Hérault : Yvan Poncé : "l’autisme véhicule un grand nombre d’idées reçues qu’il est capital de déconstruire"
Selon les chiffres de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), près de 700 000 personnes en France souffrent d'un trouble du spectre autistique (TSA), dont 100 000 sont âgées de moins de 20 ans. Chaque année, environ 8 000 enfants autistes voient le jour, soit une personne sur 100.
Face à cette réalité, APF France Handicap a mis en place diverses actions visant à améliorer la vie des personnes atteintes d’autisme et de leur famille. Rencontre avec Yvan Poncé, représentant de l’association APF France Handicap dans l’Hérault.
En quoi l’autisme est-il un handicap particulier ?
Yvan Poncé : “Tous les handicaps sont particuliers. Peut-être l’autisme est-il encore ‘plus particulier’ parce qu’il recouvre un grand nombre de difficultés d’ordres très différents, et qu’il comporte très souvent ce qu’on appelle des comorbidités : il est fréquent qu’une personne autiste ait également un trouble ‘dys’ (dyslexie, dyspraxie..) et/ou un TDA/H, et/ou une déficience intellectuelle.
En outre, l’autisme touche à la communication, si importante pour vivre avec les autres, et il n’existe pas de réponse ‘technique’ universelle pour répondre à cette difficulté. En France, on est très en retard sur les solutions de communication alternative, donc on reste en difficulté face à ce trouble de la communication, ainsi que face aux difficultés sensorielles présentes dans l’autisme.”
Selon vous, les personnes en charge de la petite enfance sont-elles suffisamment formées pour repérer l’autisme ?
Yvan Poncé : “Des efforts ont été faits ces dernières années pour sensibiliser les personnes en charge de la petite enfance au repérage des troubles de l’autisme, mais la complexité de ces troubles ainsi que la possibilité d’un autre handicap rendent difficile ce repérage : surdité, retard de développement sans autisme, diversité des manifestations de l’autisme… Contrairement à beaucoup d’idées reçues, un enfant autiste peut aimer le contact et les échanges de regards par exemple.
Ces personnes restent donc insuffisamment formées face à un handicap très complexe ; néanmoins, il est important de ne pas négliger les signaux d’alerte transmis par ces professionnels au contact quotidien de l’enfant.”
Une fois un enfant autiste identifié, comment l’accompagner au mieux ?
Yvan Poncé : “L’idéal, quand le diagnostic est posé, est un accompagnement précoce et rapide, ce qui reste très problématique dans la plupart des régions de France. Dans de très nombreux cas, la mise en place de séances d’orthophonie pour accompagner la mise en place de la communication, d’un suivi éducatif pour développer les habiletés sociales, d’un suivi en psychomotricité pour les compétences motrices… est nécessaire.
L’entrée à l’école est un grand moment à préparer au maximum, avec la famille et avec l’école ; un enfant autiste peut tout à fait aller à l’école, même en cas de déficience intellectuelle associée, avec un étayage plus ou moins fort selon ses difficultés ; on connaît l’accompagnement par un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH), mais il y a aussi l’aménagement d’un coin calme dans la classe par exemple, la possibilité pour l’enfant d’avoir un casque anti-bruit, etc.
Parallèlement à l’école, il est important que l’enfant autiste ait accès à des loisirs comme ses pairs : centre de loisirs, club de sport ou cours de théâtre : cela lui permet à la fois de s’amuser, de faire partie de son quartier ou son village, et de socialiser. “
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté dans vos actions ?
Yvan Poncé : “Elles sont nombreuses : manque de professionnels, manque de moyens pour rémunérer des éducateurs en libéral, dossier de candidature à la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH) compliqué… mais aussi beaucoup de préjugés encore inscrits dans les esprits. Les autistes seraient violents, ne communiqueraient pas, et ces préjugés empêchent leur inscription dans la vie citoyenne : refus à l’école sans l’AESH et parfois même avec l’AESH, refus d’accueil dans les centres de loisirs, regards et remarques déplaisants qui finissent par enfermer la famille. Les parents d’enfants autistes ont un vrai parcours du combattant à effectuer à chaque étape de la vie de leur enfant.
Dans les actions militantes, il y a peu de freins sinon financiers pour accompagner au mieux les familles ; par exemple, organiser un café paroles n’a vraiment d’intérêt que si le parent a une solution de garde fiable et sécurisée pour son enfant, mais qui finance les personnes qui gardent l’enfant ?
Une autre difficulté est le manque de places. Les associations gestionnaires d’établissement font face à des listes d’attente souvent aussi grandes que le nombre de personnes accompagnées : par exemple, dans un Service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), pour 40 enfants suivis, il y a 50 enfants sur liste d’attente ! C’est frustrant, surtout quand on sait que chaque absence d’accompagnement est une perte de chance pour l’enfant…”
Pensez-vous que les écoles et les services de l’État sont suffisamment adaptés aux personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme ?
Yvan Poncé : “Non, quelques initiatives existent pour aider les personnes autistes à se sentir bien, et ce sont encore des initiatives privées ! Par exemple, des supermarchés font des heures silencieuses dans la semaine (lumières abaissées, pas de musique, moins de stimuli sensoriels), mais dans les mairies, les hôpitaux ou encore les musées, il n’y a pas de volonté politique d’aménager les lieux. Sinon, ils proposent des visites privées qui privent encore une fois les personnes autistes d’exister dans la société, puisqu’on concentre leur accueil sur un jour ou une heure donnés.”
Quels changements doivent selon vous être opérés dans notre société pour qu’elle soit plus inclusive pour les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme ?
Yvan Poncé : “Je crois beaucoup en la pédagogie : l’autisme véhicule un grand nombre d’idées reçues qu’il est capital de déconstruire pour que les personnes autistes soient avant tout des personnes aux yeux de la société. Par ailleurs, plus l’école accueillera d’enfants autistes, et si possible au sein de classes ordinaires, plus les générations seront habituées à coexister avec des personnes différentes.”
Comment accueille-t-on au mieux un enfant autiste dans une école ?
Yvan Poncé : “Il est impossible de répondre en quelques lignes, mais un mix de bonne volonté, d’aménagements, d’accompagnement humain, de sensibilisation de tous (personnel de mairie, parents des autres enfants, équipe éducative, etc), de formation aux outils aidant l’enfant, de partage et d’écoute de la famille… Voilà un bon début !”
Et après l’école ?
Yvan Poncé : “On parle de spectre du trouble de l’autisme (TSA) parce qu’il existe une infinie variété de compétences, possibilités, capacités chez les personnes autistes, depuis la personne entièrement dépendante dans tous les actes de la vie avec une forte déficience intellectuelle jusqu’à la personne ayant une intelligence normale à supérieure, capable d’apprendre les codes sociaux. Ajoutez à cela les sensibilités plus ou moins fortes aux stimuli extérieurs : le parcours des personnes autistes est très varié ; pour quelques personnes intégrées, travaillant et vivant en autonomie, ils sont une très grande majorité à vivre chez leurs parents ou en établissement, parfois avec une activité en ESAT.”
Les adultes autistes sont-ils selon vous bien intégrés professionnellement dans la société ?
Yvan Poncé : “Pour la très grande majorité, ce n’est pas le cas, car le monde du travail n’est pas habitué à devoir s’adapter au handicap, mais cela peut évoluer. Les adultes de demain sont les enfants d’aujourd’hui, et ils voient un peu plus souvent des personnes autistes, dans leur classe ou encore dans l’ULIS voisin, que les générations précédentes.”