Politique — Montpellier

Jean-Pierre Raffarin : "l'Europe doit retrouver le leadership face aux Etats-Unis et à la Chine"

Jean-Pierre Raffarin a inauguré, jeudi 9 décembre, le premier Rendez-vous de l'international initié par la CCI de l'Hérault. Il était invité à évoquer la place de l'Europe et de la France face aux géants américain et chinois. Extraits…

En présence du sénateur Jean-Pierre Grand, d’Emmanuelle Darras, pour Racines Sud, de Dominique Duplan Ychou, ambassadrice de la CCI, de Florian Mantione, du Florian Mantione Institut, de François Fontès et de bien d’autres personnalités, Jean-Pierre Raffarin s’est montré direct, jovial et fort de son expérience d’ancien Premier ministre et ex-président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, mais aussi d’une centaine de voyages en Chine.

Son intervention était destinée à déconstruire l’idée selon laquelle l’export ne serait réservé qu’aux grands groupes, et à sensibiliser les entreprises de toute taille à se lancer à l’international. Le solde positif de 6 milliards d’euros de l’Occitanie réalisé à l’export grâce à Airbus, les exportations héraultaises de vins, produits chimiques, produits pharmaceutiques ne peuvent qu’encourager les entreprises à s’emparer de ce levier de croissance qu’est l’international.

Sur les CCI

En introduction, Jean-Pierre Raffarin a indiqué avoir beaucoup travaillé avec les CCI, ajoutant : “Le fait consulaire n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur. On fait une grave erreur quand on s’attaque aux corps intermédiaires. Face à la tendance actuelle à l’individualisme, dans la société présente, on a besoin de tisser des liens, de créer des réseaux, pour générer de la solidarité, de l’innovation et de l’imagination. Les CCI apportent beaucoup de proximité dans une société qui a besoin d’être articulée dans son organisation”.

“Choisir un chef”, un ouvrage sur le leadership

Jean-Pierre Raffarin a ensuite évoqué son nouvel ouvrage, Choisir un chef, qui prolonge et développe les cours qu’il donne sur le leadership depuis une quinzaine d’années à l’ESCP Business School notamment. Au passage, il a indiqué être surpris que, dans les grandes écoles de commerce, les étudiants soient timides, ne sachent pas organiser leur prise de parole. “Il faut donner du muscle à nos idées pour qu’elles puissent exister. On a besoin de leaders sur notre territoire, car il faut incarner, représenter des idées sur des sujets actuels très complexes à comprendre”, a-t-il affirmé.

La place de la France et de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine

L’ancien Premier ministre a ensuite abordé le sujet principal de son intervention, les rapports de force à l’international. “Cette période est structurée par des tensions entre la Chine et les Etats-Unis, dont les conséquences s’imposent à nous. Il s’agit quasiment d’une bataille à mort, le n°1 [les Etats-Unis] ne veut pas être dépassé par le n°2 [la Chine] et le n°2 veut absolument passer devant le n°1. C’est le piège de Thucydide entre Athènes et Sparte”, compare-t-il.

“Entre les Etats-Unis et la Chine, il y a des différences de civilisations majeures, des conflits d’une rare brutalité. Le président américain accuse la Chine d’avoir généré le virus du Covid, s’ensuivent la mise en place de droits de douane, le boycott des Jeux Olympiques, et ça va continuer en empirant ! Les deux propagandes sont mobilisées l’une contre l’autre. Lors du G20, Biden a voulu monter l’Europe contre la Chine. La France et l’Europe subissent une forte pression de la part des Américains. L’extraterritorialité des lois américaines s’impose. Et dans le même temps, les Etats-Unis nous raflent une vente de sous-marins à l’Australie. Les Australiens avaient d’abord choisi les sous-marins français car la France n’est pas affiliée aux USA. C’était moins agressif que d’acheter américain. Puis la démarche tempérée est devenue plus engagée…”, explique Jean-Pierre Raffarin.

