Procès Charlie Hebdo : chronique de Me Szwarc, avocate montpelliéraine (jours 12 à 16)

Dans le procès des tueries terroristes qui ont décimé notamment la rédaction de Charlie Hebdo du 7 au 9 janvier 2015. Me Catherine Szwarc, avocate montpelliéraine, qui participe actuellement au procès devant la Cour d'assises spéciale de Paris, livre, jour après jour, ses impressions dans ce procès où comparaissent 11 accusés (3 terroristes étant encore en fuite).

Jour 12- Le 17 septembre 2020

7h15 – Il fait beau.
9h30 – Les bancs de la salle d’audience se vident de nos robes noires sous les yeux interrogatifs des journalistes. Une réunion pour éviter les désaccords sur le programme. Reprise d’audience sans nous attendre. Signe clair du pouvoir.
L’homme à la barre revit le 7 janvier 2015. Fontenay-aux-Roses, jogging sur la coulée verte. 20h30. Un tir dans la cuisse. Il roule à terre. L’agresseur le pointe. Deux mains sur l’arme. Une hésitation. La vie en fuite. Il court en zigzags. Cible en mouvement, les balles aux trousses. Trois l’atteignent. Saut de haie. La maison peureuse lui refuse l’asile. L’homme s’effondre et saigne devant la porte close. Une ombre. Puis la nuit. Sur son lit d’hôpital, il reconnaît son agresseur sur les photographies 14 et 30 de l’album présenté par les policiers.
Le 14 et 30, c’est Ramdani, assis dans le box, accusé d’association de malfaiteur dans un but terroriste. Il se lève sur ordre du président. « Rassurez vous ! Vous n’êtes pas mis en examen pour cela ».
L’ancien joggeur traverse la salle d’audience, traînant ses séquelles, la tête basse. Je vois sa détresse, sa peur d’être une tâche à terminer. Plus d’emploi. Il est lourd de ce qu’il pensait déposer ici. Son témoignage n’a servi à rien.
Un policier municipal pleure à la barre Le 8 janvier 2015 à 7h10, accident de voiture. Il intervient avec son binôme, Clarissa. Elle venait d’être titularisée. Un claquement de gachette, il est 8h04, un tir, Clarissa, s’effondre. Il aurait voulu réagir. A Montrouge, les policiers municipaux ne sont pas armés.
L’agent chargé de nettoyer la voierie explique son retour de la boulangerie pour rejoindre les autres. Il n’a rien vu. Un homme se tient là, avec une capuche. Il tient un jouet ? On dirait un tir, un arc en ciel, « Avec ce qu’il s’est passé la veillle, c’est pas malin ! » Il voit la mâchoire de son ami pendre à trente centimètres sous son visage. Le sang pisse. Non, ce n’est pas un jouet. La haine l’envahit. Lion enragé. il s’accroche au canon, tombe à genoux. Lutter et survivre ou mourir en se battant. Il reçoit un coup de crosse sur crâne. Il est au sol. Le canon devant les yeux. C’est la fin. Le temps s’arrête. Dans les yeux de Coulibaly, un sourire, une joie. Il ne tire pas. Un brin d’humanité ? Une arme enrayée, répondra la balistique. Coulibaly part en petites foulées. Quand je pense qu’il avait été reçu à l’Elysée ! (article du Parisien du 19/07/2009)
Son ami dérive dans une mare de sang. Il le soulève, le transporte chez Midas, de l’autre côté de la rue. Les tables sont fourrées de personnes tremblantes. Une minitrousse de secours face au visage en morceaux. Cinq hommes des secours arrachent l’agent d’entretien à son ami qu’il ne voulait plus quitter.
Clarissa est morte. Il aurait dû l’aider ? Il aurait du pousser le canon du fusil. Si. Si. Si. Culpabilité. Puis la rage. Contre les journalistes. Ils ont divulgué son nom et son prénom. Puis la peur. Peur que des terroristes viennent finir le boulot.
La moto Suzuki de Coulibaly restera garée là, à 200 mètres de l’ école juive, durant dix jours. Coulibaly voulait-il être le nouveau Mérah ? L’école ouvre à 8h, Coulibaly fut bloqué par l’accident de voiture. Clarissa assassinée à 8h04. Ce jour du 8 janvier 2015, un grand malheur ne s’est pas produit. La photographie de Clarissa est toujours collée sur la porte de l’école.
J’ai encore rencontré un héros du quotidien.

