Faits divers — l'Agglo Hérault Méditerranée

CAP D’AGDE INSOLITE – Un mythomane tente d’acheter pour 20 millions d’euros de biens immobiliers

C’est une histoire rocambolesque dont se seraient bien passés les agents et promoteurs immobiliers de la région agathoise. Un sexagénaire, vraisemblablement atteint de mythomanie, a signé devant notaire pour 20 millions d’euros d’achats de biens immobiliers avant de disparaître.

Un homme d’affaires, la soixantaine élégante

L’homme a la soixantaine élégante et dit habiter dans le Var. Un jour de printemps post-Covid, Didier S. a décidé de faire un retour remarqué dans sa région natale du côté d’Agde, sur le littoral héraultais. Autant dire qu’il n’aura pas raté son coup !

Si l’homme est parfaitement inconnu à Agde, il porte un nom qui parle dans la cité de la perle noire. Ses 2 frères, mécaniciens hors pair, y jouissent d’une excellente réputation et cela n’a pas échappé à ce frère aîné, qui tient manifestement à faire lui aussi bonne figure en débarquant à Agde.

En berline noire et accompagné de son épouse, le sexagénaire pousse la porte de différentes agences immobilières et y raconte une histoire séduisante : « je suis un homme d’affaires international et je viens de gagner une commission de 30 millions d’euros dans le cadre d’une grosse transaction internationale. J’ai décidé d’en investir les deux tiers en immobilier dans la région de ma famille, à Agde et au Cap d’Agde. Je suis donc à la recherche d’une multitude de biens de luxe à acquérir. »

Une aubaine pour les agences immobilières

« C’est un peu le genre de clients que l’on attend toute une vie. En quelques instants, il peut rapporter gros. Il disait disposer de 20 millions d’euros à investir immédiatement sur le marché immobilier agathois » se souvient encore cet agent immobilier qui préfère garder l’anonymat. « Il était tellement persuasif dans ses propos que nous n’avons pas trop cherché à comprendre et nous avons commencé les visites avec lui

« On avait l’impression de jouer au Monopoly avec lui, il achetait tout ce qu’on lui faisait visiter, c’était incroyable » se souvient un autre.

Un fin négociateur

Pour rendre sa démarche plus crédible, Didier S. n’hésitait à demander des détails sur la construction, et même à se montrer fin négociateur.

« Un jour, nous l’avons amené dans une villa qui était à la vente en bord de mer au Grau d’Agde » se souvient un agent immobilier. ” Une fois la visite terminée, il m’a indiqué que l’endroit lui plaisait et qu’il allait faire une offre écrite. Dès le lendemain, j’ai reçu un mail de sa part indiquant qu’il faisait une offre au prix sur cette maison sous réserve que l’actuel propriétaire équipe le jardin d’une dizaine de palmiers. Il souhaitait que cette plantation se fasse au plus vite afin que les arbres soient bien enracinés dès qu’il emménagerait dans les lieux d’ici quelques mois. » Ni une ni deux, le propriétaire s’est exécuté et a acheté pour 15 000 euros de palmiers washingtonia. Didier S. n’a manqué de saluer l’heureuse initiative et a ordonné une signature de compromis devant notaire. L’homme d’affaires venait d’investir 1,5 million, sans conditions suspensives.

Dans le même secteur de l’avenue du littoral au Grau d’Agde, il s’intéresse à un vaste ensemble immobilier en cours de construction. La résidence, qui dispose d’une dizaine de logements donnant directement sur la plage, est initiée par un promoteur local, bien connu dans le monde sportif agathois. Ce dernier raconte : « un jour, un agent immobilier sétois m’appelle et m’indique qu’il a un acquéreur pour l’ensemble de la résidence. Je venais juste de commencer le gros œuvre et n’avais pas encore établi une gamme de prix. J’ai proposé un montant global assez haut, me gardant ainsi une bonne marge de 20 % de négociation. Le lendemain, l’agent immobilier m’indiquait que l’acquéreur avait fait une contre-proposition en négociant un rabais de 100 000 euros, alors que la vente portait sur plus de 10 millions d’euros. J’ai bien entendu immédiatement accepté. Pour moi, il s’agissait d’une véritable aubaine, le chantier était à peine commencé qu’il était déjà entièrement vendu et au prix fort en plus » se souvient le promoteur.

L’homme qui fait briller le soleil des agences immobilières et des vendeurs est alors traité comme un VIP. « Quand on signe une vente à 10 millions d’euros, ça mérite bien de choyer le client. Je l’ai amené dans les plus beaux restaurants de la région. Il m’a coûté une blinde en restos et en pinards ! » se lamente encore un agent immobilier.

Un terrain acheté depuis sa voiture

Au cours d’un de ces repas, ce dernier lui indique qu’il vient de rentrer à la vente un terrain de 5 000 m2 au Grau d’Agde. Didier S. demande à le visiter sans tarder. Immédiatement après le dessert, le duo se rend sur place et l’affaire est conclue. « Ce jour-là, il n’est même pas descendu de la voiture, il m’a dit : ‘il fait trop chaud pour sortir et l‘herbe n’est pas coupée. Je préfère rester sous la clim dans la voiture, mais ne vous inquiétez pas, je connais bien les lieux, j’y ai passé mon enfance, je suis séduit, c’est ok pour moi’. 