L’ex Premier ministre analyse : “De son côté, la Chine essaie de diviser l’Europe. Elle recrée une route de la soie, exploite deux terminaux de conteneurs au port du Pirée depuis 2009 à travers l’entreprise Cosco, a créé une zone de défense à Djibouti en y installant une base militaire. Si à son tour la Chine développe l’extraterritorialité des lois, de grandes marques comme Hermès ou LVMH auront des difficultés. D’élection en élection, on remarque que les Français préfèrent le temps à l’argent (âge des retraites, travail aux 35 heures…), donc il nous faut des entreprises à très grosses marges, or elles sont implantées en Chine notamment. Je pense aux marques de luxe. Si la Chine veut mettre une TVA sur L’Oréal, cela aura un impact terrible. Il y a 120 usines d’équipementiers européens en Chine. Que deviendraient-ils en cas de conflit ?”

“Dans le conflit actuel entre les Etats-Unis et la Chine, la France et l’Europe sont comme une balle de ping-pong qui se prend des coups de raquette de chaque côté. La France a une alliance politique évidente avec les Etats-Unis, sauf lors de l’affaire des sous-marins. Et nous savons que si les Chinois peuvent créer un équivalent de L’Oréal, ils nous remplaceront. A ceci près qu’ils adorent les grandes marques…”

“Donner une consistance à l’Europe”

Dans cette situation, il est important de “donner une consistance à l’Europe”, affirme Jean-Pierre Raffarin, qui salue l’initiative du président Emmanuel Macron d’avoir reçu Xi Jinping en présence de représentants de l’Europe. “Si l’on continue à tergiverser en Europe sans avoir de l’autorité et de la volonté, on va se faire malmener. On doit consacrer de l’importance au leadership français au cœur de l’Europe. Quand les gouvernants français et allemand parlent d’une même voix, ça fait sens, nous sommes une force continentale. Un leadership franco-allemand pourrait émerger avec le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz et la présidence française de l’Europe. Il faut que les Français et les Allemands aient une position claire vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine pour que l’Europe fasse entendre sa voix. analyse Jean-Pierre Raffarin. Il souhaite “que l’Europe apparaisse capable de piloter son propre avenir”.

Concernant la présidence de l’Union européenne par Emmanuel Macron, Jean-Pierre Raffarin pense que “par le passé, Angela Merkel n’a pas laissé de place à Emmanuel Macron dans les discussions avec la Russie. Ex-Allemande de l’Est, parlant russe, elle a monopolisé le dialogue avec le président russe pour préserver une relation assurant à l’Allemagne l’approvisionnement en gaz et en pétrole. L’espoir de cette situation, c’est que si Emmanuel Macron est réélu à la présidence de la République française, il sera le plus expérimenté des deux. Vis-à-vis du chancelier allemand, il aura du poids”. Jean-Pierre Raffarin pense nécessaire de créer une alliance comme entre Helmut Kohl et François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. “Emmanuel Macron a l’atout de la jeunesse et de l’expérience”, a souligné l’ancien Premier ministre.

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La stratégie à adopter : travailler à la fois avec les Etats-Unis et avec la Chine

Jean-Pierre Raffarin estime que “l’Europe et la France doivent éviter d’apparaître pro-chinoises ou pro-américaines”. Autrement dit, selon lui, il faut travailler sur de gros dossiers avec chacune de ces deux puissances. Car, juge-t-il : “Il ne faut pas imaginer que les Etats-Unis feront dans l’avenir ce qu’ils ont fait pour nous. Nous devons développer une logique de souveraineté européenne pour nous protéger“.

