Des talents de la jeune peinture européenne réunis à la Galerie Boisanté
Un événement dédié à la jeune peinture figurative européenne se tient actuellement à la Galerie Boisanté, à Montpellier. Sous l'intitulé "To paint is to love again", Clémence Boisanté présente, aux cimaises de sa galerie, un panorama qualitatif de la jeune peinture européenne. A l'étage supérieur figurent des tableaux d'Abel PRADALIÉ. A l'étage inférieur se côtoient des peintures de Romain BERNINI, Simon PASIEKA, Nazanin POUYANDEH et Léopold RABUS. Les cinq peintres, qui sont loin d'être des inconnus puisqu'ils ont déjà réalisé des expositions d'envergure saluées par la critique, ont en commun un certain goût pour le mystère, qui transparaît dans leurs œuvres. Autre thématique abordée : le nu.
Issu d’une famille de peintres, Abel Pradalié travaille actuellement autour de la technique du masquage, créant volontairement des manques dans la matière, soit pour créer un cadre dans le cadre, soit pour diffuser une impression d’étrangeté en laissant ici une bande blanche verticale, là un espace nu. Car Abel Pradalié aime cultiver le mystère dans ses toiles, notamment en créant des contrastes de matières et de valeurs. Ainsi, ses nombreux paysages peuvent être très détaillés et soudainement se composer d’une zone peu peinte plus proche de l’abstraction. D’un paysage méditerranéen, il lui arrive de faire un paysage exotique. En fin observateur de la peinture classique, Abel Pradalié souligne que certains tableaux de Courbet mettant en scène des personnages dans des paysages distillaient déjà une impression d’étrangeté, du fait des deux techniques utilisées par le peintre en parallèle : peinture sur le motif et peinture en atelier. C’est dans cette tradition qu’il souhaite s’inscrire. Voilà aussi pourquoi son objectif n’est pas de coller avec justesse à la perspective. Quand Gwilherm Perthuis dit d’Abel Pradalié qu’il effectue « un transfert du mythe universel vers le mythe individuel », la série des Bassins vient immédiatement à l’esprit. Abel Pradalié y propose des tableaux réalisés dans la demeure familiale, mettant en scène les enfants de son entourage proche, son frère, mais aussi le bassin où il s’est baigné durant son enfance. Désormais accaparé par les enfants, ce lieu symbolise à lui seul la ronde des générations, mais aussi un aspect quasi mythique, comme un paradis perdu. Depuis qu’il a subi un accident cérébral il y a sept ans, il arrive au peintre de rêver de futures compositions et d’animaux. Lorsqu’il crée, il assemble des images rêvées, des souvenirs, des choses qui l’environnent, et le tableau se fait puzzle… Ce qui en accentue la part de mystère.
A l’étage inférieur de la galerie, en concertation avec Abel Pradalié, la galeriste Clémence Boisanté a réuni quatre peintres dont les préoccupations sont proches de celles du peintre, et dont il apprécie les œuvres. « Je me retrouve dans leur peinture, sans être de leur école », explique-t-il.
La peintre Nazanin Pouyandeh, tout d’abord, qui s’inspire à la fois de l’inconscient collectif et du processus du rêve pour créer des compositions à partir de l’imagerie des cultures populaires des divers continents : la culture iranienne et perse, dans laquelle elle a été élevée jusqu’à ses 18 ans, mais aussi les cultures occidentale, indienne, africaine, asiatique… Elle s’approprie les mythes pour aborder dans ses œuvres « les grandes thématiques existentielles : nos instincts premiers (le désir, la peur, la survie) et notre façon de les gérer (la religion notamment) », selon elle. Depuis environ une année, Nazanin Pouyandeh réalise des mises en abyme de tableaux dans les tableaux. Ainsi, une de ses peintures présente au premier plan trois personnes nues sur un lit, et derrière elles, un grand tableau horizontal multiculturel. Ses œuvres sont beaucoup dans la suggestion. « Elles ont toutes un deuxième sens de lecture. On y ressent souvent une tension entre Bien et Mal ; tout va dans des sens opposés », explique la peintre. Le mystère flotte notamment dans un grand tableau représentant deux bohémiens dans la panse d’un cheval, poursuivi par un tigre, dans un paysage enneigé. En faisant se côtoyer une scène de tendresse et une menace potentielle dans un moment suspendu, Nazanin Pouyandeh déstabilise le spectateur. Une chose est certaine, sa peinture est habitée.
Pour sa part, l’Allemand Simon Pasieka explore le monde androgyne de l’adolescence et ses rituels en créant un univers pictural mystique et ensorcelant. Il joue des reflets, des ombres, des points de vue et des cadrages pour dérouter le spectateur, qui se trouve engagé dans un processus de réflexion pour recréer mentalement la scène et vérifier si elle est réaliste. Le peintre piège ainsi le regardeur, qui se trouve « forcé » de décoder son tableau et de vivre une expérience imposée par l’artiste. Comme pour les œuvres de Nazanin Pouyandeh, les œuvres de Simon Pasieka ont plusieurs niveaux de lecture. Un de ses tableaux, Dritte Hand, montre un adolescent en train de modeler une sculpture, et qui semble avoir une troisième main par un effet de miroirs. L’étrangeté est omniprésente. Le processus de création y est célébré. La végétation avoisinante, pourtant luxuriante, n’est suggérée que par des reflets dans des miroirs. Une autre œuvre, appelée Adoration, montre un adolescent prosterné en pleine nature auprès d’un autel destiné à vénérer un reflet dans un miroir. Une ombre et ce reflet révèlent la présence d’une seconde personne. Ce rite étrange plonge le spectateur en plein mystère et suscite la perplexité.
Autre peintre dont les œuvres sont exposées à la Galerie Boisanté, le Suisse Léopold Rabus introduit également une notion de bizarrerie en représentant des perruches ou perroquets aux yeux doubles. Comme si ces volatiles étaient habités par une mystérieuse présence ou s’ils étaient envoûtés. « Les yeux doubles de la perruche font vibrer la toile entière », estime Abel Pradalié. Léopold Rabus, dont on a pu apprécier une exposition monographique au Carré Sainte-Anne il y a quelques années, livre des peintures sombres, caravagesques, parfois dérangeantes. A la Galerie Boisanté, ses petits formats sont des concentrés de l’esprit d’étrangeté qui règne dans ses plus grandes œuvres.
Sur la même thématique, le Français Romain Bernini présente aux cimaises de la galerie des perroquets hyperréalistes sur des fonds abstraits composés de patchworks de couleurs. Il représente aussi des vanités.
Outre leur exploration du mystère et leur travail autour de l’étrangeté, plusieurs de ces peintres représentent la nudité, parfois de façons assez proches, d’ailleurs.
De cette exposition, on retiendra le talent de ces peintres qui ont résolument opté pour la figuration et qui font voyager les spectateurs dans des univers particuliers, nimbés de mystère.
Virginie Moreau
vm.culture@gmail.com
Informations pratiques
Galerie Clémence Boisanté
10, boulevard Ledru Rollin
34000 Montpellier
04 99 61 75 67
> Horaires d’ouverture : du mardi au samedi, de 10h30 à 12h30 et de 14h30 à 19h00.