Cour d’appel de Montpellier : « Faire face à une vague de réformes inégalée par son ampleur »
Le 9 janvier, l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Montpellier a…
Le 9 janvier, l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Montpellier a été l’occasion d’accueillir le nouveau procureur général Jean-Marie Beney. Les 2 chefs de cour ont insisté sur l’importance des réformes à mettre en œuvre. Ils ont également souligné la forte activité à laquelle sont confrontées la cour et les juridictions du ressort, les effectifs restant nettement sous-calibrés.
Devant de nombreuses personnalités issues des milieux politique et économique, de la police, de la gendarmerie, et de représentants des autorités civiles, administratives et religieuses ainsi que des professions juridiques, c’est à l’avocat général Pierre Denier qu’il est revenu d’accueillir le nouveau procureur général Jean-Marie Beney lors de l’audience solennelle de rentrée 2020 de la cour d’appel de Montpellier. Après avoir rendu hommage au précédent procureur général Pierre Valleix, désormais avocat général près la chambre criminelle de la Cour de cassation, il a retracé les grandes lignes du parcours professionnel du nouveau procureur général (voir l’HJE n° 3289 du 9 janvier), non sans avoir rappelé la formule adressée à Jean-Marie Beney par l’un de ses collègues à la cour d’appel de Metz : « Vous êtes une pointure ».
Priorité absolue à la lutte contre les stupéfiants
Dès le début de son intervention, Jean-Marie Beney a tenu à affirmer, concernant la politique pénale : « l’architecture du ministère public est désormais très claire ». Le gouvernement définit la politique pénale, le ministre de la Justice la conduit et veille à la cohérence de son application. Le procureur général est le garant de la mise en œuvre de cette politique pénale sur le territoire de son ressort et il lui revient d’animer, de coordonner et de contrôler l’action des procureurs de la République. Ces derniers mettent en œuvre la politique pénale. Ils exercent la plénitude de l’action publique et dirigent l’activité des officiers et agents de police judiciaire dans leurs ressorts de compétence.
Concernant les priorités de l’action publique dans le ressort, le procureur général a affirmé : « La lutte contre les trafics de stupéfiants locaux, nationaux, internationaux reste la priorité absolue. Je souhaite à cet égard que nos échanges avec la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, sous l’égide du parquet général d’Aix-en-Provence, soient enrichis et nos méthodes de travail interrogées à la lumière des dernières évolutions d’organisation en matière de lutte contre la criminalité organisée figurant dans la circulaire de madame la garde des Sceaux du 17 décembre 2019 ».
« Les réformes vont être notre obsession cette année »
La loi de programmation pour la Justice du 23 mars 2019 conduit à la mise en œuvre de nombreuses dispositions nouvelles. Sur le plan pénal, concernant les spécialisations, le contentieux pénal fiscal est regroupé à Montpellier et celui de l’environnement à Béziers. Le projet de création d’une cour criminelle départementale pour l’Hérault est en attente de validation. Le volet « peines » de la loi du 23 mars 2019 entrera en application le 20 mars prochain. L’ordonnance du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs est désormais soumise au Parlement.
Pour sa part, le premier président Tristan Gervais de Lafond a souligné : « Nous devons faire face à une vague de réformes inégalée par son ampleur. Celles-ci vont être notre obsession cette année ». Il a expliqué qu’elles ne touchent pas fondamentalement au fond du droit, mais portent essentiellement sur l’organisation de la justice. Ainsi, alors qu’il y a seulement deux ans, 34 juridictions du premier degré relevaient de l’autorité de la cour d’appel, après la disparition en 2019 des tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité, puis la fusion au 1er janvier 2020 des tribunaux de grande instance (TGI) et des tribunaux d’instance (TI) au sein des tribunaux judiciaires, la cour d’appel ne couvre plus que l’activité de 20 juridictions : 6 tribunaux judiciaires, 6 tribunaux de commerce et 8 conseils de prud’hommes (CPH).
D’importants enjeux humains en ligne de mire
Le premier président a observé que la fusion des greffes des CPH avec ceux des tribunaux judiciaires ainsi que le rôle du juge départiteur qui appartient au tribunal judiciaire, tendait à faire des CPH des annexes des tribunaux judiciaires tout en conservant leur autonomie juridictionnelle.
Selon lui, « cette simplification de notre organisation judiciaire doit être approuvée si elle s’accompagne des moyens nécessaires à maintenir une relation de proximité entre le juge et le justiciable. Elle ne doit pas nous faire peur en tant que telle ». Tristan Gervais de Lafond a apporté son soutien aux présidents des nouveaux tribunaux judiciaires et à leurs directeurs de greffe, « sur lesquels va reposer la très lourde tâche de mettre en œuvre simultanément cet ensemble de réformes, avec des enjeux humains conséquents ».
Du mieux pour l’activité juridictionnelle du ressort
Au niveau du ressort, tant en ce qui concerne le contentieux civil que le contentieux pénal, on observe que le nombre d’affaires nouvelles est resté stable au cours des trois dernières années. En matière civile (hors pôle social), les 6 TGI sont parvenus à un taux de couverture supérieur à 100 % (100,7 % en 2019 avec 32.758 affaires terminées pour 32.515 affaires nouvelles). Il en est allé de même pour les CPH (101,6 %) et les tribunaux de commerce (108,0 %). Seuls les désormais ex-TI ont vu leur nombre d’affaires en stock progresser de 4.486 à 4.775, le taux de couverture étant de 96,7 % en 2019.
