Montpellier, Musée d'art brut : Isabelle Jarousse, les plis du fond de l'âme
L'exposition temporaire du musée d'art brut et singulier est actuellement dédiée à Isabelle Jarousse, artiste singulière passionnée par la pâte à papier, dont les méandres de l'âme s'expriment aussi bien par le dessin que dans des "semi-reliefs".
Photo : Isabelle Jarousse © Virginie Moreau.
Installée à Lyon, issue de l’Ecole des Beaux-Arts d’Angoulême, Isabelle Jarousse travaille la pâte à papier depuis une trentaine d’années. Qu’elle s’en serve pour créer du papier sur lequel elle retranscrit à l’encre de Chine son monde intérieur, peuplé d’animaux (oiseaux, crapauds, cerfs…), ou pour confectionner des sortes de sculptures plissées également peintes, elle est tout entière à son œuvre.
Refusant de recevoir quiconque dans son atelier et de fréquenter les expositions pour ne pas subir d’influences extérieures, mais nourrie de peintures et sculptures sacrées, elle plonge au plus profond d’elle-même pour en extraire tantôt des dessins figuratifs, tantôt des sculptures abstraites.
“Des Beaux-Arts, j’ai gardé la pratique de la pâte à papier. C’est un support, une matière, qui me plaît beaucoup. Je fabrique les feuilles. Dans le processus de création, j’aime fabriquer tout du départ, la matière épaisse, granuleuse, irrégulière. Je me sens libre”.
Des œuvres figuratives foisonnantes
“Je pars toujours de quelque chose pour créer, comme ces nombreuses photos, souvent en noir et blanc, représentant des animaux, ou ces sculptures, sortes d’amulettes en bois ramenées d’un voyage à Bali, qui m’ont accompagnée quand je créais les ‘Bouches cousues’“, explique-t-elle.
Ses peintures à l’encre, qui recouvrent une bonne partie du papier, reflètent “l’incessant flot des pensées”. Elle en a d’ailleurs fait le titre de l’une de ses séries. Un bestiaire les peuple : des oiseaux, poissons, biches, renards, loups grouillent dans leurs profondeurs. Avec une préférence pour les oiseaux, qui symbolisent pour elle l’élévation. Des végétaux et minéraux lient l’ensemble. “Nous sommes tous liés : le végétal, l’humain, l’animal, le minéral ; c’est ainsi que j’explique maintenant, avec le recul des années, cette propension à relier les êtres dans mes dessins” indique Isabelle Jarousse.
C’est aussi pour cela que tout est représenté sur le même plan, sans effet de profondeur. “Tout fait centre sur ses œuvres figuratives, pas comme dans la peinture classique, tout est animé du dedans. Il n’y a pas un motif qui attire le regard plus que l’autre. Il faut plonger dedans pour en saisir tous les détails”, estime le critique d’art Christian Noorbergen, commissaire de l’exposition.
“Son écriture sismographique enregistre les soubresauts de la terre, de la vie, de son âme. C’est une écriture vibratile, tendue, des confins de l’intérieur. Peu d’artistes vont aussi loin qu’elle dans l’espace du dedans. Elle désenfouit les entités humaines, animales, les plis du fond de l’âme. Ses œuvres témoignent d’une très grande intériorité”, indique Christian Noorbergen.
Il va plus loin en jugeant que “les créations d’Isabelle Jarousse sont chargées, presque au sens magique, un peu chamaniques, comme si elles invoquaient l’esprit des animaux, l’esprit de la forêt”. Il loue la “densité vivante, magique, électrique de son écriture”, évoquant “la convocation des énergies de l’univers, l’énergie latente de ses créations”.
L’artiste renchérit : “Pour moi, ce sont des images plus que des pensées qui s’imposent lorsque je crée des œuvres figuratives. Je commence par le dessin, puis je passe le noir en faisant des traits entre les éléments pour les faire ressortir. Parfois, quand je n’aime pas un détail, je fais un pansement de papier, sur lequel je peins. Mon travail est donc aussi celui du palimpseste, de la superposition. Quand je crée, c’est au-delà de l’intellect, comme une construction, un équilibre entre les pleins et les vides. En la matière, j’ai eu différentes périodes. En 1999-2000, pour mes ‘Bouches cousues’, je densifiais au maximum. Alors que, récemment, j’ai commencé à aérer un peu plus mes travaux en laissant plus de place au fond blanc, à la lumière. Cela donne une certaine respiration”.
Depuis deux ou trois ans, Isabelle Jarousse introduit parfois la couleur dans ses créations, à l’aide de pastel sec. Deux œuvres colorées sont présentées au Musée d’art brut de Montpellier. Autre test, la gravure, qu’elle trouve au final bien trop technique pour avoir envie de l’utiliser régulièrement.
Les plissés abstraits
Aux murs sont accrochées, sous verre, des sculptures abstraites recouvertes de plis, peintes, recelant ici ou là un détail peint travaillé. Le critique d’art Christian Noorbergen explique que “les semi-reliefs d’Isabelle Jarousse ont un côté magmatique ; ils expriment un entre-deux entre un côté émergé et son univers intériorisé”.
“Lorsque je travaille sur un plissé abstrait, cela m’évoque la méditation. Et en même temps c’est physique, une relation corporelle, il faut malaxer, triturer la matière”, ajoute Isabelle Jarousse, qui souligne également “l’intervention du hasard dans ce processus créatif”.
Finesse, sensibilité et authenticité caractérisent l’œuvre d’Isabelle Jarousse. Elle trouve des formes de réponses dans ses créations. “Son investissement humain, charnel est considérable. Elle fait œuvre de fusion”, conclut le commissaire de l’exposition.
Informations pratiques
Musée d’art brut – 1, rue Beau Séjour – 34090 Montpellier – 04 67 79 62 22.
L’exposition consacrée à Isabelle Jarousse est visible jusqu’à la fin du mois d’août 2022, du mercredi au dimanche, de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00, fermé les jours fériés.
Plein tarif : 8 euros.