Entreprises

Présidentielle, Pierre Gattaz, l'interview : « L’emploi, comme la croissance, ça ne se décrète pas »

Président du Medef, Pierre Gattaz s’exprime sur les programmes économiques des candidats à l’élection présidentielle. Et de plaider, sans ambages, pour la nécessaire réforme du marché du travail et l’instauration d’une économie plus souple et plus flexible.

Pierre Gattaz, l’interview…

Comment jugez-vous les divers programmes économiques des candidats à l’élection suprême ?

« Deux programmes vont dans le bon sens et trois représentent un grand danger pour la France. François Fillon prône 100 milliards de baisse des dépenses publiques et 40 milliards de baisse des charges sur les entreprises. Cela se rapproche de notre objectif, au Medef. Dans le domaine fiscal et social, qui est quand même « LE » problème de l’économie française, son programme est ambitieux. Le programme économique d’Emmanuel Macron va dans le sens d’une économie de marché avec une flat tax sur le capital, une instance unique pour le personnel, un taux d’impôt sur les sociétés de 30 %. Mais il ne va pas assez loin sur la baisse des charges, notamment sur le coût du travail, et l’ISF, dont il garde la partie immobilière. Or, les sociétés ont souvent un patrimoine immobilier. Enfin, il conserve la durée légale du temps de travail à 35 heures. Quant au programme de Marine Le Pen, c’est tout simplement la catastrophe annoncée. La sortie de l’euro se traduira par une dévaluation de l’ordre de 15 à 20 %, un surenchérissement de nos importations, un défaut de la dette, la ruine des Français et la ruine du pays tout court, puisque nous ne pourrons plus nous financer sur aucun marché. En ce qui concerne Benoît Hamon, son programme suinte le désespoir économique et le défaitisme. Son hypothèse de la fin du travail est une capitulation devant l’avenir, la négation du génie humain ; comme si l’homme était dépassé par le progrès dont il est quand même à l’origine. Enfin, avec Jean-Luc Mélenchon, c’est le retour du Gosplan à la cubaine, « l’horreur économique », la fin de l’économie de marché, la fin de l’économie tout simplement et l’avènement d’une société paupérisée et sans perspectives. »

 

Dans un climat morose sur le front de l’emploi, les entreprises représentent l’espoir d’une vraie amélioration. Quel rôle le patronat doit-il jouer pour impulser une nouvelle dynamique ?

« Le rôle du Medef est de tout faire pour améliorer la vie des entreprises, c’est-à-dire de mettre en place un écosystème fiscal, social et réglementaire favorable au développement de leur activité, un environnement qui leur permette d’être plus compétitives et de créer de l’emploi. L’emploi doit être une priorité. Mais l’emploi, c’est comme la croissance, ça ne se décrète pas. C’est la conséquence d’une chaîne vertueuse dont le point de départ doit être la baisse des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises. Moins de prélèvements obligatoires, c’est plus de marges, donc plus d’investissements et d’innovation, plus de compétitivité, plus de croissance, donc plus d’emplois. Je rappelle toutefois que les chefs d’entreprise continuent de créer des emplois. En 2015, 170 000 emplois marchands ont été créés, et en 2016, c’est 191 700, soit le meilleur chiffre depuis 2007. Et cela dans une conjoncture particulièrement
atone et avec les contraintes et les difficultés que l’on connaît. On imagine les miracles que réaliseraient les chefs d’entreprise français si on leur donnait la possibilité de travailler dans de meilleures conditions. Je ne cesserai jamais de le dire : les chefs d’entreprise sont des héros. Et surtout, les chefs d’entreprise français font preuve d’un courage et d’une résilience à toute épreuve. »

« Il faut reprendre la philosophie qui sous-tend les réformes britannique et allemande
du marché du travail, à savoir la flexisécurité : plus de flexibilité pour les entreprises
et plus de sécurité pour les salariés »

Pierre Gattaz medef

 

Votre programme pour les entreprises contient un volet prépondérant sur l’internationalisation. Le gouvernement actuel a relancé la diplomatie économique, mais le commerce extérieur français reste déficitaire (excepté pour Auvergne-Rhône-Alpes). Les expériences de guichet unique ou d’équipe régionale de l’export n’ont pas toutes été fructueuses. Comment une entreprise doit-elle oser l’international ? Quid des financements et de l’accompagnement publics et privés ?

