Etudiants sans master, les victimes des réformes
La colère d’abord, la détresse ensuite, le dégoût enfin. A mesure que le temps passe, les étudiants sans master se sentent oubliés et livrés à eux-mêmes.
Après le hashtag #EtudiantsSansMaster et les manifestations étudiantes, certains entreprennent une grève de la faim pour défendre leur droit à la poursuite d’études jusqu’à mettre leur vie en péril. La joie procurée par l’obtention du diplôme de licence n’a été que furtive pour ces étudiants qui voient leur projet professionnel paralysé. Les compétences validées en licence n’assurent plus l’entrée en master 1 depuis la réforme dite « LMD » (licence-master-doctorat), dont l’objectif est d’harmoniser les diplômes d’enseignement supérieur en Europe. C’est ainsi que depuis 2017, la sélection en master a lieu au terme de la licence et non plus à celui du master 1. Cette réforme empêche de nombreux étudiants d’obtenir le master 1, en tant que diplôme équivalent à un bac +4.
Or, dans certaines branches, l’accès à plusieurs concours nécessite le niveau bac+4. A titre illustratif, dans la branche du droit, les grands concours juridiques pour entrer à l’Ecole Nationale de la Magistrature et à l’Ecole d’avocats ne sont accessibles qu’avec un bac+4.
Le droit à la poursuite d’études comme garantie incertaine
Cette réforme a également créé un droit à la poursuite d’études dont les étudiants peuvent se prévaloir auprès des services rectoraux sur le portail trouvermonmaster.gouv.fr. Nombreux sont ceux ayant saisi le rectorat de leur région académique. Mais en réalité, peu sont ceux ayant obtenu une place en master à la suite de ce recours.
Selon un rapport du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur de 2020, sur plus de 11 500 cas de saisine, seulement 7 103 ont été considérés comme recevables. De plus, par le manque de concordance avec le projet professionnel des étudiants demandeurs, seulement un tiers des propositions en master ont été acceptées entre 2017 et 2019. Le nombre de saisines a explosé entre 2019 et 2020 atteignant le taux vertigineux de 129%, d’après le Hcéres.
Certaines branches sont plus touchées que d’autres. Ainsi, le droit et les sciences politiques concernent un tiers des saisines, puis se succèdent les sciences et technologies, l’éco-gestion et enfin la psychologie.
Le durcissement insidieux des conditions de saisie du rectorat
Ces chiffres considérables ne reflètent pas pour autant le nombre réel d’étudiants sans master. Beaucoup n’ont pas eu la possibilité de saisir le rectorat. En effet, en pleine période de candidatures, les conditions de saisie du rectorat ont été insidieusement durcies par le décret n°2021-629 du 19 mai 2021 modifiant les conditions dans lesquelles les titulaires du diplôme national de licence non admis en première année d’une formation de leur choix (conduisant au diplôme national de master), se voient proposer l’inscription dans une formation du deuxième cycle.
Ainsi, il faut avoir effectué au moins cinq candidatures en première année de master, contre deux auparavant, dont au moins deux mentions de master distinctes et auprès d’au moins deux établissements d’enseignement supérieur lorsque l’étudiant a fait ses études en France métropolitaine.
La voie judiciaire comme dernier recours
Malgré la posture du juge de plus en plus défavorable aux étudiants, certains parviennent à obtenir une place en master par voie judiciaire. Mais cette voie s’avère scabreuse dès lors que le caractère urgent n’est pas pris en compte par le juge. Le gâchis continue alors sa marche lente et épuisante.
Dans le cadre d’une affaire concernant une étudiante de psychologie refusée à l’entrée d’un master 2 à l’université de Tours en 2018, le tribunal administratif d’Orléans avait saisi pour avis la haute juridiction sur la question : « La décision par laquelle le président d’une université refuse d’admettre un étudiant en première ou en deuxième année de master relève-t-elle d’une des catégories de décisions devant être motivées en application de l’article L211-2 du Code des relations entre le public et l’administration ? » Dans un avis du 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat répond par la négative en considérant que le refus d’admission en master n’entre dans aucune des catégories de décisions devant être motivées. En revanche, il précise que les universités sont tenues de communiquer leurs motifs si l’étudiant en fait la demande dans le mois suivant la notification du refus.