Il y en avait pour 1 500 000 euros, ça valait bien un petit magnum de champagne à prendre dans la foulée sur une plage privée. Il m’a coûté cher, mais en même temps, je venais de rentrer 300 000 euros de commissions potentielles. »

Dans la semaine, il a ainsi franchi la porte d’une dizaine d’agences, accumulant les offres d’achats. « C’est simple, en dix jours, il a acheté pour 20 millions de biens sur la commune » se souvient une énième agence immobilière, elle aussi tombée dans le panneau de la séduction de cette belle histoire.

Une notaire locale « attitrée »

Il faut dire que « l’homme d’affaires » impressionne par sa prestance et semble savoir ce qu’il veut en se montrant souvent exigeant. Il ne manquait pas de mentionner dans ses offres d’achat écrites qu’il passerait l’ensemble des achats au sein d’une étude notariale unique en qui il avait une très grande confiance.


Cette dernière, installée dans un village à proximité d’Agde, a vu un jour débarquer cet homme dont elle affirme n’avoir aucun souvenir. Pourtant, l’homme lui soutient qu’il souhaite passer l’ensemble des actes en son étude. Là aussi, devant la somme colossale des actes potentiels à venir, l’officier du ministère public commence la rédaction des actes. Au total, une quinzaine d’actes pour un montant global de 20 millions d’euros. Le tout sans aucune condition suspensive de financement.

Un homme bienveillant envers sa famille

Tout ce petit monde termine tranquillement son été après cette folle semaine et personne ne s’inquiète véritablement de la suite. « Nous étions tous très confiants, car figurez-vous que dans le lot, il avait même signé un compromis pour le rachat de la maison de son frère qui était à la vente chemin des Dunes. Dans cet ultime achat, l’homme ne manque pas d’étaler sa générosité : ‘je sais que j’achète la maison de mon frère au prix fort mais notre mère est malade et avec le bénéfice, mon frère va pouvoir en racheter une autre bien plus grande avec un appartement indépendant pour y loger ma mère’ “. Le fils bienveillant ne manque pas de séduire son auditoire.

Des fonds en provenance des États-Unis

Avec une série de compromis signée au cours de l’été, les actes définitifs devaient intervenir en cascade au cours de l’automne. Un premier appel de fonds est sollicité par la notaire et c’est alors que le premier grain de sable commence à apparaître : « Cher maitre, je viens d’avoir mes avocats internationaux. il semble que le versement de la commission que je dois toucher ait pris un peu de retard, mais je vous confirme l’ensemble de mes achats, dont les actes définitifs pourront tous intervenir avant le 31 décembre. Je vous remercie de bien vouloir en informer l’ensemble des vendeurs et vous prie de m’excuser pour ce retard ».

L’instinct d’un ancien policier

Ce mail explicatif est jugé de bonne foi par l’ensemble des protagonistes qui s’accrochent tous à cette belle histoire. Malgré tout, un ancien policier qui fait partie de la série de vendeurs commence à avoir un doute. « L’histoire de cet acheteur providentiel a commencé à faire le tour de la ville. C’est alors que je me suis rendu compte de l’ampleur des achats colossaux qu’il venait de réaliser en seulement quelques jours. Un inconnu qui investit 20 millions d’euros en dix jours, ça ne court pas les rues. J’ai alors demandé à mon notaire s’il avait bien perçu les 10 % de retenues légales de garantie qui devait être versées par l’acquéreur sous quinzaine. Il m’a alors répondu par la négative. J’en ai immédiatement informé l’agent immobilier qui me l’avait présenté en lui demandant de presser son client à ce sujet » se souvient cet officier de police qui a très rapidement a soupçonné Didier S. d’être en fait un mythomane.

Un document classé secret-défense

Les semaines passent et rien n’avance. Les versements de garantie ne sont toujours pas effectués et le policier décide alors d’appeler directement l’acquéreur providentiel. « En fait, en tout et pour tout, j’ai dû l’appeler 3 ou 4 fois et à chaque fois, il m’indiquait être dans un aéroport entre 2 avions et qu’il allait me rappeler en fin de semaine. Une fois il était parti en Islande voir sa petite-fille qui venait de naître, une fois il était faisait l’aller-retour à Washington pour un rendez-vous d’affaires. J’ai commencé à trouver ce personnage assez curieux mais il y avait tout de même une certaine crédibilité dans son comportement car il ne manquait jamais de rappeler. J’ai commencé tout de même à en plaisanter avec ma femme ‘tu vas voir que la prochaine fois que je vais l’appeler, il va être à Tahiti ou à Miami !’ ».