Jour 13- le 18 septembre 2020

7h45 – Boulevard Berthier, j’arrive au contrôle en même temps qu’un des accusés, Raumel. Je le regarde. « Liberté, égalité, fraternité » sonne dans ma tête. Le premier jour d’audience, l’avocat général lui rappelait qu’il ne respectait pas le contrôle judiciaire imposé. « On vous a fait confiance monsieur Raumel ». Sans suite. Comme un classement.
9h30 – La maman de Clarissa Jean-Philippe, dans sa rondeur colorée, se tient devant le président. Dans sa voix, l’écume, le petit roulis, les vagues transparentes et chaudes, puis un ouragan. Elle a fait un long voyage pour parler de sa petite. La gazelle, une magnifique athlète. D’abord agent de sécurité puis policière municipale. La fierté de la famille. Le teléphone sonne le 9 janvier 2015, il bafouille : « On a enlevé Clarissa… On l’a tuée ». Sa tasse remplie de café se brise par terre dans le silence d’un cerveau coupé du réel assassin. Des heures de vol pour rejoindre le jeune corps de celle qu’elle aime plus que tout. Les derniers mots échangés par téléphone : « Ne t’inquiète pas. On ne risque rien maman. On nous a donné des gilets pare-balles ». Et puis, l’horreur des images à la télévision, Clarissa à terre.
Médiatisation violente des victimes, de leur corps, de leur nom. Mise en accusation des journalistes. Les victimes le crient à la barre depuis le 2 septembre 2020. Elles demandent le respect. Il n’y aura pas de veillée du corps défiguré par la Kalashnikov.
« A la grande marche du 11 janvier 2015, moi, j’étais Clarissa, et nous étions beaucoup » dit-elle avec une fierté mêlée de rancœur triste. La maman amputée de son enfant chérie veille son souvenir dans sa maison guadeloupéenne entre deux chimiothérapies, entre ciel et larmes. Elle est claire dans son attente : « la personne qui a donné l’arme est la plus coupable ». Sur l’écran de la salle d’audience, les photos de cette magnifique jeune femme. Le soleil gorge sa peau brune. Elle a un petit chapeau bleu.
On est déjà vendredi. Accusés d’avoir fourni des moyens, ils ont maintenant la parole. Ils se lèvent tout à tour et nient farouchement leur proximité, chacun à sa manière. « C’est un monstre… J’ai de la haine… Je me suis trompé sur lui… C’est de la sauvagerie… Je ne le connais pas… C’est un pédophile, un terroriste… .Je croyais que c’était un criminel, mais pas un assassin… C’est un sanguinaire… Je ne pensais pas qu’il tuait des gens… C’est lâche ce qu’il a fait… Je connaissais Dolly, mais pas Coulibaly… C’est pas la même personne… Je ne l’ai jamais vu ». Non ce n’était pas un monstre. C’était un homme extrêmement dangereux. Et il y en a d’autres.
Le président nous fait part de sa décision : lundi, pas de diffusion des images de la tuerie de l’Hyper Cacher tournées par la Go Pro de Coulibaly. Un grand soulagement. Merci pour les victimes, pour les morts, pour les vivants. Merci de ne pas nous métamorphoser en écho, en passeurs d’horreurs.
Le dernier train est vide. J’arrive à minuit dans mon Sud. Les petits doigts rongés d’H. m’enlacent. Il m’attendait.