« La mondialisation est un élément déterminant de la prochaine décennie ; nous avons présenté récemment nos préconisations sur ce sujet. Mais vous pouvez mettre en place toutes les formes de diplomatie économique possibles – et Laurent Fabius a été très actif en ce domaine – si les entreprises que vous voulez promouvoir ne sont pas compétitives, cela ne sert à rien. On le voit avec les derniers chiffres du commerce extérieur : 7,9 milliards d’euros de déficit en janvier 2017. Un chiffre dramatique qui illustre bien l’état calamiteux de notre économie. Car l’exportation, c’est l’avenir de l’économie, l’avenir de nos entreprises, l’avenir de notre pays. Le problème majeur, c’est le poids des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises françaises : nos entreprises acquittent environ 100 milliards d’euros de plus en prélèvements obligatoires que les entreprises allemandes. Ce niveau – le plus élevé de tous les pays de l’Union européenne, après la Belgique – n’est pas seulement un lourd handicap aujourd’hui ; il obère également l’avenir. Car ces prélèvements empêchent les entreprises de constituer des marges suffisantes pour investir et innover. Pour conquérir des marchés, il n’y a pas 36 solutions : il faut des produits innovants, de qualité, à des prix compétitifs, fournis en temps voulu. Nous avons d’ailleurs mis en place au Medef un programme intitulé Stratexio, qui aide et accompagne les entreprises dans leur démarche d’exportation, de conquête des marchés extérieurs. Il est indispensable d’intégrer nos entreprises dans l’économie mondiale. Avec plus de 7 milliards d’individus à équiper, plus de 10 milliards d’ici 2050, la mondialisation est un levier de croissance formidable. D’ici dix à quinze ans, on le sait, 90 % de la demande mondiale se fera hors de l’Union européenne. »

 

Certains économistes vantent les modèles allemand et britannique en matière de retour au (presque) plein-emploi. Pensez-vous que les mesures prises dans ces pays puissent être transposables en France ? Le risque n’est-il pas de créer du travail dit « précaire » supplémentaire ?

« Je ne vois pas pourquoi les réformes britannique et allemande du marché du travail ne pourraient pas être transposées en France. Il ne s’agit pas de les transposer à la lettre, mais de reprendre la philosophie qui les sous-tend, à savoir la flexisécurité : plus de flexibilité pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés. Et j’ajouterais de véritables perspectives d’emploi pour ceux qui n’en ont pas. Actuellement, que se passe-t-il ? Nous avons un marché du travail à deux vitesses avec les « insiders », qui bénéficient d’une sécurité de l’emploi grâce au filet protecteur des mesures et réglementations, et les « outsiders », qui, compte tenu de cette sécurisation accrue des emplois, ont vocation à rester à la porte de l’entreprise pendant un certain temps. Tous les chefs d’entreprise que je rencontre me le disent : ils ont peur d’embaucher parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir licencier, en cas de retournement de leur marché ou de ralentissement de leur activité. Nous proposons – nous, au Medef – une législation du travail plus simple, plus souple et plus lisible afin d’adapter l’activité des entreprises au rythme de l’économie mondialisée. Mais il faut aussi agir en amont et revoir en profondeur notre système éducatif en donnant la priorité à l’enseignement primaire, au système d’orientation et à l’apprentissage. Quant au travail dit « précaire », je pense que tout est préférable à l’absence de travail. L’absence de travail mène vite à la désocialisation, à la frustration. Avoir une vie professionnelle, ce n’est pas seulement avoir une occupation, c’est avoir un rôle dans la société, participer au monde qui nous entoure ; c’est un vecteur d’accomplissement et de dignité. Quant aux salariés, et c’est la responsabilité des chefs d’entreprise, ils doivent être formés en permanence compte tenu de l’obsolescence rapide des compétences. La formation est un levier de compétitivité. »

 

« Pour une vraie réforme du marché du travail qui prenne en compte le rythme de l’économie, afin de le rendre plus souple, plus flexible… »

La clé ne serait-elle pas la multiplication des ETI, qui manquent tant au tissu économique français et qui ont fait la réussite du modèle allemand au travers du fameux Mittelstand ?