Sans se démonter, Didier S. se lançait toujours dans les mêmes explications, qu’il y avait effectivement du retard dans le versement des fonds mais qu’il venait de faire le point avec ses avocats et que cette fois-ci, c’était sûr, il venait d’obtenir la confirmation que l’argent allait arriver sous une semaine. Le policier lui a alors demandé de fournir un simple document attestant de sa bonne foi mais la réponse a été sans appel ” c’est un document classé secret-défense, je ne peux vous le montrer, ni même au notaire !“. ” D’un coup, ça m’a fait tilt,” analyse l’ancien policier. “j’ai capté sa personnalité et j’ai alors été persuadé qu’il s’agissait d’un mythomane, j’ai alerté les divers agents immobiliers que je connaissais, mais la plupart voulait encore croire à la belle histoire“.

Le pot aux roses est découvert

Malgré plusieurs mois d’attente, l’argent n’est jamais arrivé. L’homme a invoqué en dernier lieu le changement de présidence aux États-Unis, qui aurait à nouveau bloqué le transfert des fonds vers la France, et qu’il ne s’agissait que de l’affaire de quelques jours.

Certains vendeurs se sont montrés extrêmement patients et ont cru en sa bonne foi pendant plus d’un an, mais au final, avec le même résultat : malgré de multiples promesses, les fonds ne sont jamais arrivés et les ventes ont été déclarées caduques les unes après les autres.

Finalement, le pot aux roses était découvert : Didier S. était un garçon sans histoire, un simple réparateur TV à la retraite, locataire en HLM depuis vingt-cinq ans à Perreux, une petite commune située en banlieue de Rouan.

On ne saura jamais ce qui est passé par la tête de ce monsieur. Aimable, poli, élégant, il aura tout de même mis beaucoup de personnes dans l’embarras, ses actes n’étant pas restés sans conséquences pour les personnes qu’il aura impliqué dans sa mythomanie bien malgré eux. Les agents immobiliers ont vu leurs commissions s’envoler malgré le travail réalisé, la notaire a rédigé une quinzaine de compromis sans qu’aucun ait pu se réaliser, les vendeurs qui s’étaient souvent engagés sur un autre achat ont dû déchanter les uns après les autres. 

Même son propre frère, qui avait toujours expliqué aux sceptiques « faites confiance à mon frère ! » n’en revient toujours pas lui-même. « Je pensais sincèrement que mon frère allait toucher cet argent car il me l’avait certifié. J’ai bien eu un doute car il n’a jamais été fortuné, mais quand il s’est engagé à acheter ma maison, je me suis dit quand même qu’il devait être sûr de lui ! »

« Cela fait trente ans que je suis dans l’immobilier. Des acheteurs farfelus, j’ai pu en rencontrer, entre de faux gagnants du Loto et les visiteurs du dimanche avec leur maîtresse, mais lui franchement, c’est le pompon. Il aura bien berné tout son monde pendant des mois. On dit souvent que plus c’est gros, plus ça passe ! Sur le coup, c’est vraiment ce qu’il s’est passé !»

Contacté par la rédaction, Didier S. n’a pas souhaité répondre à notre demande, expliquant qu’il devait au préalable en informer son cabinet d’avocats… ou peut-être attendre l’aval de Joe Biden pour communiquer ! En tout cas, Didier S. aura bien son rôle jusqu’au bout.

Comprendre la mythomanie

Le mythomane séduit autant qu’il inquiète. Dans les cas les plus pathologiques, il faut savoir le repérer pour s’en protéger. Le mythomane n’est pas un escroc puisque ses inventions ne lui procurent aucune entrée d’argent. Il s’agit là du simple plaisir de s’inventer une vie extraordinaire pour se sentir important.

Le mythomane se crée un personnage valorisant auquel il adhère avec une détermination telle qu’il parvient à convaincre son entourage. Autrement dit, il adhère tellement de manière plus ou moins consciente à ses affabulations que la frontière entre réalité et mensonge devient flou. A tel point que les spécialistes ont du mal à répondre à la question suivante : est-ce qu’un mythomane sait qu’il ment ?

Le mythomane a énormément d’imagination et est très créatif. Les détails donnent de la véracité au récit et il aime en donner un maximum pour donner plus de relief et de réalité à son histoire. C’est une manière de détourner l’attention de son interlocuteur et de le faire adhérer au discours. Le mythomane n’avoue jamais qu’il ment : même si on lui prouve qu’il a tort, il persévérera dans le mensonge. Le mensonge est compulsif chez lui, c’est sa façon de vivre. En outre, dans les cas les plus extrêmes, le mythomane ne réalise pas qu’il est en train de mentir, et n’arrive pas à distinguer les faits réels de ceux relevant de l’imaginaire.

La mythomanie est un trouble narcissique, c’est-à-dire de l’amour de soi. Les personnes mythomanes ont une faible estime d’elles-mêmes, elles mentent car elles ont du mal à accepter la réalité. Elles la fuient, car elles ne peuvent l’affronter sans souffrir. C’est en cela que le mythomane a quelque chose d’attendrissant : c’est un être qui cherche constamment à enjoliver, à embellir la réalité. Mais dans les cas les plus pathologiques, cela peut mener à des actes graves comme le prouve Didier S. qui, vrai mythomane ou simple affabulateur, aura tout de même laissé un drôle de souvenir en terre agathoise.

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