La règle du silence vaut accord, une règle peu connue des étudiants
En principe, le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut acceptation. Il s’agit de la règle dite du « silence vaut accord » (SVA). Toutefois, cette règle comporte des atténuations. Ainsi, le silence vaut refus si la demande présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif. L’étudiant ne pourra pas bénéficier de cette règle si le silence gardé par une université concerne son recours gracieux ou son recours auprès du rectorat. En revanche, il pourra en bénéficier s’il n’a reçu aucune réponse de la part des directeurs de master lors de la phase de candidatures.
Manque-t-il des places en master ?
La Fédération nationale des Associations représentatives des étudiants en sciences sociales soulève « le manque cruel de capacités d’accueil en master en France ». Et pour cause, François Germinet, président de la commission formation au sein de la Conférence des présidents d’université, explique au Figaro que « l’offre de masters est calée sur les anciens flux de licences. » La tension engendrée est la conséquence du boom démographique de l’an 2000. De plus, les examens à distance, organisés en raison du contexte sanitaire, auraient facilité l’obtention du diplôme de licence.
En réalité, il ne manque pas de places en master. En effet, on compte plus de 170.000 places en master pour 140.000, voire 150.000 places en licence. Le problème principal est qu’il y a des masters plus demandés que d’autres et qui, par conséquent, font preuve d’une sélection accrue. Le problème sous-jacent est que certains masters sont attachés à leur notoriété. Ainsi, même si leurs capacités d’accueil ne sont pas atteintes, ils refusent d’accepter d’autres étudiants. La réputation semble peser plus lourd que la formation et la professionnalisation d’étudiants moins bons que les meilleurs.
Mais que deviennent ces étudiants sans master correspondant à leur projet professionnel ? Peaufiner leur dossier à l’aide de stages, de diplômes universitaires ou encore d’expériences professionnelles ne leur assure malheureusement pas une place en master l’année prochaine. Il est urgent de réagir.
La politique publique sortant de sa torpeur
Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a annoncé la création de 4.400 places en master. Les groupes sont augmentés tout en veillant à préserver la qualité de la formation. Les places sont attribuées à la filière du droit, à celle des sciences et technologies ainsi qu’à celle des sciences humaines et sociales. Sachant que seulement plus d’un tiers des étudiants ayant saisi le rectorat a obtenu des propositions d’admission sur les 7 414 saisines recevables recensées en septembre et qu’il existe d’autres étudiants qui n’ont pas pu faire de recours auprès du rectorat, cette annonce est-elle suffisante ? Le désespoir de ces étudiants permet d’en douter. La ministre insiste sur le maintien de l’exigence en master afin de garantir la réussite de l’insertion professionnelle, dont le taux dépasse 90%.
En outre, pour répondre au problème sur le long terme, la politique menée est celle visant à professionnaliser davantage les licences générales pour les valoriser sur le marché du travail. L’objectif est de s’insérer directement dans la vie professionnelle après l’obtention d’une licence. Par ailleurs, les concours conditionnés à l’obtention d’un bac+4 seront discutés.
Le ministère de l’Enseignement supérieur entend aussi refonder la procédure d’admission. En effet, les procédures d’admission sont propres à chaque université. Or, les étudiants acceptés dans plusieurs masters au sein d’universités différentes oublient parfois de se désinscrire ; ce qui bloque les places disponibles. Ainsi, les responsables de master ne bénéficient pas d’une pleine visibilité sur les places vacantes. En découvrant à la rentrée que leur promotion est incomplète, ils œuvrent à contacter chacune des personnes ne s’étant pas présentée. Afin d’harmoniser les procédures d’admission et de recensement des places, une nouvelle plate-forme sera mise en place en 2022.