Charles-René Tandé : « L’expert-comptable va bénéficier de la reconnaissance des spécialisations »
Entretien avec Charles-René Tandé, président du Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables, qui évoque l'inflation législative, la Déclaration sociale nominative, le prélèvement à la source, la société pluri-professionnelle d’exercice et le futur congrès de Lille…
En tant que président du Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables, vous allez devoir gérer l’après-présidentielle. Quels sont les défis qui se profilent ?
« Les défis, pas forcément liés à la présidentielle, sont tout d’abord pour nous la transition numérique, à la fois pour nos cabinets et pour nos clients. Cette dématérialisation des données transforme notre organisation, nos process, mais aussi la gestion des ressources humaines. Sur l’aspect post-élections, sans faire de politique, notre profession aspire à un peu de stabilité, notamment fiscale. Nous savons bien que 2017 verra sa loi de Finances changer en profondeur. Il semble légitime que la nouvelle majorité mette en œuvre sa politique. Pendant cette mandature de cinq ans, nous attendons que la politique définie par le gouvernement soit stable, sans changements incessants. Je souhaite également que les experts-comptables soient associés, très en amont, non pas aux décisions du législateur, mais aux modalités pratiques, avant la publication des décrets et la mise en œuvre des textes. Nous aimerions, avec les services de l’Etat, une simplification administrative, ce qui n’est pas toujours le cas. »
Allez-vous dans le sens du Conseil d’État, qui pointe une certaine inflation législative ?
« Moins nous aurons de textes, mieux nous nous porterons. Globalement, les systèmes doivent également être plus lisibles. Prenons l’exemple du CICE, dont la mise en œuvre reste complexe. Un chef d’entreprise voit beaucoup plus tard l’allègement des charges. Une baisse des taux serait plus lisible et pourrait favoriser les embauches. Nos clients ont un problème de lisibilité. Quand on arrête les comptes, ils perçoivent l’intérêt et l’impact du CICE, mais sans forcément les associer à la décision d’embauche. »
Concernant la Déclaration sociale nominative (DSN), pensez-vous que l’administration va faire machine arrière ?
« Sur un plan technique de flux, la DSN ne pose aucun problème. Les éditeurs de logiciels et les cabinets d’expertise-comptable ont fait le travail. Ce sont certains organismes complémentaires, retraite et prévoyance, qui ne l’ont pas fait pour recevoir cette DSN dématérialisée. Aujourd’hui, il n’est pas acceptable pour nous de leur envoyer sur papier, avec règlement par chèque pour les clients… Actuellement, nous effectuons deux fois le travail, sans pour autant être rémunérés. Et si nous refusons de le faire, quid d’éventuelles pénalités ? Les organismes complémentaires, entreprises privées, doivent se sentir obligés de se mettre au diapason du numérique. Nous avons rencontré toutes les parties prenantes pour que ces dysfonctionnements cessent au plus vite. Les services de l’Etat nous ont assuré de leur soutien et appuient notre démarche. »
Autre réforme programmée, le prélèvement à la source pourrait-il être remis en cause ? Ne va-t-il pas, lui aussi, donner un surcroît de travail aux experts-comptables ?
« En théorie, nous ne devrions pas avoir un surcroît de travail. C’est un flux DSN descendant qui indique le taux de prélèvement pour le salarié. Le logiciel applique ce taux à la rémunération et l’information remonte à l’administration avec le prélèvement. Logiquement, il n’y a donc aucune manipulation supplémentaire. A terme, quand le système sera éprouvé, je pense qu’en effet tout devrait bien se passer. En revanche, pour la mise en place, nous restons prudents. Ce qui nous inquiète est le temps que nous allons passer à répondre aux questions des salariés de nos entreprises clientes, surpris ou en désaccord avec la diminution de la rémunération figurant sur leur fiche de paie. Pour nous, tout cela va être chronophage… »
Quels sont les grands défis que va devoir relever la profession ?
« Le développement du conseil est essentiel pour les experts-comptables. C’est d’ailleurs le thème du prochain congrès organisé cette année à Lille. Au-delà du conseil courant, souvent intégré à la mission globale, j’insiste sur le conseil à plus forte valeur ajoutée, qui n’est pas obligatoirement bien identifié. Il sera identifié par le marché, par la reconnaissance des spécialisations, pour lesquelles je milite fortement. En la matière, nous sommes moins performants que nos homologues anglais ou allemands. Pour les entreprises, le conseil doit être perçu comme un investissement visant à améliorer leurs performances. L’expert-comptable doit faire partie du dispositif, notamment dans les PE – petites entreprises – et les PME. C’est pour moi un enjeu majeur. C’était un axe fort de mon programme électoral. L’expert-comptable a ce rôle majeur dans le développement de l’économie. La reconnaissance des spécialisations favorisera ce processus. En fonction des spécialités de chacun, nous allons développer des réseaux de compétences. »
Comment un expert-comptable pourra-t-il solliciter ces spécialisations ?
