Tourisme : le droit à la plage

En ces temps estivaux, les Français affectionnent tout particulièrement les plages. Mais à qui appartiennent-elles ? Qui les administre, et peut-on s’y installer librement ? Le point sur ces questions ; l’occasion de revenir sur des références assez désuètes.

A qui les plages appartiennent-elles ?

Dans une décision de 1858, le Conseil d’État qualifiait les plages de France de « domaine public maritime de l’Etat ». Dans cette affaire, le ministre des Finances de l’époque avait consenti à la commune de Trouville (Calvados) le droit de louer une portion de plage, mais seulement sous la réserve suivante, exprimée dans un langage bien de l’époque : « Cette location ne privera point les particuliers du droit commun de pêcher, d’échouer, de réparer des chaloupes ou bâtiments, de se promener, de pratiquer la grève comme voie de communication, ni même de prendre des bains en se soumettant aux mesures qui auraient été arrêtées pour assurer l’administration, la surveillance et la police des bains ».

Cette décision pose le principe, jamais remis en cause depuis, que les rivages de la mer font partie du domaine public maritime : tout le monde a le droit d’y accéder librement. Autrement dit, ce domaine est inaliénable : il n’appartient à personne et personne ne peut en réclamer la propriété. Des atténuations à ce principe restent cependant possibles, mais elles sont très réglementées.

Comment déterminer l’étendue d’une plage ?

Les marées, le sable poussé par le vent ou tout autre élément météorologique peuvent modifier les limites d’une plage. Pendant très longtemps, pour déterminer l’étendue du domaine public maritime, le droit français faisait référence à des textes très anciens. Ainsi, jusqu’à une réforme de 2006, les textes faisaient explicitement référence à l’ordonnance Colbert de 1681 qui définissait le « bord et rivage de la mer » comme « Tout ce qu’elle [la mer] couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». Le juge administratif était donc parfois amené à se demander jusqu’où allait « le grand flot de mars »
Toutefois, dans un arrêt du 12 octobre 1973, le Conseil d’Etat a pris la peine d’actualiser la définition : l’ordonnance Colbert doit être entendue « comme fixant la limite du domaine public maritime, quel que soit le rivage au point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre, en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ». Cette définition a été reprise dans la législation actuelle.

Qui administre les plages ?

Les plages appartiennent donc à l’Etat, mais c’est le représentant de l’Etat dans la commune – le maire, donc – qui va administrer les plages situées sur le territoire de sa commune. D’une part, il exerce un « pouvoir de police administrative ». A ce titre, il est responsable de la sécurité, de la sûreté et de la salubrité publiques sur la plage communale. Il sera ainsi responsable de la propreté de la plage, et devra aussi prendre toutes les mesures nécessaires pour que la baignade puisse s’y dérouler en toute sécurité, etc. D’autre part, c’est lui qui accorde des atténuations au caractère inaliénable de la plage (concessions de plage).

Quels sont les assouplissements au caractère inaliénable des plages ?

Premier assouplissement

Le principe est clair : la plage fait partie du domaine public. Mais comme tout principe, l’inaliénabilité du domaine public peut être modérée. Le premier assouplissement est la possibilité même de sa remise en cause, offerte par l’article L. 3111-2 du code général de la Propriété des personnes publiques : « Le domaine public maritime et le domaine public fluvial sont inaliénables, sous réserve des droits et des concessions régulièrement accordés avant l’édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux ».

Cet édit, pris par le Roi de France, Charles IX, en février 1566, eut pour effet de « geler » le domaine public. Curieusement, ce texte reste, aujourd’hui encore, un document important pour le droit public français : si une personne désire revendiquer un droit de propriété sur un domaine public par nature (la mer et ses rivages, les rivières navigables, le sous-sol d’une voie publique, etc.), il lui faudra justifier d’un acte de propriété antérieur à l’édit de Moulins. Cette règle étrange donne évidemment lieu à des situations cocasses à l’occasion desquelles les juges administratifs se penchent sur des textes très anciens et essaient de déterminer s’ils constituent ou non de véritables titres de propriété. Cela a été le cas pour un arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2017 : dans cette affaire, une société bordelaise, qui possédait des bâtiments industriels sur le domaine public, prétendait que l’Etat la dépossédait de sa propriété ; elle lui réclamait 10 millions d’euros au titre du préjudice subi. Le Conseil d’Etat n’a cependant pas considéré les textes invoqués par la société comme de véritables titres de propriété : « Ni les lettres patentes du 17 mai 1462 – par lesquelles le roi avait concédé à Jehan de Foix, comte E…, la propriété utile des ‘ terres et seigneuries du captalat de Buch ‘ – ni la ‘ baillette à fief nouveau’ , consentie le 23 mai 1550 par Frédéric de Foix aux habitants des paroisses de La Teste Gujan et Cazeau, ne constituaient, par elles-mêmes, des titres établissant l’existence de droits de propriété, régulièrement acquis antérieurement à l’édit de Moulins sur les parcelles en cause ».

Second assouplissement

Le second assouplissement au principe d’inaliénabilité des plages tient dans le fait qu’elles peuvent faire l’objet d’une concession. Le gérant d’un bar ou d’un hôtel qui désire installer une partie de ses équipements sur la plage devra obligatoirement suivre une procédure très stricte et répondre à de nombreux critères pour être en règle. Cette installation sur le domaine public ne peut se faire que six mois par an au maximum et oblige, évidemment, à verser une cotisation. Ces « concessions de plage » sont conclues avec les communes pour une durée maximale de douze ans. Et l’article L. 321-9 du code de l’Environnement prévoit que « Les concessions de plage préservent la libre circulation sur la plage et le libre usage, par le public, d’un espace d’une largeur significative tout le long de la mer ». Dans ces conditions, on peut s’étonner du fait que, lors de sa venue en France durant l’été 2015, le roi Salmane d’Arabie Saoudite ait « privatisé » une plage de Vallauris. A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit dans la presse, la plage étant complètement interdite d’accès à tout public pendant une semaine. Au regard de cet article, cette « privatisation » était illégale…

Nicolas TAQUET, juriste

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