Alerte pour l’activité à l’instruction
Le traitement des affaires pénales en première instance est lui aussi globalement satisfaisant, avec des délais d’audiencement raisonnables. Cependant, le premier président a mis en avant un point négatif lié à l’augmentation régulière du nombre de dossiers dans les cabinets d’instruction du ressort. Les clôtures de dossiers ont diminué de 758 en 2018 à 624 en 2019, le nombre d’affaires en stock atteignant 2.125 en fin d’année (contre 1.953 à fin 2018). « Monsieur le procureur général et moi serons sans doute conduits à envisager un contrôle de fonctionnement dédié à cette problématique, contrôle auquel sera associée la présidente de la chambre de l’instruction », a indiqué Tristan Gervais de Lafond.
Situation contrastée pour la cour d’appel
Au niveau de la cour d’appel proprement dite, le taux de couverture des chambres civiles, y compris des chambres sociales, a été supérieur à 100 % pour la deuxième année consécutive (105,4 % en 2018 puis 109,7 % en 2019). Cependant, avec des délais de plus de deux ans dans la plupart des chambres de la cour et de presque trois ans dans les chambres sociales, avec près de 15.000 affaires en stock, « il nous faut impérativement du renfort pour attaquer résolument ce stock », a affirmé le premier président.
Des difficultés pour les formations pénales
Pour les cours d’assises du ressort, la création d’un quatrième poste de président d’assises n’a pas conduit à améliorer significativement la situation, le nombre d’affaires en jugement ne diminuant que de 163 à 159. En matière d’appels correctionnels, si le stock d’affaires nouvelles a diminué (2.350 à fin 2019 contre 2.397 à fin 2018), cela résulte plus de la baisse du nombre d’affaires nouvelles déférées à la cour que de celle des affaires traitées. La chambre d’instruction a vu son activité augmenter fortement en raison des difficultés des cabinets d’instruction à sortir les dossiers et des longs délais de jugement devant les cours d’assises. Résultat : une multiplication des demandes de mises en liberté.
« Cette situation alarmante nous met en difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et de la chambre criminelle de la Cour de cassation en matière de délai raisonnable, a prévenu Tristan Gervais de Lafond. Un vrai effort collectif a été engagé, et il doit se poursuivre pour améliorer la situation. »
Des décisions de qualité
Les difficultés ne doivent pas faire oublier que le taux des décisions rendues par la cour d’appel de Montpellier faisant l’objet d’un pourvoi, en baisse régulière, est désormais de 9 % contre 12 % pour la moyenne nationale des 36 cours d’appel du pays. Et sur ces décisions faisant l’objet d’un pourvoi, seulement 6,6 % sont cassées (contre 16 % au niveau national). Au total, moins de 3 décisions de la cour d’appel sur 1.000 sont cassées. C’est 3 fois mieux que la moyenne nationale.
Toujours un manque de magistrats et de greffiers
Si le travail est de qualité aussi bien au niveau de la cour d’appel que du ressort, en revanche, les effectifs de magistrats et de fonctionnaires restent profondément sous-calibrés. Pour la cour d’appel, les effectifs réels se sont établis au 31 décembre 2019 à 48 magistrats du siège, 10 magistrats du parquet et 77 fonctionnaires, plus 5,2 agents temporaires en équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT). Au niveau du ressort, on recensait fin 2019 (effectifs réels) 200 magistrats du siège, 63 magistrats du parquet et 679 fonctionnaires, plus 105 personnes en soutien aux magistrats et 62 personnes en soutien aux fonctionnaires.
« Préserver les libertés individuelles en assurant la sécurité de tous »
En guise de conclusion, le premier président s’est inquiété du projet du gouvernement de revoir la politique de recrutement et de formation des élites de la haute fonction publique : « Ce projet doit nous interpeller en ce qu’il révèle cette confusion propre à notre pays, qui conduit nos gouvernants à refuser de distinguer clairement le juge du fonctionnaire, une distinction pourtant au cœur de tout Etat de droit ». Selon lui, la justice ne doit pas être un simple service public, une simple autorité morale, mais un véritable pouvoir : le pouvoir de préserver les libertés individuelles en assurant la sécurité de tous, le pouvoir de rétablir la paix dans une société divisée par les conflits individuels et collectifs. « C’est à nous qu’il revient de réussir cette alchimie qui permet de passer de la généralité de la loi à son application à des cas particuliers », a-t-il assuré.
Dans cette logique, le principe de proportionnalité qui, en résumé, est le pouvoir donné au juge, au nom de l’équité et de l’intelligibilité du droit, d’accomplir la loi en lui conservant toute son humanité, connaît un développement spectaculaire dans la jurisprudence, notamment sous l’impulsion de la CEDH et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Ce principe de proportionnalité tend aujourd’hui à devenir un principe général de droit.
Un entretien exclusif avec le procureur général Jean-Marie Beney. Dans un entretien accordé à l’Hérault juridique et économique le 10 décembre dernier, le procureur général a largement évoqué les grandes étapes de sa carrière, les contentieux dans la région, son analyse de la situation de la cour d’appel et du ressort, ainsi que ses priorités pour 2020, avec la concrétisation sur le terrain des réformes portées par la loi du 23 mars 2019. Cet entretien a été publié le 9 janvier dernier, dans l’HJE n° 3289.