Procès Charlie Hebdo : chronique de Me Szwarc, avocate montpelliéraine (jour 3)
Me Catherine Szwarc, avocate montpelliéraine, participe actuellement, devant la Cour d'assises spéciale de Paris, au procès des tueries terroristes qui ont décimé notamment la rédaction de Charlie Hebdo du 7 au 9 janvier 2015. Elle livre, jour après jour, ses impressions dans ce procès où comparaissent 11 accusés (3 terroristes étant encore en fuite).
3 septembre 2020.
7h00. L’automatisme s’est installé. L’odeur chaude et sucrée des chocolatines, les grands lassis roses du ciel de sept heures.
Vingt avocats de la défense. Christian Saint-Palais, la prestence. Zoë Royaux la fougue. Me Chevalet, le doyen de l’audience. Me Coutant-Peyre, avocat atypique. Y a-t-il des avocats typiques? Non. Nous avons tous une âme commune profondément ancrée en nous comme les violons. Et un sentiment d’importance. Et pourtant « Nous sommes tous des nains qui nous prenons pour des géants » (bâtonnier G. Christol). Nous sommes tous tellement uniques et tellement semblables aussi. Jaime profondément les avocats.
Quatre-vingts avocats de partie civile. Caty Richard, coriace. Richard Malka, assis avec l’équipe Charlie Hebdo, sous la robe d’avocat, la blessure de la victime. Thibault de Montbrial, auteur de Le Sursaut ou le chaos, Elie, Axel, Marie-Laure, Nathalie…. Nous sommes éparpillés dans 2 salles, avec des problèmes de son qui seront finalement réglés après maintes tergiversations.
D’un côté ou de l’autre de la barre, la même robe, équilibre essentiel à l’œuvre judiciaire. Porter la voix de nos clients. Chacun à notre place, les défendre avec force et loyauté.
C’est cela la France, aussi. C’est le droit, en toutes circonstances, à une défense solide. Pas une défense à demi mot. Non ! La DÉFENSE en lettres majuscules. C’est la noblesse de la robe. C’est la beauté de notre profession.
Des débats animent la salle : le calendrier prévisionnel, trop lourd. Les journées trop longues. Le masque, image d’une justice sans visage. La religion qui aurait ou non sa place ici.
7h25, boulevard Berthier, à 100 m du palais, des gendarmes équipés de Famas, contrôle d’identité, ouverture de sac et cartable… L’Odéon, 4 fourgons blancs en travers de la route (compagnie républicaine de sécurité rattachée à la police nationale). La rue perpendiculaire au palais bloquée par 7 fourgons bleus (escadrons de gendarmerie mobile), les policiers en armes, un peu partout.
Dans le palais, les chiens vérifient les lieux. Au rez de chaussée, le brouhaha des aspirateurs des équipes de nettoyage. Je suis la première.
Il est 8h00. Assise sur mon cartable, j’attends l’ouverture de la salle. Je pense. Quelles impressions d’audience pour des jours passés ?
Le premier jour, lecture fastidieuse du rapport avec l’ordonnance de mise en accusation et sa chronologie froide durant presque 4 heures, à respirer dans le masque.
Le deuxième jour, les interrogatoire d’identité et enquêtes de personnalité de sept des accusés, moment toujours difficile pour les victimes. Une amère impression d’être oubliées, noyées dans les détails de vie et d’enfance de chaque accusé, élément pourtant fondamental dans le procès pénal. L’individualisation de la peine est un principe majeur. On retrouve souvent, dans ces moments de parole des accusés, leur rapport à la loi, leurs discours construits, intelligents, parfois une certaine férocité, mais aussi une sensibilité égocentrée. Des histoires de vie mélangées aux histoires pénales.
Ce moment apportera un éclairage sur les conditions d’incarcération. Je me souviens avoir saisi le défenseur des droits pour un de mes clients incarcéré â la maison d’arrêt de Béziers, paraplégique. Il m’avait raconté les fouilles intégrales, la nudité. Ça m’avait touché. Il oscillait entre la haine et le désarroi causés par l’humiliation ressentie.
Je retrouve ici cette difficile question.
9h30. Nous sommes le troisième jour et l’audience commence. La question du masque est réglée. On parle sans le masque. Les personnalités des accusés sont évoquées. Des phrases s’échappent du box des accusés, relayées par la presse. Les axes des défenses se dessinent. La journée file.
La question de la religion n’est toujours pas abordée… Je bous.
Chaque soir, l’audience se prolonge au-delà de 21h00 avec une pause déjeuner inférieure à une heure. Il est dejà tard, les derniers temoins sont basculé sur lundi.
Et les escortes qui font entrer et sortir les détenus portent des cagoules noires. On ne voit pas leur tête.
Un mauvais film me traverse l’esprit
J’essaie d’attraper le dernier train.