La forêt, « valeur refuge » ?
Le prix moyen des forêts a doublé en presque vingt ans. Ce marché prisé…
Le prix moyen des forêts a doublé en presque vingt ans. Ce marché prisé cache cependant une grande diversité, fonction de la taille, de l’usage et de la localisation des biens. Chasse, chauffage ou investissement de long terme, les objectifs des acquéreurs reflètent cette variété.
Le prix de la forêt continue d’augmenter. En 2015, la progression a atteint 2,8 %. C’est moins qu’en 2010 ou 2011, lorsque l’augmentation flirtait avec les 10 %, mais davantage qu’en 2013 et son petit + 1,3 %, tandis qu’en 2014, le prix avait baissé de 0,3 %. Depuis 1997, le prix moyen à l’hectare a pratiquement été multiplié par deux, hors inflation. Pour la Société forestière, gestionnaire des actifs forestiers des investisseurs institutionnels, et les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui publient chaque année un indicateur du marché des forêts, la hausse intervenue en 2015 est surtout conjoncturelle. Elle s’explique davantage par la baisse des taux d’intérêt que par la vitalité du prix du bois.
Si vous souhaitez acquérir un hectare de forêt, il vous en coûtera en moyenne 4 040 euros. Mais attention, prévient Robert Levesque, directeur des études à la fédération nationale des Safer, « le prix moyen est fictif, car la forêt moyenne n’existe pas ». De fait, la moyenne des 5 % des biens les moins chers ne dépasse pas le prix de 650 euros. Et celle des 5 % les plus chers atteint 11 730 euros.
Les prix varient également d’une région à l’autre. La valeur moyenne d’un hectare dépasse les 6 000 euros dans le nord de la France et dans le Bassin parisien, mais stagne à 2 500 euros dans le Massif central et le Sud-Ouest. Dans l’extrême sud du pays, des Pyrénées aux Alpes en passant par la Provence, les prix demeurent relativement faibles, mais ont retrouvé en 2015 une certaine vigueur, après une forte baisse entre 2008 et 2014. « Dans cette région, certains biens boisés peuvent être acquis en prévision d’un changement d’usage », précisent les spécialistes. Autrement dit, les forêts sont achetées afin d’être urbanisées. La baisse enregistrée jusque-là « pouvait donc s’expliquer par la déprime du marché immobilier urbain », écrivent les auteurs de l’indicateur du marché des forêts.
La grande diversité des biens
Ceci illustre la grande diversité des biens. Les propriétés se distinguent par leur superficie, leur localisation, la valeur des bois ou encore par la présence ou non dans la parcelle d’un bâtiment, manoir, relais de chasse ou d’une simple masure. Les spécialistes différencient en outre les « biens forestiers », boisés à plus de 80 %, et les « biens mixtes », dans lesquels la forêt proprement dite occupe moins de 80 % de la superficie, le reste étant dévolu à l’agriculture.
En 2015, ce sont les petites surfaces, inférieures à 10 hectares, qui ont tiré le marché vers le haut. Le nombre de transactions portant sur ces biens a progressé de 7 %, et cette hausse atteint 32 % depuis 2007. Environ la moitié de ces surfaces ne comptent qu’un à deux hectares. Robert Levesque attribue une partie de cet engouement à la « recherche de bois de chauffage ». Selon lui, on trouve parmi ces acquéreurs de petits biens « des ménages ruraux qui veulent devenir autonomes en énergie ».
Le marché des grands biens boisés obéit en revanche à une autre logique. Seules 90 transactions de propriétés de plus de 100 hectares ont été enregistrées en 2015, alors qu’on en recensait 160 en 2007. Cela représente 0,9 % des biens échangés, mais 22 % de la surface et 16 % de la valeur. Les vendeurs et acquéreurs répondent à des profils assez divers. On trouve parmi eux une courte majorité de personnes physiques ou d’indivisions, mais également des groupements forestiers et des personnes morales a priori éloignées du monde de la forêt : banques, assurances ou sociétés anonymes. Bien entretenue, une forêt peut rapporter 3 à 4 % par an à son propriétaire.
Les personnes physiques qui achètent une grande propriété forestière « investissent, veulent échapper à l’ISF ou préparent leur succession », assure Jean-Pierre Mesnil, expert forestier. « Depuis les crises grecque et islandaise, la forêt apparaît comme une valeur refuge. Même après un accident nucléaire, elle sera toujours là », affirme-t-il, négligeant toutefois le fait que le bien peut aussi partir en fumée. En revanche, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les tempêtes ne causent pas toujours une grave catastrophe économique. Juste après l’événement, les propriétaires vendent les arbres abattus, appelés chablis, à un prix certes inférieur à celui qui était pratiqué avant la tempête. Mais à terme, la repousse des arbres permet un rajeunissement du massif.
La fin de la bulle solognote
Les forêts de plus de 50 hectares non bâties constituent un marché spécifique. Elles se concentrent dans cinq régions bien précises, toutes situées dans cette « diagonale du vide », relativement peu peuplée, qui court des Ardennes aux Landes. « Les prix y dépendent de trois facteurs », indique Robert Levesque : « la localisation, la qualité du peuplement et la qualité cynégétique », autrement dit les opportunités de chasse.
C’est dans la zone Aisne-Ardennes-Marne que ces biens se vendent le plus cher, à plus de 8 000 euros l’hectare en 2015. Les massifs de l’Aube et du nord de la Bourgogne ont également connu une forte hausse ces dernières années, avec un prix moyen de presque 7 000 euros l’hectare. La forêt landaise, en revanche, attire moins que les autres, puisque son prix ne dépasse pas les 3 800 euros, moins que la moyenne nationale. La Sologne, petite entité géographique mais solide référence forestière, se stabilise. Le prix de l’hectare y reste élevé, à 7 000 euros, mais a baissé par rapport à un pic enregistré en 2011. Cela « traduit peut-être une moindre demande de chasse », estiment les spécialistes, qui intitulent ce phénomène « la fin de la bulle solognote ».
Olivier RAZEMON