tout bouge, ondule et change en permanence d’éclairage. Les choses sont là, puis n’y sont plus. D’où cette envie de transparence. Les réseaux Posca, nuancés, sont les artères, les veines, les fluides de communication.

Ma peinture a toujours été liée à la relation à l’autre. J’ai beaucoup peint le couple. Ou plutôt, l’association féminin/masculin. Comme un équilibre, une harmonie, un tout. Cette fois, même si je l’ai déjà fait, j’aborde un peu plus la relation du masculin au masculin. Avec, parfois, ses contrastes et ses complicités. Dans la toile Purple ring, on est à la fois dans un combat et une amitié. Une force qui s‘empoigne et se respecte. Mes acrobates sont dans une lutte, pourtant circulaire, harmonieuse et complice. »

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“Purple Ring”.

Votre style a évolué depuis un certain temps (formes moins géométriques, plus libres, personnages moins ronds, traitement de la couleur différent…). Pouvez-vous expliquer en quoi et pourquoi ?

« Dans la première partie de mon œuvre, j’avais, il me semble, le besoin de poser avec force et architecture un univers. C’était une fondation. En vieillissant, les chemins de la vie m’ont montré que la réalité n’est pas si nette. Elle est changeante, fluctuante, multiple. Mobile, et différente selon les points de vue. Je m’attache donc, depuis quelque temps, à ajuster mon écriture à mon nouveau regard sur la vie. »

Votre palette s’est transformée en quelques mois, passant du brun au bleu et au rose, voire au multicolore… A quoi cela correspond-il ?

« Les palettes sont comme les saisons, elles alternent… Il n’y a pas vraiment de cohérence. Certes, à l’automne, j’étais dans les bruns. On pourrait dire que c’était de saison. Mais maintenant, en hiver, je suis dans les couleurs flamboyantes. Allez comprendre ! J’ai des cycles, comme ça. De la même façon, parfois je peins des toiles pleines de détails et, dans la série suivante, j’épure. J’ai toujours besoin de renouveler et redécouvrir en changeant. »

Votre palette chromatique actuelle évoque la gourmandise, les pâtisseries élaborées… Elle met l’eau à la bouche. Peut-on dire que vous peignez comme vous cuisineriez ?

« Absolument. Je cuisine, je peins. C’est une des raisons pour lesquelles je tiens à peindre à l’intérieur de mon cadre de vie. Je n’aime pas trop sortir de chez moi pour aller dans un atelier. Je peux ainsi peindre et à la fois faire mijoter et inventer des plats. C’est un tout et c’est indissociable. Je peins, je cuisine, je vis, j’aime… Bref, j’existe. »

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“Tandem”.

Il y a des constantes dans vos tableaux (mouvement et instants suspendus, célébration du couple, convivialité, musique, reprise à votre façon d’œuvres de l’histoire de l’art…).

« J’aime beaucoup les histoires. J’aime en vivre, et j’aime que l’on m’en raconte. Je lis beaucoup, mais j’ai aussi beaucoup regardé la vie à travers les œuvres d’art. D’où mon plaisir à réinterpréter une toile de l’histoire de l’art. Cette scène, je l’ai vécue, ou plutôt j’en ai été le témoin le jour où j’ai observé cette œuvre. Du coup, j’ai forcément envie de la raconter à ma manière. Raconter, voilà. C’est ça qui est passionnant. Raconter et transmettre, transformer et faire exister la réalité. Dans le film L’imaginarium du docteur Parnassus, de Terry Gilliam, un des personnages dit que la réalité n’existe que parce qu’on la raconte. Voilà, c’est ça. »

Une joyeuse fantaisie caractérise vos créations depuis toujours.

« Oui, depuis toujours et sans doute pour toujours. J’ai remarqué très tôt que beaucoup racontent l’horreur et la tristesse de la condition humaine. Je les ai bien entendus et je les entends encore, enfin le moins possible. Et je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, mais qu’il fallait contrebalancer. Alors, j’ai décidé de remplir le récipient du positif. »

Un tourbillon de sentiments aussi…

« Les sentiments sont ce qui me fait me sentir exister. Je suis issu d’une famille très nombreuse. Aux réunions de famille, c’était toujours des éclats de voix et de sentiments. Comme beaucoup de familles du Sud. »

Vos personnages masculins semblent légèrement autobiographiques, comme s’ils reflétaient vos états d’âme. Emmagasinez-vous les images de votre vie ou celles que vous croisez comme un photographe intérieur, avant de les retranscrire en peinture ?

« Oui, j’emmagasine tout ce que je vois, tout ce que je vis. Sans y mettre aucune étiquette et sans chercher à les analyser. Je les laisse doucement, inconsciemment évoluer, un peu comme du compost. Sans y penser. Cela deviendra le terreau qui fera fleurir l’imaginaire dans les toiles. Du coup, c’est forcément autobiographique. Je suis comme un explorateur des sentiments qui revient de voyage et qui raconte dans ses toiles ses aventures des sentiments. »

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“Les acrobates du ciel d’azur”.

Quelle est votre perception du monde ? On a la sensation, en voyant vos tableaux, que vous poétisez la réalité, que vous l’adoucissez…

« On crée tous ensemble la réalité. Les médias veulent nous créer une réalité de peur, d’angoisse, de haine et d’horreur. Mais tout ça n’est qu’un consensus. La réalité peut tout à fait être différente, si nous le souhaitons. Elle peut être romantique, poétique, si on en a envie. Je choisis d’apporter mon eau au moulin qui crée ce type de réalité. »

Vos personnages semblent souvent flotter. Que signifie cette apesanteur ?

