Le logement peut-il être abordable ? Entretien avec Stéphanie Jannin, Ville de Montpellier
A Montpellier, les efforts en matière de construction de logements sociaux et d’habitat privé sont indéniables. Mais la frange de jeunes ménages, de célibataires, de primo-accédants ou de seniors qui disposent de revenus trop importants pour accéder au social, mais insuffisants pour acquérir dans le libre, reste à l’écart de l’acte d’investir dans la pierre. La Ville de Montpellier et ses partenaires – dont la SERM, les promoteurs immobiliers et l’Ordre des architectes – dans des projets pilotes et expérimentaux pour tenter de répondre à cette attente. But visé : produire du logement de qualité à 2700€ du mètre carré partout dans la ville. État des lieux avec Stéphanie Jannin, l’adjointe à l’Urbanisme de la Ville et déléguée à l’Urbanisme de la Métropole de Montpellier.
L’Hérault Juridique publie, dans son édition papier du jeudi 20 avril 2017 (n°3147), un dossier spécial sur le logement abordable à Montpellier, avec des exemples de projets en cours d’étude. ABONNEMENT en LIGNE.
Stéphanie Jannin, adjointe à l’Urbanisme de la Ville de Montpellier et déléguée à l’Urbanisme de la Métropole de Montpellier, l’interview. Propos recueillis par Daniel CROCI
Pourquoi le logement abordable ?
Stéphanie Jannin : « Un certain nombre de foyers et de ménages, notamment au moment de leur premier achat immobilier, s’éloignent de la métropole, alors que, globalement, ils travaillent sur notre territoire. Si c’est un éloignement par choix, c’est bien ; chacun est libre de faire comme il l’entend. Mais la question financière sous-tend souvent cette prise de décision. En tant qu’élus, nous avons posé le projet de conserver une métropole accessible sur le plan du logement. Philippe Saurel s’est emparé de cette problématique en mettant sur la table une volonté politique forte de construire des logements en adéquation avec les capacités financières des ménages, mais aussi avec leurs attentes en termes de qualité et de confort de vie. Cette réflexion est lancée à la fois sur la ville de Montpellier et sur la métropole. Le futur SCOT intercommunal tiendra compte de cette volonté politique. Le sujet du logement abordable est LE sujet contemporain au niveau du logement. De grandes villes s’en préoccupent, mais nous avons une longueur d’avance sur le sujet. Je rappelle aussi que dans l’Hérault, 70 % des ménages sont éligibles à un logement social. »
Comment faire du logement abordable ?
Stéphanie Jannin :« Cette démarche s’est mise en place autour d’un dispositif « habitat abordable » qui est avant tout, je le répète, une volonté et une question politiques, parce que la stricte logique économique conduit au phénomène des capitales. Quand un territoire comme Montpellier connaît une forte pression à la fois foncière et démographique, la logique économique fait que plus on a de revenus, plus on habite à proximité du centre-ville, et que moins on a de revenus, plus on s’en éloigne. C’est aussi la volonté de Philippe Saurel d’expérimenter, en grandeur nature et de manière concrète, la faisabilité du logement abordable. Je remercie les professionnels parce qu’ils se sont placés dans une vraie démarche de recherche et développement sur cette question. Une vingtaine d’équipes pluridisciplinaires, essentiellement locales, sont en train de réfléchir et de travailler à ce concept. »
« Il y aura aussi du logement abordable sur Parc 2000,
sur Parc Eurêka, et des appels à projets seront lancés
sur les terrains de l’EAI… »
Quelle a été votre démarche ?
Stéphanie Jannin : « Dès 2014, nous avons rassemblé l’ensemble des professionnels de l’immobilier autour de cette question, en leur disant : « Nous avons la volonté politique, vous avez les solutions techniques ; concevons ensemble un cadre réglementaire et juridique viable ». Ensemble – la Fédération des promoteurs (FPI), la Fédération du bâtiment, l’Ordre des architectes, les services de la ville et ceux de la métropole, et l’aménageur Serm – nous avons bâti un cahier des charges dans la concertation, avec des objectifs chiffrés précis et surtout une philosophie de l’habitat abordable à Montpellier. Les premières questions posées aux opérateurs étaient : « Comment construire différemment à Montpellier qu’à Bordeaux, Rennes, Nantes ou Toulouse ? Quel est notre mode de vie ? Quel est notre rapport à l’extérieur, à l’intérieur ? Que sommes-nous prêts à partager et à ne pas partager : les espaces sur le toit, les jardins, une buanderie ? ». Qualité et mode de vie : c’est vraiment l’alliance des deux que nous avons recherchée pour tout préalable. »
La difficulté, c’est le prix de sortie, mais aussi la typologie des appartements ?
