Réformes : le point sur le plafonnement de l’indemnité de rupture abusive
Selon un récent sondage1, les Français veulent une réforme du code du Travail, mais sont en majorité opposés au plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif, qui figure au programme des réformes sociales du président Macron. De quoi s’agit-il exactement ? Eclairage.
En cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, si le salarié a au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 10 salariés, il a droit à six mois de salaire minimum. Si l’une des deux conditions n’est pas respectée, il peut prétendre à une indemnisation en fonction du préjudice subi. Ainsi, si un minimum est prévu en cas de licenciement abusif (sous ces conditions), aucun dispositif de plafonnement n’a été instauré. Le sujet a cependant émergé à deux reprises. D’abord lors de la discussion de la loi « Macron » du 6 août 2015 (l’article 266 a été censuré par le Conseil constitutionnel) puis lors de la discussion de la loi Travail du 8 août 2016. Dans les deux cas, la mise en œuvre de cette idée n’a pas prospéré.
Des référentiels indicatifs
En revanche, des référentiels indicatifs ont été instaurés : un devant le bureau de conciliation (indemnité créée par la loi de « sécurisation de l’emploi » du 17 juin 2013 ; le barème va de deux mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté inférieure à deux ans, à quatorze mois de salaire pour une ancienneté supérieure à vingt-cinq ans), et un devant le bureau de jugement (décret du 23 novembre 2016 / C. trav. Art. R. 1235-22 ; d’un mois de salaire pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté dans l’entreprise, à vingt et un mois et demi de salaire pour plus de quarante-trois ans d’ancienneté).
Cependant, ces barèmes ont fait l’objet de plusieurs critiques. D’une part, ils ne sont qu’indicatifs – donc pas obligatoires ni pour les parties, ni pour le juge – d’autre part, il paraît étrange, voire paradoxal, d’avoir deux barèmes différents (un devant le bureau de conciliation et un devant le bureau de jugement). Enfin, un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 10 salariés a droit à six mois de salaire minimum dans le cadre de dommages et intérêts pour rupture abusive. Or, le référentiel prévu devant le bureau de jugement ne prévoit que trois mois de salaire pour le salarié dans la même situation !
Pourquoi un plafonnement ?
L’idée serait de lever « la peur d’embaucher » avancée par le patronat, la mesure permettant de quantifier le coût potentiel d’un licenciement abusif. Et connaître à l’avance l’indemnité d’un licenciement permettrait de réduire à la fois le temps du jugement et l’imprévisibilité, les juges devant juste se référer à ce barème pour déterminer le montant de l’indemnité. En revanche, pour certains magistrats, ce système de minimum et de maximum constitue une véritable défiance à leur égard.
Le plafonnement s’applique-t-il dans d’autres pays ?
De nombreux pays se sont orientés vers un barème d’indemnités de rupture abusive afin d’éviter toute dérive des juges.
• Certains Etats pratiquent un système de plafonnement très simple. Comme Monaco, la Bulgarie et l’Estonie, où les indemnités de rupture abusive sont plafonnées à six mois de salaire maximum si le salarié n’atteint pas l’âge lui permettant de percevoir une pension retraite. En Albanie et Slovaquie, le plafonnement s’élève à un an de salaire maximum. En Slovénie, à dix-huit mois de salaire maximum. Et en Finlande, en Irlande et au Maroc, à vingt-quatre mois de salaire maximum.
• En Italie, le « Jobs Act » de 2015 a introduit un système plus subtil. En cas de licenciement jugé injustifié, dans les entreprises de plus de 15 employés, l’indemnisation est égale à deux mois de salaire par année d’ancienneté (minimum quatre mois et maximum vingt-quatre mois). Pour les entreprises en deçà de cet effectif, l’indemnisation s’élève à un mois de salaire par année d’ancienneté (minimum deux mois, maximum six mois) .
Est-il légal ?