« Je crois qu’ils n’ont pas de pesanteur parce que je peins plus leur âme que leur enveloppe corporelle. »

Comment et quand décidez-vous de débuter et d’arrêter une série ? Est-ce un choix ou est-ce que ça vient naturellement ?

« Je ne décide jamais. C’est une magie. Je n’ai absolument aucun contrôle. J’aime que la peinture me surprenne ; c’est elle qui me raconte ; je ne fais que regarder. Je me laisse faire et j’aime ça. »

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“Le Carrousel du bonheur”.

A Lunel, aux côtés des œuvres créées en 2017-2018, le public pourra en admirer d’autres réalisées ces cinq dernières années. Comment les avez-vous sélectionnées ?

« Une exposition est avant tout, pour moi, un grand spectacle. Et d’autant plus L’Imaginarium ! Je l’envisage comme un metteur en scène qui dirige ses acteurs, ses toiles. Je m’imagine avec le porte-voix : « Non, un peu plus à gauche. De l’émotion s’il vous plaît ! Maquilleuse, une retouche sur l’actrice. Eclairagiste, intensifiez la lumière ». Je les sélectionne par résonances. Il faut encore une fois que le spectateur rentre dans une histoire. Et que chaque plan (toile) le happe un peu plus dans la magie. C’est un cheminement. J’y raconte un monde qui, de salle en salle, laisse découvrir toutes ses facettes. »

Pourquoi avoir appelé cette exposition « Le Grand Imaginarium » ?

« C’est un hommage à Terry Gilliam. J’ai toujours été friand de culture anglaise. Son goût du « nonsense », son merveilleux imaginaire. Dans le film L’imaginarium du docteur Parnassus, de Gilliam, il est dit :  « Quel est le prix que vous pouvez mettre sur vos rêves ? ». C’est une chose qui me touche, de façon irrationnelle. L’Imaginarium est comme une grande fête foraine où tout se mélange, se crée et se transforme en permanence. Un lieu de tous les possibles et de toutes les vérités. Mais posées l’air de rien, pour qui veut les voir. »

loubat chapiteau univers“Le chapiteau de l’univers qui s’éveille”.

Vous faites souvent référence à certains réalisateurs et écrivains qui ont des « mondes » bien affirmés, comme Terry Gilliam, Tim Burton, Haruki Murakami, Federico Fellini… Qu’est-ce qui vous inspire dans leurs univers ?

« Ils me nourrissent et sont mes meilleurs amis. Ce sont mes complices. Avec eux, je ne me sens jamais seul.Dans la vie, un jour, vous vous retrouvez devant quelqu’un et instantanément, vous vous dites : « Celui-là, celle-là, fait partie de ma bande ». Et c’est pour la vie. De près ou de loin. Eh bien eux, dès que je les ai croisés, j’étais comme à la maison. On parle le même langage. Ils m’accompagnent. Ils disent tous la vérité ; celle que beaucoup ne veulent pas voir. Et ils le font avec pirouette. Ils ont tous un monde fait de beaucoup d’images et d’allégories. Fellini sublime la vie. La première fois que j’ai vu son Casanova, j’avais les larmes aux yeux. Incroyablement beau. Et Fellini, c’est bien sûr la culture latine, ma culture, mais c’est surtout tellement humain. Murakami est envoûtant. Chaque livre est un grand voyage. Au-delà de tous les concepts. Quand j’ai ouvert Kafka sur le rivage, j’osais à peine tourner les pages, tant j’ai tout de suite senti que j’avais entre les mains un immense livre. Je sentais déjà le lien. Comme quelque chose de sacré. Et je n’ai pas été déçu. J’y ajouterai Philip K. Dick. Un magicien-voyant extraordinaire des concepts de réalité. Burton et Gilliam ont cette folie romantique. Et un regard d’une grande conscience sur le monde. Ils sont tous improbables et déconcertants. A propos d’improbable, en voilà un autre que j’affectionne : Oscar Wilde. »

Aimez-vous aller dans les expositions regarder les tableaux de vos contemporains, ou dans les musées pour admirer des tableaux anciens ? Si oui, lesquels vous touchent ?

« Il y en a en tout cas un qui me vient immédiatement à l’esprit ; je le suis depuis les années 80. Il n’a jamais fini de me surprendre. J’ai vu sa dernière grande exposition l’année dernière en Avignon. Il m’a époustouflé ! Une force impressionnante de créativité et d’imaginaire ; il y a une énorme sincérité dans son travail : Robert Combas est éblouissant ! Ensuite, il y a Gérard Garouste. L’homme, déjà. Plein d’humilité. Un puits de connaissances. Une œuvre en équilibre entre la folie et le mystique. Passionnant ! Et d’autres, encore et encore. Oui, j’adore l’art et je m’en délecte. »

 

Informations pratiques

Espace Feuillade – 48, bd Lafayette – 34400 Lunel.
> Exposition visible du mardi au samedi de 9h à 12h et de 14h à 18h. Le dimanche de 10h à 12h et de 15h à 18h. Fermé les lundis et jours fériés.

Contact : loubat@loubatland.com / Tel : 06 11 42 46 69.
> Site Internet : www.loubatland.com
> Page Facebook : www.facebook.com/loubat.philippe/

 

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