Avocats Conseils d'Entreprises : moderniser la déontologie, former les confrères et digitaliser les services
Les avocats conseils d’entreprises sont actuellement très sollicités, au vu du contexte sanitaire notamment. Alors que l’ACE (association des Avocats Conseils d’Entreprises) présente une liste aux élections du Conseil national des barreaux et deux candidats au Conseil de l’Ordre des avocats de Montpellier, la rédaction de l’HJE a sollicité Me Delphine Gallin, présidente nationale de l’ACE, et Me François Girault, président de l’ACE Montpellier. Tous deux évoquent les grands enjeux de leur profession.
Me Girault, où en est l’ACE Montpellier aujourd’hui ?
Me François Girault : « Suite à une réflexion locale avec les anciens présidents locaux et avec le soutien d’une équipe, j’ai relancé l’ACE Montpellier en janvier 2020, durant la grève des avocats. Entre janvier et la fin du mouvement de grève, nous avons participé à l’ensemble des démarches intersyndicales, au soutien de l’Ordre et des confrères. Nous avons commencé à mettre en œuvre des projets de matinales avec des partenaires, des événements. Au moment du premier confinement, nous nous sommes adaptés. L’ACE a organisé des webinaires avec notamment la CPME Hérault et son président Grégory Blanvillain, sur les recours alternatifs aux juridictions, etc. Nous avons insisté sur l’importance d’aller voir son avocat-conseil. Nous avons aussi dupliqué au niveau local des webinaires sur la digitalisation de la profession avec l’e-acte d’avocat. Puis, dans l’intérêt de l’Ordre, nous avons organisé le débat des candidats au bâtonnat avec l’UJA et le SAF, car il y a de nombreux points de ralliement avec ces 2 syndicats, nonobstant nos différences. Cela a mené à l’élection du bâtonnier Nicolas Bedel de Buzareingues.
Nous arrivons dans une deuxième phase de confinement. Nous devions organiser, vendredi 30 octobre, en présence de Me Delphine Gallin, présidente nationale de l’ACE, un repas à destination des confrères en vue de la double élection du 24 novembre : les élections du CNB et de l’Ordre. L’ACE Montpellier envoie 2 candidats au Conseil de l’Ordre : Sophie Nayrolles, associée chez Simon Associés, et Nicolas Unal, du cabinet Unal. Bien que l’ACE renaisse tout juste de ses cendres depuis janvier 2020, la dynamique est bien présente. Nous envoyons des candidats au Conseil de l’Ordre pour obtenir une vraie représentation du barreau d’affaires au sein du Conseil de l’Ordre. C’est une réalité. Notre confrère Me Bourdin, lors de l’élection du bâtonnat, a recueilli une très belle participation. Il faut qu’il y ait une vraie représentation du barreau d’affaires au sein du Conseil de l’Ordre, pour deux raisons. Certains de nos confrères font du droit des affaires mais ils sont en minorité. Il faut renforcer cela. Deuxième raison, nous sommes et allons être confrontés à de nouveaux enjeux. Il faut parfois s’adapter la veille pour le lendemain, digitaliser la profession, s’adapter aux nouveaux enjeux métiers. Là-dessus, l’ACE a une vraie dynamique au niveau national. C’est pour cela que Me Gallin m’avait convaincu il y a un an de remonter l’ACE Montpellier. Il faut donc renforcer la présence du barreau d’affaires au sein du Conseil de l’Ordre pour relever les objectifs au niveau local, en synergie avec les autres membres du Conseil de l’Ordre et le bâtonnier élu, pour avoir une vraie modernisation de la profession sur le barreau de Montpellier. »
Me Gallin, quel est votre sentiment sur le futur de l’avocat conseil en entreprise ?
Me Delphine Gallin : « A la différences de nos confrères qui interviennent dans du judiciaire pur, nous avons une flexibilité intrinsèque puisque nous ne dépendons pas forcément de l’activité judiciaire dans la pratique quotidienne de nos cabinets. Par conséquent, durant cette période, on a observé un maintien global de l’activité et pour certains d’entre nous un renforcement de l’activité, puisque dans des périodes d’incertitude, le besoin de droit est plus fort pour nos clients. Nos clients sont confrontés à des problématiques quotidiennes qui s’accumulent les unes aux autres : les décrets pleuvent en cascade depuis mars avec des applications quasi immédiates et des enjeux économiques et financiers très importants. D’où ce renforcement assez significatif du besoin de droit de la part de nos clients. On pourrait penser que nos cabinets pourraient sortir gagnants de cette période. Mais le tissu économique s’affaiblit. Nos métiers dépendent de la santé économique de nos clients. Si le marché tombe, le risque est de subir également cette chute. Nous vivons donc deux réalités : nous sommes très sollicités, mais la crainte de l’avenir crée une situation d’incertitude, même pour les cabinets les plus forts et les plus structurés d’entre nous. Notre visibilité est à trois mois actuellement. On était plus agiles, moins dépendants, mais on va à rebours. Si la situation persiste, nous devrons revoir nos modèles et nous réadapter profondément et être encore plus agiles qu’actuellement.
