Association pour la Mémoire du Camp d’Agde « Ils sont passés par le Camp »
Comme annoncé le mois dernier, nous évoquons aujourd’hui les artistes catalans qui ont laissé…
Comme annoncé le mois dernier, nous évoquons aujourd’hui les artistes catalans qui ont laissé trace de leur passage dans notre patrimoine local.
Trois artistes Catalans pour une Salle des Mariages
Tout a commencé au cours de l’été 1939. La vie au Camp d’Agde s’est organisée pour les réfugiés Républicains espagnols arrivés progressivement depuis le mois de février. Même si le règlement du Camp prévoit des journées rythmées par des horaires fixes (hymne au drapeau tricolore, désignation du personnel de corvée, repas, lessives, visites au parloir, défilé le dimanche soir…) les réfugiés ont beaucoup de temps libre. Pour tromper l’ennui ils organisent des activités sportives, ludiques et culturelles. C’est ainsi que durant l’été, les artistes du Camp organisent une exposition artistique au cours de laquelle le peintre Cadena, le ferronnier d’art Clavell et le sculpteur Tarrac sont remarqués pour la qualité de leurs travaux. Sur demande de la municipalité ils acceptent de mettre leur talent au service de la ville d’Agde. La commande qui leur est proposée les met en joie : ils ont carte blanche pour décorer la salle des Mariages de l’Hôtel de Ville. Située au premier étage d’un superbe bâtiment de style renaissance dans le centre-ville, la salle est très grande et très bien éclairée grâce à de grandes fenêtres à meneaux. Ils vont pouvoir laisser libre cours à leur imagination et à leur sens artistique….et échapper ainsi pendant quelques temps à la lourdeur de leur environnement carcéral.
Chacun dans son domaine, ils se mettent au travail et s’attachent à l’embellissement de la salle. Voici les portraits de ces artistes et les œuvres qu’ils ont réalisées.
L’artiste peintre Peire Cadena (1906 – 1974) a réalisé avant la guerre les pavés de la Chapelle San Jordi de la Generalitat et ceux des escaliers du jardin de la Casa de Caritat à Bacelone ainsi que les vitraux de la Cathédrale de Majorque. Durant la guerre d’Espagne il s’engage du côté des Républicains et fait partie d’un groupe qui réalise des affiches de propagande. Après la défaite il s’exile en France et se retrouve au Camp d’Argelès, puis au Camp d’Agde. Pour réaliser les peintures il s’entoure de deux assistants, les peintres Barba et Sola qu’il choisit parmi ses compatriotes du Camp. Il organise et réalise un programme iconographique pour lequel il va puiser l’inspiration dans le riche passé historique de notre ville : sur le plus grand mur de la salle il va peindre un immense panneau central dans lequel il relate de façon allégorique la fondation de l’antique Agathé Tyché par les phocéens. Telle Vénus sortant des eaux, la ville d’Agde est personnifiée par une déesse entourée de marins Grecs portant des amphores et de personnages occupés à des travaux agricoles rappelant l’importation par les Grecs des cultures méditerranéennes que sont la vigne, le blé et l’olivier. Cette œuvre est aussi un clin d’œil au célèbre tableau de Botticelli « La naissance de Vénus ».
Pour les panneaux entourant les grandes fenêtres, Cadena a choisi de rendre hommage au Corsaire Claude Terrisse, illustre agathois, et de représenter des personnages rappelant la mythologie mais aussi les coutumes et le folklore agathois: costumes, armoiries, pêche, vendanges… tout ce qui compose la vie des Agathois de l’époque se retrouve sur ces panneaux.
Après la guerre il s’installe définitivement à Clermont l’Hérault et continue son travail d’artiste à Béziers avec la décoration de la salle de l’association culturelle « La Colonie Espagnole », la réalisation de décors pour le Théâtre et pour divers cafés ou salles de spectacle. Il ira même en Suisse près du Lac Majeur pour réaliser les décors d’une chapelle. De nombreuses familles d’Agde et du département possèdent quelques unes de ses œuvres.
Le ferronnier d’Art, Antoni Clavell (1902-1981), s’est retrouvé au camp d’Agde à 37 ans avec sa femme et ses quatre enfants. Remarqué notamment par Jules Baudou, conservateur du musée d’Agde, il participe également aux réalisations de la salle des Mariages. Utilisant les ateliers municipaux comme ateliers de forge, Clavell réalise les cinq magnifiques lustres en bronze qui apportent la touche de décoration finale à cette salle. Parallèlement à ce travail, Clavell réalise aussi pour le Musée Agathois une grille ainsi que plusieurs vitrines qui seront installées dans la salle des Evêques du Musée. Après la guerre, il s’installe à Revel et continue la ferronnerie d’Art. Sociétaire du Salon des Artistes Occitans qui se déroule tous les ans à Toulouse, il y exposa régulièrement ses œuvres.
Quant au sculpteur Angel Tarrac (1898-1979), c’est déjà un artiste reconnu lorsque la guerre civile éclate. Pour cette commande, il réalise la sculpture monumentale en bas-relief qui se trouve sur le mur du fond de la salle des Mariages. Caractéristique du style réaliste et des grands sujets de l’époque, cette sculpture, pour laquelle de jeunes agathoises ainsi qu’un espagnol du Camp ont servi de modèles, glorifie le travail : on y voit des femmes exécutant des travaux des champs et un ouvrier. Parmi les instruments de travail on peut voir une faucille et un marteau, et certains ont voulu voir en ces deux éléments un sens caché, celui du symbole de l’engagement politique du sculpteur! En 1942, il décide de s’installer définitivement au Mexique où il réalise de monumentales sculptures dont « la naissance du Mexique ». Lorsque les relations diplomatiques entre le Mexique et l’Espagne reprennent, il est mandaté par l’Espagne pour faire le buste du poète espagnol José Sagarra ainsi que celui du missionnaire Fray Diego. Il reçut au cours de sa carrière d’artiste de nombreux prix et médailles d’or pour ses travaux.
Ils ne se connaissaient pas avant leur arrivée au Camp d’Agde et après la guerre chacun a poursuivi son chemin. Mais dans ce moment de leur vie, ils ont tout oublié pour se consacrer uniquement à la salle des Mariages. Et ils ont su conjuguer leurs talents pour enrichir notre patrimoine de ces décorations dans lesquelles on retrouve une parfaite unité esthétique.
Nous vous donnons rendez-vous le mois prochain avec l’archéologue Francisco Prat-Puig