Professions du droit et du chiffre — Béziers

René Condomines : "les conciliateurs de justice méritent davantage de reconnaissance"

Conciliateur de justice depuis 2018, René Condomines apporte un éclairage sur sa fonction, qu'il exerce à titre bénévole…

Il y a 2 800 conciliateurs de justice en France. La cour d’appel de Montpellier en compte 100 sur son ressort, dont René Condomine, affecté au tribunal de Béziers. Un homme au parcours riche et passionnant. Ancien chef d’entreprise, juge au tribunal de commerce de Béziers pendant 14 ans, il a aussi été le président régional de CCI International pendant une dizaine d’années. Compétent sur tout le ressort de la cour d’appel de Montpellier, il œuvre depuis cinq ans en tant que conciliateur de justice au tribunal judiciaire de Béziers. Interview…

Qu’est-ce qu’un conciliateur de justice ?

René Condomines : “Auxiliaire de justice, le conciliateur de justice est formé, assermenté, bénévole. Sa mission est de concilier pour réconcilier. Il rapproche les gens, les fait parler entre eux pour aboutir à un constat d’accord… ou parfois à un échec. Par ailleurs, les propos qui sont tenus lors des réunions sont strictement confidentiels et ne peuvent pas être utilisés devant la justice. Selon moi, un mauvais arrangement à l’amiable vaut mieux qu’un bon procès.”

Quel type de litiges vous sont soumis et à quelle étape intervenez-vous ?

René Condomines : “Le conciliateur de justice intervient de façon obligatoire pour toute affaire concernant des litiges de moins de 5 000 euros. Au-delà de 5 000 euros, il n’y a pas d’obligation, mais il peut prendre en charge le dossier. Nous pouvons être saisis directement, par les parties, mais aussi par le juge, à l’occasion des audiences de mise en forme au tribunal judiciaire. Le conciliateur est amené à traiter des sujets tels que les nuisances de voisinage, les baux d’habitation, les litiges de consommation, les problèmes de copropriété, les litiges entre commerçants, les différends entre personnes, les litiges en matière prud’homale et le droit rural. Il ne peut pas être saisi concernant des affaires familiales ou pénales. Je tiens à préciser que pour garder ma liberté et traiter les dossiers en toute impartialité, je n’exerce pas sur la commune de ma résidence principale”.

Combien traitez-vous d’affaires chaque année ?

René Condomines : “En 2022, j’ai instruit et suivi 108 dossiers, ce qui signifie que j’ai travaillé sur les dossiers, envoyé des courriers, des e-mails, souvent téléphoné et rencontré les gens chez eux ou dans mes permanences. En général, étant moi-même un ancien chef d’entreprise et juge du tribunal de commerce, j’évite de trop déranger et faire déplacer les plaignants et les défendeurs. Mais je fais en sorte de faire avancer les dossiers, ce qui, à notre époque, est facilité par les moyens modernes de communication (e-mails, visios, etc.).”

Comment se soldent les dossiers, en général ? Entre l’accord amiable, le constat d’échec et le constat de carence, quels sont les plus fréquents ?

René Condomines : “En 2022, les 108 dossiers se sont conclus par 42 % de constats d’accord, 10 % sans suite, une vingtaine de pourcents de carences, le solde en constats d’échec. Il y a de plus en plus de constats d’échec car, attirés par la gratuité, les gens se dirigent de plus en plus vers le conciliateur. Je m’en réjouis car cela désengorge d’autant les tribunaux. Ils apprécient de passer par le conciliateur. C’est une première étape sans engagement financier et aussi pour savoir si ce qu’ils demandent est fondé. La résolution du litige évite une procédure longue et coûteuse.”

En effet, passer par un conciliateur présente l’avantage de la gratuité…

René Condomines : “C’est un avantage majeur mais ce n’est pas le seul avantage. Le passage devant le conciliateur offre aussi l’avantage de la rapidité. En moyenne, il faut trois mois pour traiter un dossier. Parfois c’est beaucoup plus rapide, d’autres fois c’est plus long. En ce moment je travaille sur deux dossiers de novembre. Ils viennent juste d’aboutir. Autre atout, les constats d’accord ont une valeur juridique. Autrement dit, ils ont valeur de contrats. On peut même obtenir une force exécutoire en les faisant homologuer (gratuitement) par notre juge référent et coordonnateur au tribunal judiciaire.”

Quels sont les impératifs et difficultés auxquels est confronté le conciliateur de justice ?

René Condomines : “Le conciliateur ne doit pas donner de conseils ni de préconisations. Il tempère et crée les conditions favorables pour parvenir à un accord à l’amiable en dépassionnant le débat. Ma difficulté est que pour moi qui ai été juge du tribunal de commerce, il peut être frustrant de ne pas pouvoir expliquer aux parties qu’elles ont raison ou tort, de ne pas pouvoir les conseiller, de ne pas pouvoir leur indiquer les textes sur lesquels elles peuvent s’appuyer. Je peux par contre orienter vers des services compétents pour répondre aux demandes. Mais je m’en tiens au rôle qui m’a été dévolu”.

Vous évitez bien souvent aux citoyens le passage devant le tribunal.

René Condomines : “Je dis souvent que le constat d’accord est mon salaire, ma récompense de bénévole. Les conciliateurs ont une vraie utilité pour désengorger les tribunaux et apaiser les différends. Et pas uniquement pour les petits litiges : j’ai été amené à traiter des sujets importants. Récemment j’ai fait homologuer au juge un échéancier de paiements d’une valeur totale de 18 000 euros.”

Pourtant, vous considérez que les conciliateurs ne sont pas suffisamment connus et reconnus…

René Condomines : “Oui. D’ailleurs, mon ami Pierre Batoche, qui connait bien les arcanes de la politique, m’a conseillé de contacter la députée de ma circonscription, Emmanuelle Ménard. Je l’ai convaincue de poser une question écrite à ce sujet au gouvernement en février 2023. J’estime que notre travail et notre engagement ne sont pas assez connus et reconnus. Sur les entrées d’audiences solennelles par exemple, jamais le nom du conciliateur n’est cité, sauf cette année parce que j’en ai fait la demande expresse auprès de ma juge coordinatrice.

Egalement, beaucoup de nos concitoyens ne connaissent pas l’existence des conciliateurs de justice. Les médiateurs font beaucoup de lobbying, alors que les conciliateurs, beaucoup moins. Et cela nous nuit. Pourtant notre accompagnement est gratuit, pas celui des médiateurs !

Alors, avec la Fédération Nationale des conciliateurs de justice à laquelle sont rattachées toutes les associations des cours d’appels, dont le président pour le ressort de la cour d’appel de Montpellier est Jean-Louis Juan, conciliateur de justice à Sète, nous essayons de faire connaître notre rôle, d’expliquer nos missions au plus grand nombre.”

Le bénévolat n’est-il pas lourd à assumer sur le long terme ?

René Condomines : “J’ai à mon actif quatorze années de bénévolat au tribunal de commerce, j’ai aussi été bénévole à la Chambre de commerce pendant deux mandatures avec des missions importantes… et ça ne me pèse absolument pas ! J’ai envie de rendre à la société ce qu’elle m’a apporté. C’est ce qui m’anime.”

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