Jour 14 – Lundi 21 septembre 2020

7h30 – Devant la salle 2.02, l’homme conduit l’engin électrique, aspire, nettoie, se cogne aux murs comme une souris aveugle. Les policiers passent les bancs au miroir. Réveil au palais. Je pose les 2 cafés du distributeur sur la petite table pour les premiers arrivés.
9h29 – Axel Metzker, un avocat tout rond, s’installe à côté de moi. Il a des questions inattendues, une bonhomie, un pas de sénateur. Une énorme valise à roulettes qu’il n’ouvre jamais. Un mystère.
L’ambiance en partie civile est studieuse et amicale. Chacun a gagné sa place. La constance et l’investissement dans la cause ont eu raison d’autres considérations. On souffre ensemble. On s’énerve ensemble. On sourit ensemble. Les égos se sont tus. La respiration commune est venue. Le 11 novembre, ils vont me manquer.
9h30 – Même voix, même costume, mêmes chaussures que pour Charlie et Clarissa, le commissaire commente la vidéosurveillance du magasin, découpée en images, qui remplit le grand écran. Une douleur commune flotte. Palpable. Des marques jaunes numérotées sur les corps sans vie, les étuis de munitions, les explosifs, les fusils, les sacs. Être un numéro.
Grâce au visionnage de la Go Pro, le commissaire divisionnaire de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire détaille le vendredi 9 janvier 2015. Il est 13h05. Coulibaly est armé de 2 fusils d’assaut (calibre 7,62×39), 2 pistolets semi-automatiques (Tokarev TT33), 20 bâtons d’explosifs, un taser. Il entre dans l’Hyper Cacher. Il tire sur le jeune magasinier, Yohan Cohen. Hurlements de douleur. Panique. Course folle dans le magasin. Affolement général. Le sang se répand. L’odeur de poudre. Les cris. Survivre. Le gérant se rue vers la sortie. Une balle fuse dans son épaule. Une barre en fer bloque la sortie de secours. Trois personnes la tordent et s’échappent. Quinze se cachent au sous-sol. Huit rampent à l’étage. Trouver une cachette, un abri pour se cacher. Le géant sanguinaire se dirige au fond du magasin. Un homme à terre, tremblant est ramené vers l’entrée. « Ton nom ? » « Philippe Braham. » Il l’exécute. Et encore 2 tirs sur Yohan Cohen. La jeune caissière ferme le rideau de fer sur ordre. Michel Saada force l’entrée du magasin. Il est tranquille. Il marche dans sa tête. Il doit acheter le pain du shabbat. « Ce sera rapide, mademoiselle ». Puis il voit, rebrousse chemin. Deux balles dans le dos. Sa dépouille trainée sur le sol, écartée par Coulibaly.
Coulibaly ordonne de faire monter tout le monde, d’arracher les caméras de surveillance du magasin, de remettre son téléphone portable, d’énoncer son nom et sa religion.
La jeune caissière supplie les personnes au bas de l’escalier. Trois remontent. Yoav Hattab est exécuté alors qu’il s’empare courageusement d’un fusil d’assaut posé sur une palette.
Dans la chambre froide, 8 personnes se cachent. Ne pas faire un bruit. Occuper le nourrisson de onze mois. Se réchauffer. Attendre, protégé de remparts en cartons de crevettes congelées, sans rien entendre.
Les corps baignent dans le sang, les otages tremblent, Coulibaly se restaure, fait sa prière. Il est menaçant. Invective. Evoque sa haine des Français. Sa haine des juifs. Propose d’achever Yohan Cohen, agonisant, accroché à la vie. L’enfant vomit. Coulibaly essaie d’envoyer les images de la Go Pro par Internet, cherche à joindre les policiers, regarde les chaînes d’information. Il appelle la chaine BFM. Il tient à ce que le nombre de morts soit médiatisé. La bande-son de l’appel remplit la salle d’audience. Il demande le retrait de l’armée française de tout les pays où elle combat l’islam. Il évoque la synchronisation de son action avec les frères Kouachi.
L’employé musulman de l’Hyper Casher s’est échappé par le monte-charge. Il se débat pendant une heure et demie dans les filets des policiers. A 17h10, le rideau de fer se lève, les hommes du raid pénètrent dans le magasin, forts du plan dessiné par Lassana. Coulibali s’effondre, 27 trous dans le corps. Les otages libérés sont placés dans un immeuble réquisitionné. Les familles attendent dans l’angoisse et demandent des nouvelles.
12h30 – Les victimes sortent de la salle d’audience. Les caméras se retiennent, pudiques. Le repos de la salle des pas perdus. Les carottes râpées de la cafétéria du palais, 2 pommes et un café. Axel à côté de moi.
14h – Les journalistes attendent le maire de Paris. Viendra ? Viendra pas ? Elle traverse la salle d’audience habillée simplement, chaussures plates, brushing parfait. Brutalement, les avocats de la défense se lèvent dans un même élan. Leurs bancs se vident. Ils disparaissent à la sortie. Geste fort pour marquer une opposition à cette audition. Pour certaines victimes, la présence du maire est réconfortante, signe fort du haut intérêt porté à leur malheur. Elle évoque la tristesse, le malheur. A sa sortie, les caméras l’attendent. Elle parle. Les victimes passent. La tête dans leur malheur. La défense déserteuse demande au président d’acter son absence aux côtés des accusés. Les donner actes, fabrique de moyens de cassation. Les victimes ne comprennent pas. Nous sommes sûrs de nous.
Et en rangeant mes affaires, je pense à ce père, pétri d’angoisse et d’espoir devant l’Hyper Cacher. « Vous connaissez Yohan Cohen ? Il va bien ?»

