Société — Montpellier

Vécu : "j'ai dû quitter mon compagnon, violent, et me reconstruire"

Barbara*, 46 ans, revient sur un moment particulièrement difficile de sa vie. Elle vivait avec un homme à double facette, adorable souvent, très violent parfois. Heureusement, au fil des années, elle a fini par dépasser ce traumatisme. Récit…

Hérault Tribune vous proposera au fil des semaines une série de témoignages de personnes qui ont vécu ou vivent ce que l’on nomme pudiquement “les difficultés de la vie”, et qui sont en plein combat, ou s’en sont sorties. Vecteurs d’espoir ou montrant la noblesse de ces vies humaines, ces témoignages peuvent être de nature à encourager des personnes qui se trouveraient dans le même cas. Après le témoignage de Ludivine Perret sur son combat face au Covid-long, qui avait inauguré cette série, voici l’histoire vraie de Barbara*…

La rencontre et le bonheur

Barbara se souvient : “Quand j’ai rencontré Julien**, je sortais d’une séparation. Récemment arrivée dans le Sud, je travaillais chez moi en télétravail après avoir connu une intense vie professionnelle à Paris. Chef cuisinier dans un bon restaurant, Julien était gentil, charmant, toujours prêt à rendre service. Il se proposait toujours pour porter les courses des vieilles dames dans les escaliers. Contrairement à mon précédent compagnon, il était chaleureux, aimant, et non pas froid et distant. Nous nous sommes rapprochés, et avons emménagé ensemble quelque temps après dans un grand et bel appartement, à Montpellier. Il avait une fille. Ne pouvant pas avoir d’enfant, je nageais dans le bonheur, d’autant qu’elle était très gentille avec moi. Je croyais prendre un nouveau départ dans la vie…

Des sautes d’humeur

La relation avec lui m’a rendue heureuse pendant un temps. Mais au fil des mois, je me suis rendu compte qu’il avait facilement des sautes d’humeur. Je l’expliquais par son diabète, qui lui faisait vivre des hauts et des bas. Je ne savais jamais s’il allait être dans un état normal ou énervé, donc progressivement, j’ai appris à prévenir les conflits, évitant de donner mon avis lorsque je savais que cela ne lui plairait pas, par exemple.

Je faisais de plus en plus profil bas, surtout après les repas arrosés, craignant ses réactions. Allait-il parvenir à garder son calme ou se fâcherait-il contre moi au moindre prétexte ? Je n’avais jamais eu l’habitude de me laisser marcher sur les pieds, mais là je me sentais engluée dans la relation, incapable de réagir, sans forces.

Jalousie et alcool

Mon compagnon devenait de plus en plus jaloux, mettant sa main sur le capot de ma voiture pour vérifier si j’étais partie en son absence. Si le capot était chaud, il s’emportait aussitôt, me reprochant d’être allée voir un homme.

Régulièrement, nos moments passés ensemble étaient ponctués par ses cris, les yeux exorbités, quand il s’adressait à moi. Poignet tordu, placage contre le mur, tout était bon pour passer sa colère.

Lorsqu’il buvait, il devenait incontrôlable. Un soir, alors que nous revenions d’un repas chez des amis, je lui ai proposé de conduire à sa place, car il avait trop bu. Il m’a fait une scène devant chez eux, hurlant au point de réveiller les voisins. Pour éviter que tout le quartier ne soit embêté, je l’ai laissé conduire. Sur la route, il zigzaguait. Je me cramponnais. Puis je lui ai demander de s’arrêter car j’avais trop peur. Il s’est mis à accélérer à une vitesse folle, écrasant l’accélérateur de toutes ses forces. Il a pris un virage puis s’est dirigé à toute vitesse vers un mur, comme pour me punir. Je me suis débattue dans la voiture, tentant de lui arracher le volant pour rétablir la trajectoire. Il a fini par piler à quelques mètres du mur, me causant l’une des plus grandes frayeurs de ma vie.

“A qui me confier ?”

Arrivée depuis peu à Montpellier, exerçant mon activité professionnelle en télétravail, loin de ma famille, j’avais tissé très peu de liens d’amitié. Alors à qui me confier ? Surtout pas à mes parents, que je ne voulais pas inquiéter. Ni à mes anciennes amies parisiennes, qui n’auraient pas compris que je ne le quitte pas immédiatement. Mais je devais m’organiser. Je ne pouvais pas partir si facilement, sans un toit pour me loger.

Le jour où j’ai appelé sa sœur pour tout lui raconter, elle a minimisé les faits, me faisant valoir à quel point son frère rendait service à tout le monde, à quel point il était gentil. Dix minutes auparavant, il venait de me coincer dans la salle de bains et de me violer.

Je suis même allée consulter un médecin, pour lui parler de son comportement et savoir si une personne qui avait des propensions à la violence pouvait changer. Le médecin m’a dit que c’était peu probable…

Trouver le bon moment pour le quitter

Alors j’ai patienté, attendant le bon moment pour le quitter. J’ai cherché un autre emploi, en présentiel, pour ne plus être à sa merci dans la journée. J’en ai trouvé un très rapidement, car j’avais accumulé d’excellentes compétences professionnelles. Le fait de me retrouver dans un environnement sain de travail, autre que notre appartement, m’a permis de reprendre un peu confiance en moi.

Et j’ai trouvé la force de lui annoncer que je le quittais.

Un nouveau calvaire a commencé. Il s’est mis à pleurer, il a rampé à mes pieds, s’excusant de sa violence passée, me promettant de ne plus jamais être violent envers moi. Il a passé la nuit assis par terre au pied de “notre” lit, pleurant, gémissant. Impossible de fermer la porte de la chambre, car il n’y avait pas de clé. J’avais si peur qu’il fasse une bêtise, peur aussi qu’il me fasse du mal.