Jean-Pierre Raffarin “préconise que l’Europe travaille avec les Etats-Unis à renforcer les démocraties”, qui, selon lui, “n’ont pas un pronostic favorable”. “On ne doit pas montrer une image de démocraties impuissantes, il faut de l’autorité. Il ne faut pas rester avec l’image des Gilets jaunes ou de l’envahissement du Capitole. L’enjeu crucial est de recrédibiliser la démocratie. On va vers des systèmes très violents, c’est l’échec de la démocratie. La France doit réfléchir aux moyens de légitimer la démocratie, s’inspirer éventuellement des démocraties japonaise et coréenne, par exemple”. Il note un paradoxe : “La démocratie s’affaiblit parce que quand les électeurs sont fâchés, ils ne votent pas. Aux Etats-Unis, Donald Trump a été battu grâce aux votes, grâce à une participation électorale massive. Les démocraties doivent être crédibles, ne pas être minoritaires par rapport aux régimes autoritaires”.

“Nous devons travailler sur l’Afrique avec la Chine pour assurer l’avenir du milliard de jeunes Africains à intégrer dans les années qui viennent. Les Chinois ont plus d’argent que la France ou l’Europe pour investir en Afrique. L’Afrique doit bénéficier d’aides multiples pour garder le contrôle sur son développement. Il ne faut pas de bipartisme, mais au contraire intervenir à plusieurs, aider l’Afrique sans vouloir en tirer profit. Et éviter à tout prix que ne se reproduise la Françafrique. L’union africaine travaille bien. Les Chinois auraient intérêt à travailler avec nous pour être moins brutaux qu’ils ne le sont en Afrique. Par exemple, ceux qui sont installés à Alger ne discutent jamais avec la population. En termes d’intégration, les Chinois ont besoin d’aide. Et on a besoin d’eux pour investir dans des infrastructures. Nicolas Sarkozy disait récemment que nos problèmes d’immigration n’en sont qu’au début. Avec la jeunesse africaine, il faut tenir un langage de vérité, ne pas survendre nos moyens financiers en Afrique.”

“Face à une situation internationale très difficile, il faut recrédibiliser l’Europe, retrouver un leadership européen.”

Un risque de fermeture de la Chine ces prochaines années

Jean-Pierre Raffarin se dit inquiet concernant la Chine. “Je ressens que les Chinois sont convaincus qu’ils peuvent assurer une croissance de 6 à 7 % pendant trois à cinq ans en fermant le pays. Ils vont durcir les choses car ils ont des millions de Chinois à sortir de la pauvreté. S’ils se ferment, les Etats-Unis et l’Europe en subiront les conséquences. Depuis un an et demi, la Chine s’est refermée sur elle-même à cause de la pandémie de Covid-19. Résultat : les Chinois sont de plus en plus nationalistes, ouverts à la propagande, fermés à l’Europe. Une délibération du conseil municipal de Pékin a décidé de ne pas rouvrir avant 2025. Sans dialogue, les Chinois s’éloignent. S’ils ne nous voient pas, ils nous oublient. La stratégie chinoise de l’évitement consiste à gagner la guerre par rapport de force, sans avoir à la livrer”.

Se méfier de la Russie

Concernant la Russie, Jean-Pierre Raffarin rappelle que nous nous sommes alignés sur les Etats-Unis : “On a appliqué les sanctions des Etats-Unis contre la Russie, on s’est fâchés avec elle. Nous sommes dans l’obligation d’apaiser les relations avec la Russie car il n’y aura pas de sécurité en Europe sans une relation apaisée avec la Russie. Le gouvernement suédois craint une guerre avec la Russie. Tout l’est de l’Europe est très inquiet après ce qu’il s’est passé en Crimée, en Ukraine“.

Selon l’ancien président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, “il est important de faire en sorte que l’Ukraine ne soit pas l’objectif n°1 de l’Otan, qui ne respecte pas le fait que l’Ukraine reste un pays neutre entre l’Europe et le camp russe. Il faut impérativement éviter que la Russie et la Chine ne soient dans le même jeu, disait Kissinger. Je le rejoins. Actuellement la situation est dangereuse. Vladimir Poutine est en Inde, il a repris une politique de diplomatie, il est le grand leader du dossier syrien, puisque les Etats-Unis se sont retirés. La Russie n’est pas une puissance économique majeure, mais c’est un pays stratégique. Il faut éviter la proximité de Xi jinping et de Poutine, éviter d’avoir des tensions avec les deux en même temps. Il est nécessaire d’établir une situation pacifiée sur l’est de l’Europe ; il ne faut donc pas laisser l’Otan être belliqueux sur la frontière ouest de la Russie”.