Jour 15 – Mardi 22 septembre 2020

7h – petite pensée pour mon pays. Aujourd’hui, c’est l’élection du bâtonnier à Montpellier. Devenir l’élu.
9h30 – La sonnette comme au théâtre puis l’huissier d’une voix solennelle : « La Cour ! ». Tout le monde se lêve, même Ali Riza Polat, accusé de complicité. Il respecte désormais cette règle.
Le président annonce un ordre de passage : les familles des personnes décédées, les membres du personnel, les personnes séquestrées et les autres parties civiles. Les autres…
Certains, réfugiés en Israël, viennent dire l’horreur, les larmes, la colère, leur sentiment d’injustice. J’entends clairement leur attente : une réponse judiciaire très ferme, sans concession.
Le père de Yoan Cohen, digne, raconte l’attente du 9 janvier 2015. Sept heures, puis l’inaudible. L’inacceptable sous une tente dans le froid. La mort de son fils de vingt ans. Plus d’avenir. Il ne se mariera pas. Les anniversaires, les fêtes raviveront ce manque. Et au lieu de la solennité attendue ici, il voit les avocats de la défense communiquant tranquillement avec leurs clients. Je comprends ce choc. La révélation par les médias des quarante minutes d’agonie de son fils. Le drame de cette vérité cachée à sa femme et à sa fille contre une mort instantanée. Le corps de douleur de son fils baignant dans le sang. Cet homme est en costume, grand, élégant, digne. Sa colère silencieuse envahit la salle. Une certaine résignation.
Le père de Yoav Hattab s’approche, lourd de peine. Son fils de 22 ans, brillant étudiant, a été exécuté. L’arme récupérée sur la palette s’est enrayée. Il voulait sauver tout le monde. Il est mort. Les mères ne peuvent venir. Leurs voix se sont tues.
La femme de Philippe Abraham, exécuté parce que juif , pleure. Sa petite famille de trois enfants vit recluse. Seule la photographie du père sur la table l’aide à conserver les traditions. Elle avait donné une liste de courses. Il a oublié certains aliments. Il y retourne le lendemain pour shabbat. Pas de suite.
Puis la femme de monsieur Saada exprime son desarroi. Son mari ne voulait pas revenir sans le pain de Shabbat. Son corps est enterré en Israël, mais plusieurs mois plus tard, elle a été contactée par le service médico-légal car le cerveau n’avait pas été restitué suite à l’autopsie.
La jeune caissière raconte, fragile. Elle a exécuté les ordres de Coulibaly avec calme. Elle s’est réfugiée en Israël. Elle est infirmière désormais.
Lassana, chef de rayon, exprime sa tristesse. L’auteur des attentats est musulman comme lui. Originaire du Mali comme lui. De la même ethnie. Du village voisin. « Il a ramassé le drapeau du Mali jeté à terre par Coulibaly » (dixit l’ancien président du Mali). Mais aussi… Il a perdu un frère. Et son frère, c’était Yoan Cohen.
Quelques membres des familles ont rassemblé leurs forces et viennent à la barre du tribunal. Des photos des défunts sont projetées dans la salle. Seuls ou en famille. Souriants. Pour un instant. La violence et la lâcheté de l’acte terroriste dévastateur. La peur panique générée. Fuite en Israël. Il leur sera désormais impossible de se sentir en sécurité. La guerre en temps de paix. L’ennemi difficile à identifier. C’est un autre nous-même. Parce qu’on est en temps de paix. Parce qu’on ne peut pas imaginer un seul instant les djihadistes arrivant à leurs fins. Ce manque d’imagination pourrait, un jour, abîmer irrémédiablement nos institutions démocratiques.