Le lendemain matin, il m’a violée, en me disant “c’est pour te dire au revoir”. Je suis allée travailler, les yeux rougis, comme souvent. Mon supérieur hiérarchique m’a demandé ce qu’il se passait, et je me suis effondrée, en larmes, lui expliquant la situation. Il m’a encouragée, me disant que je valais mieux que ce que cet homme me faisait vivre. J’en avais conscience, mais je devais trouver des solutions.

Fuir pour survivre

Et j’ai commencé à mettre au point un plan pour fuir. Je n’avais aucun endroit où me réfugier, et je savais qu’il me chercherait partout, qu’il ne me laisserait pas le quitter facilement. Et il fallait que j’emmène dans ma fuite mon chien chéri, qui me réconfortait tant quand mon compagnon me brutalisait. J’avais tellement peur qu’il s’en prenne à lui pour me faire du mal !

Le soir même, en rentrant à l’appartement, j’ai été médusée. Mon ex avait disposé des couronnes mortuaires plein l’entrée de l’appartement, ainsi que des bouquets. Et il m’attendait. Il m’a demandé de l’épouser. J’ai bien évidemment refusé. Puis tout s’est enchaîné comme dans un mauvais téléfilm. Il m’a alors dit que je n’appartiendrais jamais plus à quelqu’un d’autre, et que puisque je voulais le quitter, autant que je meure.

Il m’a empoignée et traînée de force jusqu’au balcon. J’ai immédiatement compris qu’il allait me jeter du quatrième étage. N’écoutant que ma rage de vivre, je lui ai alors hurlé qu’il n’était pas un homme, qu’il était méprisable, bête, que c’était lui qui ne méritait pas de vivre. Il m’a alors lâchée, hébété, comme sous l’effet d’un électrochoc.

L’occasion de m’enfuir s’est présentée. C’était maintenant ou jamais. J’ai immédiatement repensé aux clés de l’appartement de vacances de ma tante, qui se trouvaient dans le placard de l’entrée. Je lui avais proposé d’emprunter ses clés quelques semaines auparavant pour aérer son appartement en cours d’année. N’écoutant que mon envie de vivre, j’ai couru jusqu’au placard, empoigné les clés de son appartement, mes clés de voiture, appelé mon chien pour qu’il me suive, et j’ai dévalé les escaliers des 4 étages quatre à quatre. Une fois dans la voiture, je l’ai verrouillée et je suis partie en trombe, le chien affolé à mes côtés.

Sauvée !

Quasiment une demi-heure plus tard, j’arrivais dans l’appartement de ma tante, à Port-Camargue. Un studio minuscule dont mon ex-compagnon ne connaissait pas l’adresse, et qui conviendrait parfaitement pendant quelques mois, le temps que je trouve un appartement plus grand.

N’ayant emporté aucun vêtement avec moi, j’ai dû en racheter pour me rendre au travail les semaines suivantes. Quand j’étais au bureau, je craignais qu’il ne s’y rende pour faire un esclandre, ou qu’il ne m’enlève à la sortie, puisqu’il connaissait l’adresse de mon employeur. Quand je promenais mon chien, je regardais toujours autour de moi. J’avais tellement peur qu’il surgisse et me frappe ! J’étais très apeurée, toujours sur le qui-vive.

Parler de l’indicible et réapprendre à vivre

Progressivement, il m’a fallu expliquer à mes parents, qui habitaient à 600 kilomètres, que j’avais déménagé, et pour quelles raisons j’avais quitté mon compagnon. Je n’ai d’abord lâché que des bribes d’informations, pour ne pas les catastropher. Puis la parole s’est libérée, les mois passant, avec mon employeur, mes collègues de travail également.

Pendant longtemps, j’ai fait des cauchemars. Je revoyais les moments si douloureux qu’il m’avait fait vivre. Je me sentais coupable d’avoir laissé sa fille avec lui, bien qu’il n’ait jamais levé la main sur elle, en tout cas en ma présence. Au bout d’un an, il m’arrivait encore de faire des cauchemars, mais moins souvent.

J’ai consulté un psy qui m’a permis de regarder cette période avec distance. Aujourd’hui, j’ai de nouveaux amis, des relations sympathiques avec mes collègues, un travail qui me plaît. Autrement dit beaucoup de chance. Mais je pense à celles qui ont moins de chance que moi, qui n’ont pas les moyens financiers de quitter le foyer, qui ne parviennent pas à s’échapper des griffes de leur compagnon, et qui y perdent leur âme, ou même la vie.

Il m’arrive encore de trembler en pensant à cette période si affreuse, et surtout à l’idée de le recroiser un jour. Dernièrement, après avoir cauchemardé de lui deux nuits de suite, j’ai craint à une prémonition dont je ne saurais pas interpréter les signes.

Aujourd’hui, je regrette bien évidemment de l’avoir rencontré, mais aussi de ne pas avoir porté plainte contre lui. Car cela aurait peut-être pu le faire réfléchir à sa violence. Que la justice l’aurait peut-être puni. Mais je n’étais pas en état de le faire à l’époque. Je ne voulais pas être vue comme une victime. Je voulais passer à autre chose. Mais je ne veux pas vivre avec des regrets. Je vais de l’avant. Cette expérience m’a appris que l’on peut se remettre de tout, même d’avoir été insultée, frappée, souillée. Et que la résilience existe. Que la joie de vivre revient, avec le temps. Que la bienveillance existe dans le regard des autres, et que parfois il faut savoir demander de l’aide pour en obtenir, ce que je n’ai pas su faire à l’époque…”

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*Ce témoin ayant préféré rester anonyme, nous lui avons donné le prénom de Barbara.
** Le prénom a été changé.

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