Jean-Pierre Raffarin identifie deux gros dossiers qui s’imposent à la France : la question africaine (risque de migrations massives) et l’est de l’Europe (front qui pourrait être très fragile avec une Russie ambitieuse). Il invite la France à “ne pas laisser le dossier russe aux Allemands”.

Il préconise de “ne pas lâcher la défense française. Notre politique étrangère, nous la devons à l’arme nucléaire notamment”, rappelle-t-il.

Donner plus de pouvoir au Parlement français

Jean-Pierre Raffarin regrette que le Parlement soit peu présent lorsqu’il s’agit de trouver des solutions aux difficultés des Français. Il indique : “Il n’est pas normal que le Parlement français n’ait pas suffisamment de force. Cela provient du fait que les députés sont élus dans la lancée de l’élection présidentielle”. Il préconise de “décaler les élections législatives à mi-mandat pour crédibiliser l’action des députés” et leur donner plus de marges de manœuvre, à l’image de ce qui se fait aux Etats-Unis.

Gouverner en période de pandémie

Jean-Pierre Raffarin s’est ensuite exprimé sur les aides fournies par l’Etat français aux entreprises et aux commerces durant le plus fort de la crise sanitaire. “Gouverner la France n’est pas facile, et ça l’est encore moins en période de pandémie. Bruno Lemaire a fait des choses remarquables pour les entreprises. Le gouvernement a évité la casse maximale. Le chômage partiel et les aides aux entreprises ont tenu notre pays debout. L”attention portée aux entreprises et aux commerces a été cruciale. Ce qui n’empêche pas certaines personnes d’être en très grande difficulté. On n’est pas sortis de l’auberge”.

“Notre pays est affaibli durablement. Il faut de la combativité, du sérieux et ménager notre pays, qui est d’une grande fragilité, et dont l’avenir est en cristal.”

L’ancien Premier ministre indique qu’il est “important de défendre notre tissu de PME, de les aider à aller à l’international. Il faut aider pour l’internationalisation, l’innovation, l’investissement”.

L’élection présidentielle de 2022, une question de leadership

Evoquant l’approche de l’élection présidentielle, Jean-Pierre Raffarin détaille : “La gauche se cherche un chef. Anne Hidalgo fait beaucoup d’erreurs, elle n’a pas de vision (destination) ni de chemin. Elle peine à entraîner les troupes. A gauche, personne ne s’impose. Or, l’idéal c’est le choix du peuple”.

” ‘Il faut au chef comme à l’artiste le don façonné par le métier… le caractère’, disait De Gaulle. Aux Etats-Unis, on considère que tout s’apprend : l’éloquence, la prise de parole en public… En France, on estime que le leadership est inné, qu’il provient du charisme ; c’est une forme de grâce que l’individu exploite. Il faut aussi avoir la capacité à valoriser ses propres talents. Et ne pas user le chef : en Chine, le chef est protégé par le groupe, ici le chef s’expose. En Chine, le chef fait agir les autres. Emmanuel Macron est très présent, mais il faut savoir gérer à la fois la présence et l’absence. Les chefs de l’Etat ne doivent pas trop s’exposer, au risque de lasser, d’être banalisés et de devenir des présidents normaux”, sous-entendu, comme l’était le président Hollande.

Interrogé sur le leadership féminin que Valérie Pécresse pourrait incarner, il indique que cela pourrait être une réponse, mais “pourra-t-elle incarner l’espace politique entre la droite et Emmanuel Macron ? Si oui, étant une femme, ce serait une réponse de modernité à un candidat qui porte déjà la modernité, à savoir Emmanuel Macron”.

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