Jour 16 – 23 septembre 2020

7h22 – Je marche sans enthousiasme. J’arrive au palais. un mail nous prévient. Les experts psychiatres et psychologues commis pour les victimes ne viendront pas. Entre autres raisons, maladies et risque de Covid-19. Les séquelles engendrées par ces actes odieux ne seront pas exposées médicalement. Les examens médico-légaux ne sont pas non plus au programme de ce procès… historique.
9h30 – L’avocat de Riza Polat, Isabelle Coutant-Peyre, est debout devant le micro. Son cahier à spirales a disparu nuitamment. Le tribunal a couté 3 milliards d’euros et on ne peut pas laisser nos affaires comme c’est la coutume depuis un siècle. Le président ordonne des recherches. Ce nouveau palais répond aux enjeux fonctionnels et techniques de la justice. Des lignes épurées. Très loin de la solennité des monuments historiques aux élévations sévéres. Les frontons sculptés, les vieilles pierres, les immenses portes et voûtes, les colonnes, les escaliers monumentaux à l’ambiance grave.
10h00 – Les victimes séquestrées dans le magasin Hyper Cacher pendant quatre heures le 9 janvier 2015 s’approchent une à une. Au milieu des rayons du magasin, ceux restés là ou remontés du sous-sol suite aux demandes de la caissière. Ils racontent le contact constant avec le terroriste. Peur de mourir. Impuissance. Les tirs mortels. Coulibaly se restaure. Un enfant de 3 ans vomit. Le blessé agonise. Coulibaly prie. L’odeur du sang, de poudre, les bouteilles de vin cassées. Coulibaly demande que l’oppression de ses frères palestiniens cesse et que les troupes au Mali soient retirées. Le sang coule. Les minutent passent. Incertitude de la minute suivante. Coulibaly appelle BFM. L’une se souvient. Coulibaly l’interpelle. « Qu’est ce que tu t’es fait, pourquoi tu saignes ? » « Une bouteille cassée ». « Tu ne dira pas que c’est moi!» « Non, je vous promets » « Mais pourquoi tu dis non ? De toute façon, tu vas mourir ! ».
Le médiocre s’arroge le droit de vie ou de mort. Il propose d’achever Yoan, trop bruyant dans son agonie. Vient l’assaut terrifiant, mais libérateur, annoncé par des points rouges. Coulibaly tire en rafale et tombe. Les otages sont sous les caisses. Puis les forces de l’ordre se rendent au sous-sol. Certaines victimes sont descendues se cacher dès l’entrée de Coulibaly dans le magasin. Ils téléphonaient à leur famille en économisant la batterie et sans bruit. Tremblant de froid, mais aussi de peur. Les échanges pendant les 4 heures passées ensemble. Le nourrisson de 10 mois qu’il fallait occuper. Il devait rester silencieux. La peur de voir arriver le terroriste, arme au poing. Puis, libérés. Il fallait sortir sans regarder. Ils glissent dans le sang. A la barre, des pleurs, des temblements, des crises de panique. Traverser cette scène de guerre. S’assurer dans un dernier regard de la mort de Coulibaly. Découvrir le décalage entre le petit monde du congélateur et l’extérieur avec tout ces policiers, la presse. Puis l’Hôtel Dieu, les psychologues.