« Oui bien sûr, la vocation d’une entreprise n’est pas de rester petite, mais de se développer. Et j’enrage lorsque j’entends la présidente du Front National opposer les petites entreprises aux groupes du CAC 40, comme si le périmètre d’une entreprise était figé et définitif. L’entreprise est organique ; elle se développe, évolue. La TPE doit devenir une PME ; et la PME, une ETI. Pour cela, la numérisation est un passage obligé. Nous nous y employons au Medef, avec la mise en oeuvre de plusieurs actions, dont le lancement de formations destinées aux TPE-PME via un site, « Mon campus numérique ». Nous lançons également, pour la troisième année consécutive, notre campagne « Rue de la formation », afin d’inciter les chefs d’entreprise à se former et à former leurs salariés au numérique et à l’internationalisation. L’internationalisation, c’est l’assurance de se développer, pour une entreprise. »

 

A l’aune des derniers événements en France métropolitaine et outre-mer, on peut dire que le dialogue social se tend. Comment doit, aujourd’hui, s’établir le rapport entre les syndicats de salariés et le vôtre ?

« De quoi parle-t-on quand on parle de dialogue social ? Le dialogue social dans les entreprises fonctionne très bien : 36 600 accords ont été signés en 2016. Quant au dialogue social institutionnel, il fonctionne plutôt bien, comme en témoigne l’accord qui vient d’être signé sur l’assurance chômage. Le dialogue social dans l’entreprise doit être constant. Avoir des salariés motivés et épanouis est l’assurance de la réussite. Cela passe par un management souple et attentif. La révolution industrielle doit s’accompagner impérativement d’une révolution managériale. A l’ère de l’innovation et de la digitalisation, on ne peut plus manager de la même façon. La maîtrise des technologies reposant entièrement sur le capital humain, il s’agit de manager des intelligences et de s’adapter aux aspirations nouvelles des salariés. Quant aux syndicats, ils doivent être forts et représentatifs, afin de renforcer leur légitimité. »

Le patron a encore mauvaise presse. Il véhicule une image négative auprès du grand public, en raison des émoluments considérables de certains d’entre eux. Mais l’immense majorité travaille dur pour un salaire raisonnable. L’une de vos batailles porte sur la réhabilitation de la place de ces petits patrons. Comment agissez-vous ?

« Si vous interrogez les salariés, vous n’entendez pas le même discours : les salariés sont attachés à leur entreprise. D’ailleurs, en règle générale, on le constate dans de nombreux sondages, les Français font davantage confiance aux chefs d’entreprise et aux acteurs de l’économie pour faire bouger les choses qu’aux politiques, toujours persuadés, eux, que les Français sont réticents par nature aux réformes. Cela étant, s’il faut « réhabiliter » les patrons, tous les patrons, pas seulement les petits, ce dont je doute, il faut surtout réhabiliter l’économie en faisant de la pédagogie. C’est ce que nous faisons au Medef, avec divers outils, des guides, des interventions. Mais c’est une tâche immense qui prendra plusieurs années. »

 

Trouvez-vous que la valeur « travail » est aujourd’hui dévalorisée ?

« On ne peut pas le nier : depuis que le plein-emploi a disparu, la valeur travail s‘est peu à peu démonétisée, alors que dans le même temps, l’économie numérique modifie en profondeur la nature du travail, avec l’apparition de nouveaux emplois. Mais cette métamorphose porteuse d’espoirs est minée par des discours ineptes et archaïques, qu’il s’agisse de la fin du travail ou de la représentation du travail synonyme de pénibilité. Tout cela alimente bien sûr le pessimisme, le mal-être professionnel, le découragement, sur fond d’une vision du monde professionnel et économique digne du XIXe siècle. D’où la multiplication des réglementations censées lutter contre le chômage et le mal-être professionnel, alors que le chômage de masse, s’il est dû pour une part à l’absence de croissance, est dû pour une part tout aussi importante à la rigidité structurelle du marché du travail, qui pénalise l’embauche, notamment des jeunes et des chômeurs de longue durée, et renforce les inégalités. C’est ce cercle vicieux qu’il faut absolument détruire. Et cela ne peut se faire qu’avec une vraie réforme du marché du travail qui prenne en compte le rythme de l’économie afin de le rendre plus souple, plus flexible. »

 

Propos recueillis par Julien THIBERT et Laurent ODOUARD pour RésoHebdoEco
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