"Possédé.e.s" : un magistral effroi à La Panacée/Mo.co
Qu’elle vous glace le sang, vous passionne ou suscite votre curiosité, l’exposition "Possédé.e.s, déviance, performance, résistance" de La Panacée vous plongera dans son ambiance très spéciale, d’abord sonore puis visuelle, évoquant la relation entre l’art contemporain et l’occultisme, ainsi que les préjugés.
L’ambiance sonore, omniprésente, enveloppante et pour certains dérangeante, est due à l’installation Requiem pour 114 radios des Britanniques Iain Forsyth et Jane Pollard. Elle saisit les visiteurs dès l’entrée, puis s’intensifie dans le couloir où est située l’installation. Celle-ci est constituée de 114 radios qui diffusent à toute puissance l’hymne funéraire médiéval Dies Irae (Jour de Colère), interprété par des chanteurs de rock alternatif anglais. Les cinéphiles reconnaîtront la bande sonore glaçante du film d’horreur Shining, de Stanley Kubrick. Cette œuvre fait autant référence à la mort qu’aux « fantômes, dont on chercherait la présence à l’aide d’équipements électromagnétiques », indique Vincent Honoré, commissaire de l’exposition. Les grésillements des radios donnent froid dans le dos. Les frissons s’installent. On salue cette excellente mise en situation, qui immerge immédiatement dans une atmosphère sourde, lourde et feutrée propice à donner aux visiteurs un regard particulier sur les œuvres présentées.
Après avoir retrouvé ses esprits, le visiteur entre dans une pièce évoquant l’esclavage. Deux œuvres sculpturales de l’Anglaise Dominique White, pendues à des crochets, composées de cordes, de tissu et de poudre de kaolin, convoquent les fantômes des esclaves qui ont péri durant les longues traversées en bateau. Les installations figurent des corps écartelés, mutilés. L’évocation est saisissante. Tout comme les tableaux de l’Américain Sedrick Chisom, représentant des âmes en peine, brisées par le colonialisme et l’esclavagisme.
Et voilà que le sabbat s’invite à un dîner mis en scène par l’artiste français Nils Alix-Tabeling. Si les sorcières ont quitté le repas, leur existence est remémorée par les chaises en fer forgé, qui rappellent les objets de torture destinés aux femmes accusées de sorcellerie du Moyen Age au XVIe siècle. Sur une chaise, des épis de blé suggèrent l’ergotisme, explication rationnelle de ce qui était pris à l’époque pour de la sorcellerie ou de la possession démoniaque. La table se fait alchimique : une réaction chimique y est en cours.
Disséminées tout au long de l’exposition, les mains en bronze de l’Américaine Kelly Akashi, tenant ou enroulées dans des bougies, font se confronter l’immuable et l’éphémère, l’immortalité et la mortalité.
Dans le couloir, de magnifiques insectes géants – papillon de nuit, mite, papillon – et chauves-souris surdimensionnées, en verre soufflé et aluminium, créés par Jean-Marie Appriou, accompagnent la progression des visiteurs. Allusions voilées aux insectes épinglés sur des planches pour les besoins de la science, ils peuvent rappeler les corps écartelés des sorcières soumises à la question. Ils participent à l’atmosphère d’inquiétante étrangeté générale. Entomophobes s’abstenir !
Dans la salle suivante, il est encore question d’épingles, mais cette fois-ci de façon plus crue. En effet, la photographe, performeuse et sculptrice gabonnaise Myriam Minhindou propose des photographies de ses mains enduites de poudre de kaolin et transpercées par des aiguilles, lors de rituels personnels d’autoguérison. Et l’œuvre Champ d’échange d’âme du Montpelliérain Nicolas Aguirre attire l’attention. Composée d’un bureau en bois, d’objets divers, d’un néon au mur et d’un tapis représentant une orchidée (ou une vanité), elle symbolise l’échange d’âmes contre des objets, contrats à l’appui, enfermés dans le bureau. Le néon en forme de drachme (monnaie grecque) assure le franchissement sans encombre du Styx, fleuve et point de passage des Enfers.
Une fois cette salle des rituels passée, vient une réflexion sur la valeur du corps féminin par la Sud-Africaine Nandipha Mntambo. C’est The Shadows Between Us, à traduire par Les ombres entre nous. Moulées d’après sa propre anatomie, deux « robes » réalisées en peaux de vaches, présences flottantes et évanescentes, voire fantomatiques, soulignent que dans certains pays, les femmes sont « échangées » contre des vaches ou d’autres animaux, qui constituent leur dot de mariage. On admire la beauté intrinsèque de ces œuvres, pourtant dérangeantes dans leur propos.
Une minuscule salle nimbée d’une lumière bleu électrique renferme l’aveuglante Cosmic Soup (soupe cosmique) de la Montpelliéraine Chloé Viton, évocation de la mystérieuse naissance du vivant. Une œuvre organique englobante.
Accueillis dans la dernière grande salle par un tableau du Français Raphaël Barontini mêlant imagerie vaudoue et histoire d’Haïti, les visiteurs sont attirés par l’installation Sourire aux anges de Jean-Baptiste Janisset faisant penser au premier abord à une maison hantée. Eclairée de l’intérieur par une lumière verte, cette étrange bâtisse est recouverte de plaques de plomb et d’argenterie fondue portant des motifs issus de diverses religions. Ainsi donc, cette construction ne serait pas hantée, mais protectrice ! Pour sa part, accroché au mur, le tarot du Montpelliérain Jimmy Richer, aux motifs incrustés à la feuille d’or sur des plaques de bois brûlé, interpelle. Il s’agit de la matrice d’un jeu artistique de divination créé par l’artiste et édité à un nombre limité d’exemplaires. On s’arrête aussi longuement devant les bustes de la Tchèque Anna Hulacova. Mystérieux, ils interrogent sur l’identité, représentant peut-être de nouvelles divinités que l’on pourrait apprendre à vénérer.
Le commissaire de l’exposition envisage l’exposition Possédé.e.s comme un conte. Un conte où se mêlent douleur et beauté, effroi et splendeur, ajoutera-t-on. Une réussite tant par la cohérence et la qualité de l’ensemble que par l’expérience immersive proposée.
Mentions spéciales à Mr. & Mr. pour la scénographie architecturale et à Serge Damon pour la scénographie lumineuse.
Virginie MOREAU
vmoreau.hje@gmail.com
La Panacée/MO.CO
14, rue de l’École de Pharmacie
34000 Montpellier
04 99 58 28 00
https://www.moco.art/fr/moco-panacee