"La France va être impactée par la guerre en Ukraine, comme tous ses voisins européens"
Le 3 mars dernier à Sophia Antipolis, le prévisionniste Christophe Barraud, docteur en économie financière, chef économiste et stratégiste pour Market Securities, a évoqué les tendances économiques pour 2022, sous le prisme du conflit ukrainien.
Crédit photo : UGO AMEZ/SIPA
Est-il possible d’établir des prévisions pour 2022 ?
Christophe Barraud : « C’est une période particulièrement complexe pour faire des prévisions. Tout d’abord au regard des nouvelles sanctions que pourraient prendre l’Europe, les États-Unis et d’autres pays à l’encontre de la Russie, par exemple le fait d’interdire une partie des importations de pétrole russe… On attend aussi sur le plan géopolitique un certain nombre de développements, notamment sur un accord sur le nucléaire iranien. Il y a aussi beaucoup de fluctuations sur le prix de l’énergie, que ce soit le cours du baril de pétrole ou le cours du gaz. Avant même le conflit en Ukraine, on entrait en 2022 dans une phase de normalisation de la croissance.
En 2021, la croissance mondiale était de l’ordre de 5,9 %, on s’attendait forcément à un rythme inférieur et les derniers développements ont confirmé que l’on se dirigeait vers un ralentissement plutôt marqué de la croissance sur 2022, au niveau mondial, mais même dans l’ensemble des pays développés. On peut estimer que l’impact du conflit actuel est supérieur à un point de PIB au niveau global et, vraisemblablement, pour 2022, nous aurons une croissance mondiale inférieure à 3 %. »
Qu’est-ce que cela implique en Europe ?
Christophe Barraud : « En Europe, il est très difficile de donner un chiffre actuellement, les impacts du conflit ukrainien sont multiples, cela va dépendre de sa durée. On sait par contre que l’impact sera plus important dans des pays plus dépendants de la Russie et du secteur manufacturier, comme l’Allemagne, qui vraisemblablement va connaître une nouvelle contraction au premier trimestre et probablement au deuxième trimestre. Mais, d’une manière générale, toute l’Europe va être affectée puisque les prix de l’énergie vont peser sur deux pans de l’économie. Tout d’abord sur le consommateur, avec les factures d’électricité et de gaz qui vont augmenter, mais aussi sur les entreprises qui vont payer plein pot… Dans le secteur de l’industrie où le gaz est très utilisé, on pourrait avoir un certain nombre de sociétés, en Europe, obligées de réduire leur capacité de production parce qu’elles ne seront plus forcément rentables. Il y aura aussi un phénomène de hausse des prix de l’alimentation qui va peser, là-encore, sur le consommateur. Donc oui, l’Europe va ressentir un très gros ralentissement à court terme. »
Et en France ?
Christophe Barraud : « La France va être impactée, comme ses voisins européens, sur la partie hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, mais elle reste un des rares pays qui a déjà mis en place un certain nombre de mesures, comme le bouclier sur l’énergie ou le chèque inflation. Notre chance, c’est d’être quand même moins dépendants de la Russie que l’Allemagne ou la Finlande. Par ailleurs, les données sont plutôt encourageantes malgré Omicron, au quatrième trimestre 2021 et même sur les deux premiers mois de l’année : sur la partie tourisme, les chiffres étaient relativement résilients. Maintenant, la problématique, c’est que le conflit ukrainien touche tout le monde de manière directe, via le prix de l’énergie et le prix de l’alimentation et, parce qu’il y a quand même un canal d’incertitudes, on peut imaginer que les ménages vont un peu plus épargner, et que, de fait, les entreprises vont être moins agressives dans leurs programmes de développement. »
Cette crise va donc freiner la croissance des entreprises ?
Christophe Barraud : « Pour les entreprises, tout est beaucoup plus incertain. Les ménages prendront des décisions de manière plus lente, ils vont prendre beaucoup plus de précautions et dans ce cadre-là, il sera compliqué pour les entreprises d’investir, d’autant plus que, selon le secteur d’activité, il peut y avoir des problématiques d’approvisionnement. Il y aura également des problématiques de renchérissement du coût des matières premières. Selon les secteurs, certains pourront appliquer les hausses de prix et maintenir les marges, mais en moyenne, on sent bien que, passées toutes les hausses de prix, ce sera compliqué à court terme. »
L’élection présidentielle aura-t-elle un impact sur l’économie ?
Christophe Barraud : « La présidentielle est passée un peu derrière parce qu’il y a un gros focus sur les prix de l’énergie. Maintenant c’est vrai, la proximité du scrutin rajoute une petite dose supplémentaire d’incertitude, même si on aurait tendance à se dire que ça renforce la position du président sortant. Mais dans ce contexte, il faut prendre chaque chose en son temps : d’ici le premier tour, beaucoup d’évènements peuvent se produire… »
Quelle est la situation dans le reste du monde ? La Chine et les États-Unis seront-ils aussi impactés que l’Europe par le conflit ukrainien ?
Christophe Barraud : « Dans les faits, si on regarde les différentes zones géographiques, il faut savoir que toutes connaissent une phase de ralentissement. Par exemple, en Chine, les autorités visent une croissance de l’ordre de 5,5 % en 2022, alors que l’on toisait les 8,1% l’année dernière. Nous sommes dans une phase complexe où le variant Omicron touche encore durement la Chine. Aujourd’hui, le nombre de cas recensés est même au plus haut depuis la première vague de Covid chez eux, ils sont donc toujours amenés à appliquer une politique restrictive qui pèse beaucoup sur le tourisme. Si on regarde le trafic aérien en Chine, on est quasiment 30 % en deçà des niveaux de 2021. Il y a également un deuxième facteur négatif en Chine, sur le secteur de l’immobilier : d’après les premières données, on observe une chute de l’ordre de 50 % des ventes de logements au mois de février par rapport à l’année dernière. Les États-Unis seront quant à eux moins touchés par le conflit ukrainien, mais ils faisaient déjà face à leurs propres problèmes : une hausse de l’inflation relativement élevée (plus de 7% sur les données de janvier) et on sera relativement proche de 8% d’inflation au mois de février.
De plus, beaucoup des mesures de soutien qui avaient été mises en place par l’administration Biden en 2021 sont arrivées à expiration, et le soutien de la politique fiscale sera bien moins important en 2022. Il pénalisera aussi la croissance, ce qui fait qu’aux Etats-Unis, on observera aussi un ralentissement un peu plus marqué que prévu en ajoutant l’effet du conflit ukrainien. »