Nous aussi sommes une entreprise : l’ACE a 4 salariés ; elle organise une formation par jour sur l’ensemble des territoires des barreaux. Nous nous sommes adaptés : nous avons organisé un congrès de façon digitalisée il y a quinze jours en replay, à des tarifs extrêmement accessibles.
Cette dynamique que nous avons au niveau de l’ACE, il faut que nous la portions au niveau de nos confrères, dans l’ensemble de leurs cabinets, tant en matière d’organisation interne et d’offre clients que de gestion des collaborateurs.
Aujourd’hui, on constate deux situations antinomiques : de nombreux jeunes collaborateurs sont en errance : il s’agit à la fois de ceux qui deviendront avocats au 1er janvier et de ceux qui rentrent à l’école et qui ont devant eux dix-huit mois de formation avec des stages à faire. Beaucoup d’entre eux n’ont rien : ni collaboration ni stage. Mais dans le même temps, de nombreux cabinets sont en demande de collaborateurs avec des techniques et des spécificités particulières. Or il y a une inadéquation entre l’offre et la demande. C’est terrible. Selon moi, les cabinets doivent faire un effort et s’investir beaucoup plus dans la formation des jeunes qu’actuellement, c’est-à-dire ne pas se contenter de l’école et contribuer à la croissance de leurs cabinets en formant les jeunes avocats. C’est une réflexion que je mène dans mon propre cabinet car je sens que je vais avoir un problème de ressources humaines. Chaque cabinet va devoir redessiner son propre modèle et se remettre en question. C’est déjà le cas de beaucoup d’entre eux. Le télétravail contraint aux remises en question, à la fois sur la gestion de l’espace au sens physique du terme (nos cabinets ne sont peut-être plus adaptés), de l’espace-temps, sur les modes d’interaction avec nos clients et nos collaborateurs. C’est grisant mais également source d’une profonde angoisse. Tous nos confrères sont angoissés et c’est normal. L’ACE est aussi là pour réfléchir avec tout le monde. »
Quels sont les principaux points du programme de l’ACE pour l’élection au CNB ?
Me Gallin : « La relance économique de nos cabinets est la colonne vertébrale du programme de l’ACE. Nous avons élaboré notre programme sur la base d’un sondage mené auprès de nos confrères en quinze jours. Dans l’Hexagone, plus de 50 000 avocats avaient été sollicités et plus de 1 000 ont répondu à nos questions parfois larges mais aussi très techniques. Deux grands axes s’en sont dégagés. 80 % des sondés ont exprimé la demande expresse que la déontologie soit modernisée et adaptée aux enjeux économiques et aux défis de demain. Notre déontologie est une force, mais elle est aussi un frein au développement. Il s’agirait d’adapter la déontologie aux enjeux économiques, pas d’abandonner ses principes essentiels, évidemment. Les confrères sondés ont également exprimé le besoin de travailler sur une grande profession du droit. On a beaucoup parlé d’interprofessionnalité avec les notaires, les huissiers… Il faudrait que soit rédigé un socle déontologique commun. L’objectif est de nous permettre d’être concurrentiels dans un marché du droit ouvert. Un autre axe consiste en la formation de nos confrères et des futurs confrères pour être adaptés au marché. »
Me Girault : « Parmi les sous-axes de la relance économique figurent la digitalisation des services, la promotion du télétravail et la mutualisation des moyens entre les confrères. L’espace de coworking avocats à Montpellier répond à la demande des confrères car il permet une diminution des frais fixes et une création de synergies. L’ACE défend cette position. Il faut que cela se diffuse au niveau des régions. Mais il y a des rigidités au niveau des instances. L’ACE veut inscrire la déontologie dans le XXIe siècle, en avoir une lecture progressiste, pour permettre les regroupements et interactions et en faire une force. Localement, nous améliorons cette déontologie, et par le haut aussi, le CNB et les candidats de l’ACE tentent de moderniser et d’adapter la déontologie. »
Qu’est-ce que l’ACE ?
Créée en 1992, l’association des Avocats Conseils d’Entreprises représente l’ensemble du barreau d’affaires français, réunissant les cabinets de conseils d’entreprises de toutes les dimensions, français et internationaux. Forte de ses commissions techniques intervenant dans tous les domaines du droit, de sa section internationale et de sa section jeunes avocats (ACE-JA), l’ACE a des élus dans l’ensemble des institutions et organismes techniques représentatifs de la profession (Conseil national des barreaux, ordres, Carpa…). L’ACE est présidée depuis octobre 2018 par Delphine Gallin, avocat au barreau de Marseille, membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Marseille et ancien membre
du Conseil national des Barreaux.
Propos recueillis par Virginie MOREAU
vmoreau.hje@gmail.com