« Elles viendront sanctionner une formation spécifique, une expérience dans le secteur ou la combinaison des deux. Nul ne pourra se revendiquer spécialiste sans ces garanties. La liste des spécialisations et les critères seront arrêtés dans les prochaines semaines par le groupe de travail ad hoc au sein du Conseil supérieur. Ces spécialités sont déjà prévues dans nos textes. Elles n’ont simplement jamais été mises en œuvre. Je souhaite aujourd’hui que nous passions à la reconnaissance de ces spécialisations. »
Comment envisagez-vous aujourd’hui vos relations avec les autres syndicats de la profession, notamment l’ECF ?
« Je souhaite que certaines de nos actions auprès des pouvoirs publics, notamment, soient coordonnées avec les syndicats IFEC et ECF, mais aussi avec la Compagnie nationale des Commissaires aux Comptes. Notre profession a tout à gagner d’actions conjointes. »
Les commissaires aux comptes sont actuellement exclus de la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE). Est-ce l’un de vos combats ?
« C’est un dossier que nous devons rouvrir. Avec nos cabinets qui ont des activités mixtes –expertise-comptable, commissariat aux comptes – tout texte qui sort pour l’une doit être compatible avec l’autre et vice-versa. C’est donc un cas d’action commune CSO – CNCC – syndicats que nous allons devoir mener. »
Votre prédécesseur, Philippe Arraou, avait mis l’accent sur le développement à l’international. Allez-vous poursuivre cette action hors de nos frontières ?
« Il est vrai que Philippe Arraou est très axé sur l’international. Il est d’ailleurs membre du board de l’IFAC – NDLR : l’organisation représentative de la profession comptable au niveau mondial – et je le soutiens dans cette action au niveau international. Nous poursuivrons par ailleurs toutes les actions de coopération, ce qui me paraît important, notamment dans tous les pays francophones. Sur le plan européen également, avec des actions communes Ordre et Compagnie. Sur ce plan, je me situe dans la continuité de mon prédécesseur. Il n’y aura pas de changement d’orientation durant mon mandat. »
Les commissaires aux comptes affrontent actuellement les affres de la réforme européenne de l’audit qui ne semble pas les épargner, notamment en matière de hausse des seuils. Quelle est la position du Conseil supérieur sur cette question ?
« Nous sommes très attachés au commissariat aux comptes avec le travail, en amont, de l’expert-comptable. L’intervention du commissaire aux comptes est une mission légale. Au-delà des comptes de l’entreprise, vous avez les révélations de faits délictueux, les procédures d’alerte, ce qui n’est pas neutre. Il faut donc lutter contre la hausse des seuils de l’audit légal que pourrait souhaiter Bruxelles. La France a cette particularité d’avoir de très nombreuses petites entreprises. Le Conseil supérieur, comme je l’ai dit précédemment, est en ligne avec la Compagnie nationale des Commissaires aux Comptes sur la question des seuils comme sur de nombreux autres sujets. »
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le prochain congrès de Lille ?
« Comme je vous le précisais précédemment, nous avons retenu le thème du conseil pour notre congrès national, qui se tiendra du 27 au 29 septembre à Lille Grand Palais. Nous l’aborderons sous différents angles : le savoir-être, le savoir-faire, le faire-savoir, le faire. Cet événement, qui rassemblera 4 500 personnes, sera ponctué d’éclairages et de témoignages et dotera chacun d’outils permettant une mise en œuvre pratique des missions de conseil. Les entreprises françaises souffrent d’un manque d’accompagnement que nous devons réussir à leur apporter dans des domaines aussi divers que les systèmes d’information, la gestion du risque ou plus largement leur stratégie globale. C’est à cette condition que nous serons encore plus au service des entreprises et plus largement au service de la croissance et du développement économique de notre pays. »
Propos recueillis par Boris STOYKOV et Jean-Paul VIART pour RésoHebdoEco
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Une profession en pleine évolution… ” Au sein de nos cabinets, nous avons trois grandes activités : le déclaratif – fiscal, social… –, l’audit légal du commissariat aux comptes et le conseil, généraliste et / ou spécialisé. Ces compétences diversifiées ont un impact sur le recrutement et l’attractivité. Nous allons recruter des contrôleurs de gestion, des risks managers, des spécialistes des systèmes d’information, des évaluateurs… Autant de professionnels qui n’ont pas suivi la filière comptable, mais qui se retrouvent dans nos cabinets, où nous touchons des matières pluridisciplinaires. Vous remarquerez que je n’aborde pas le domaine juridique. Nous souhaitons même collaborer avec les avocats en toute transparence, via l’interprofessionnalité et nos compétences respectives. Mon cheval de bataille n’est pas d’aller prendre du chiffre d’affaires aux professions du droit, mais de développer le conseil dans le domaine économique, champ largement inexploré. En France, nous faisons quatre fois moins de chiffre d’affaires dans le conseil qu’en Allemagne. Nous devons aussi nous demander pourquoi les entreprises allemandes sont plus performantes que nos entreprises françaises. C’est peut-être le résultat d’un travail réalisé dans l’organisation des entreprises, notamment par les experts-comptables. »