Oui, sous certaines conditions ! D’abord, aucune disposition ne peut interdire à une convention collective de plafonner une indemnité de licenciement, dès lors que le montant se révèle au moins aussi favorable que le minimum prévu par le code du Travail. Pourquoi ce qui est valable dans le cadre de l’indemnité de licenciement ne le serait-il pas dans le cadre de l’indemnité de rupture abusive ?
Ensuite, le Conseil constitutionnel a statué sur la validité de ce système de manière très motivée1. Si le critère de l’ancienneté du salarié est pertinent, il n’en va pas de même de celui relatif à l’effectif de l’entreprise. Mais les sages n’ont pas rejeté le principe même du plafonnement des indemnités. Ils ont jugé qu’il était loisible au ministre de favoriser l’emploi en levant certains « freins ».
Quelles suggestions peut-on formuler ?
Pour éviter toute censure par le Conseil constitutionnel, il convient de ne pas tenir compte, dans le barème obligatoire, du nombre de salariés dans l’entreprise !
D’autre part, ce barème constitue un plafond, avec cependant un équilibre à trouver entre le légitime souci du salarié de voir son préjudice réparé et l’intérêt économique de l’entreprise.
Enfin, il faut que ce plafonnement soit simple, pratique et proche du terrain. On pourrait suggérer par exemple les montants suivants : trois mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté inférieure à deux ans ; six mois entre deux et moins de huit ans d’ancienneté ; dix mois de salaire entre huit ans et moins de quinze ans ; quatorze mois s’il a entre quinze et vingt-cinq ans d’ancienneté ; et jusqu’à dix-huit mois de salaire si le salarié justifie d’une ancienneté supérieure.
Limiter les exceptions
Il serait également souhaitable de limiter autant que possible les exceptions à ce plafonnement. Or, justement, l’article 266 du projet de loi Macron, retoqué par le Conseil constitutionnel, prévoyait une kyrielle d’exceptions au principe. Par exemple en cas de faute de l’employeur d’une particulière gravité, caractérisée par des faits de harcèlement moral ou sexuel, de licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle ou de corruption, par la violation de l’exercice du droit de grève ou d’un mandat de salarié protégé, par violation de la protection dont bénéficient certains salariés (maternité, accident du travail…), l’atteinte à une liberté fondamentale. En outre, il ne pouvait s’appliquer en cas de nullité du licenciement économique.
Ainsi, un tel barème, qui peut se comprendre, demande à être mûrement réfléchi !
François TAQUET, avocat, spécialiste en droit du travail et protection sociale, et B. L.
1 Décision n° 2015-715 du 5 août 2015.
Rénovation du modèle social : précisions et calendrier. Le Premier ministre, Edouard Philippe, et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ont dévoilé, le 6 juin, la feuille de route des réformes sociales. Le projet de loi d’habilitation, qui permet au gouvernement de demander au Parlement le droit de légiférer par ordonnances, devrait être présenté en Conseil des ministres le 28 juin prochain, pour permettre son adoption par le Parlement du 24 au 28 juillet. Les ordonnances porteront sur trois thèmes : « la nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche », « la simplification et le renforcement du dialogue économique et social et de ses acteurs » et « la sécurisation des relations de travail ». Dans ce dernier volet figure l’instauration d’une « barémisation » des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes en cas de licenciement abusif, avec un plancher et un plafond. Les projets d’ordonnance seraient transmis au Conseil d’Etat au plus tard fin août, pour une adoption en Conseil des ministres le 20 septembre. Le gouvernement poursuivra une concertation avec les partenaires sociaux tout l’été : pas moins de 48 rendez-vous sont prévus d’ici le 21 juillet. Il s’attaquera, dans un second temps, à la « sécurisation des parcours professionnels » (apprentissage, assurance chômage, formation professionnelle), pour soumettre au Parlement un projet de loi qui y sera dédié au printemps 2018, puis à la rénovation du système de retraites.