Stéphanie Jannin :« Exactement. C’est un véritable projet. Concernant l’évaluation du prix, nous sommes tombés d’accord sur 2 700 € du mètre carré. Mais l’expérimentation va nous montrer si c’est la bonne valeur. Est-ce plus ou moins ? Est-ce le même prix dans tous les quartiers ? C’est l’expérimentation qui nous le dira. Aussi, le cahier des charges part sur une autre formulation : un prix indicatif par logement et non au mètre carré. Même si, peu ou prou, il correspond aux 2 700 € définis. Cela situe le T2 autour de 115 000 € TTC, le T3 à 165 000 € TTC environ et le T4 autour de 189 000 € TTC. »
Combien avez-vous lancé d’appels à projets ?
Stéphanie Jannin :« Nous en préparons de nouveaux, mais 4 appels à projets ont déjà été lancés, dont deux sur les ZAC Ovalie et Les Grisettes. Ils ont été attribués à BPD Marignan pour le premier (lire pages 9-10) et Roxim pour le second. Deux autres consultations sont en cours : à Castelnau-le-Lez, sur la parcelle Agriflor, et celle de Caroux, au Plan des 4 Seigneurs (voir page 8). Pour chaque appel à projets, nous avons sélectionné 5 groupements composés d’une équipe pluridisciplinaire. Nous avons reçu une moyenne de 35 demandes pour chacun de ces appels à projets ! C’est sans doute le signe que ce sujet est d’actualité. Pour la petite histoire, les parcelles situées à Ovalie et aux Grisettes étaient réservées au projet Folies du XXIe siècle lancé par la précédente municipalité ; seuls 3 dossiers de candidature avaient été reçus parce que le projet n’était pas en adéquation financière avec les sites choisis. Avec le logement abordable, ces parcelles trouvent une nouvelle destination qui est un thème porteur auprès des professionnels de l’acte de bâtir et qui correspond aux attentes des futurs acquéreurs.
Où se situent les nouveaux projets ?
Stéphanie Jannin : ” De nouveaux lots viennent de partir à la consultation sur Parc 2000… Un autre a été lancé sur Eurêka à Castelnau. On en lancera également de toute évidence sur les terrains de l’EAI. L’idée est d’être sans cesse en mouvement sur ce travail. Dans les faits, nous n’allons pas arrêter de lancer des consultations. C’est une démarche continue. Il faut, que dans les années qui viennent, ce sujet soit encore en discussion et que d’autres projets émergent. Il y a tellement de situations différentes qui appellent des solutions nouvelles. Il faut aussi sceller juridiquement les choses. »
Sur quels aspects juridiques ?
Stéphanie Jannin : « Très clairement, les clauses antispéculatives. Nous cherchons à installer les gens durablement. »
« Vers une école architecturale
dédiée à l’habitat durable ? »
Souhaitez-vous instaurer du logement abordable dans chaque quartier ?
Stéphanie Jannin : « Cette réflexion est un chantier ouvert sur plusieurs années. Mais il faut que l’on arrive à produire ce logement abordable partout, dans chaque quartier de Montpellier, notamment dans la ville existante. Certains promoteurs qui disposent de foncier en diffus, c’est-à-dire hors ZAC, me proposent d’y expérimenter l’habitat abordable. Nous étudions la question. Les promoteurs savent qu’ils sont sur une démarche de recherche et développement de long terme. La question n’est pas tant les 172 logements qui vont être mis en chantier via les appels à candidatures lancés, mais le mouvement installé dans la durée. »
Vous êtes architecte de profession. Cette vision va-t-elle changer l’architecture dans la ville, l’assagir ?
Stéphanie Jannin : « Il faut aller vers une architecture qui soit juste. On ne peut être dans un effet de mode, dans la mesure où l’on traite un problème de société avec l’habitat abordable. Si cela transforme in fine l’architecture, c’est que nous avions vraiment vu juste. De tout temps, les hommes se sont adaptés à leur contexte et à leurs besoins pour produire des écoles architecturales. Je pense que de la méthode montpelliéraine mise en place pour la réalisation du logement abordable pourra émerger une école architecturale dédiée à cette question hypercontemporaine et cruciale.»
Propos recueillis par Daniel CROCI
L’Hérault Juridique publie, dans son édition papier du jeudi 20 avril 2017 (n°3147), un dossier spécial sur le logement abordable à Montpellier, avec des exemples de projets en cours d’étude. ABONNEMENT en LIGNE.