Ils ne veulent plus voir leur nom dans les médias. Ces hommes et ces femmes racontent leur monde d’après. Perte de leur travail. Hypervigilance. Insomnies, cauchemars. Culpabilité. Repli sur soi. Ne plus sortir. Les maladies, le coeur, la tension. La fuite en Israël. Coulibaly de leur dire : « Ça ne fait que commencer ».
Il y aura plus tard, on le sait maintenant, le 13 novembre 2015 et la nouvelle tuerie.
Les dernières parties civiles s’expriment. Ce sont les associations. Le Crif, Sos Racisme, MRAP, Avocat sans frontières, la Licra, l’Union des étudiants juifs de France. Les crimes antisémites sont rappelés : 12 personnes assassinées en France depuis les années 2000 parce qu’elles étaient juives. La France est-elle sourde et aveugle ? L’indifférence assassine. Dans le 19e arrondissement, un restaurant est saccagé, des inscription antisémites sur les murs. Ce n’est pas fini.
D’ailleurs, concernant les otages, l’infraction de séquestration avec libération avant le 7e jour retenue ne reflète pas la réalité. L’assaillant était là, dans ce magasin, pour tuer des juifs. Il avait 20 bâtons de dynamite. Il a menacé les otages de mort. Patrick Klugman, avocat de parties civiles, développe ce point et demande une réflexion sur la qualification à retenir. La Cour ajoutera certainement une question à sa liste.
C’est la fin de la journée. Les accusés, un à un, observent : « J’ai la rage, la haine parce que j’ai côtoyé ce mec là… d’avoir côtoyé ce mec là… les monstruosité commises par une ordure… C’est immonde… J’ai honte d’être là, dans ce box dans cette affaire, ça me bouffe de l’intérieur… » (Pastor). “Je suis choqué, terrifié par cette personne qui assassine pour des religions, des professions, ou des caricatures… Ils sont sans foi ni loi, n’ont pas de religion, des idiots, des gens lâchent, n’ont rien à faire sur cette terre » (Fares). « On est tous d’accord, assassiner une personne par rapport à sa religion, c’est honteux » (Makhlouf). « Aller faire ses courses et se faire tuer, c’est incompréhensible » (Ramdani). « J’ai envie de l’insulter. C’est atroce, t’as pas le droit de tuer les gens… J’y suis pour rien…» (Polat). « Je connais rien là-dedans… J’ai toujours vécu dans les cafés. Orthodoxes, juifs, musulmans. Moi j’y suis pour rien. Je sais même pas ce que je fais ici » (Catino). « C’est une honte pour ma communauté, ma famille… Si je savais ce qu’il allait faire, je l’aurais fait tuer. Il faut dénoncer ces gens-là. C’est pas balancer… Avant, tout le monde était juif… En plus les juifs, ils rendent l’argent quand on leur prête » (Karasular). « Condoléances aux familles… Dégoût que les musulmans se comportent comme des nazis. Beaucoup sont antijuifs, Il faut pas le nier. À mes yeux, il y a un grand manque de connaissances historiques… Certains versets sont antijuifs, mais c’est un problème d’ordre religieux…» (Martinez). « Je comprends les victimes et leurs besoins de justice » (Abbad). « Ils ont la haine, c’est normal… J’ai pas grandi avec la haine » (Prevost). « Pas de mots pour décrire ce massacre, cette boucherie, le témoignages des victimes de l’HyperCacher m’a touché… » (Raumel).
Les victimes écoutent, dignes.
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