Réforme du code du Travail : ce qui nous attend

Le contenu du « projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social » est maintenant connu. Le texte, qui englobe plusieurs sujets, est discuté en parallèle de la concertation avec les syndicats. Le point sur l’articulation des accords de branche et d'entreprise et les mesures visant la limitation et la sécurisation des contentieux.

Nouvelle articulation des accords de branche et d’entreprise

Sitôt votée la loi Travail, la réforme est remise sur le chantier par l’article 1 de la loi d’habilitation. Après discussions avec les partenaires sociaux, il semble que trois hypothèses de négociation seraient prévues :

• 1er cas : l’accord de branche prime de manière impérative sur l’accord d’entreprise. Cinq thèmes seraient retenus : les minima conventionnels, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, la gestion et la qualité de l’emploi, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

• 2e cas : la branche peut faire primer son accord sur les accords d’entreprise. Trois situations seraient prévues : la pénibilité et la prévention des risques professionnels, le handicap, les conditions et moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière.

• 3e cas : l’accord d’entreprise (quand il existe) prime sur l’accord de branche. Cela concernerait tous les domaines non prévus dans les deux autres blocs de négociations.

 

Limiter et sécuriser les contentieux

Plusieurs mesures importantes sont prévues à ce sujet.

Faire prévaloir le fond sur la forme

On sait aujourd’hui qu’une irrégularité de procédure peut entraîner un licenciement sans cause réelle ni sérieuse (exemple : si la lettre de licenciement n’est pas motivée ou insuffisamment motivée). Il est prévu de revenir sur ce principe.

Réduire les délais de prescription

Le gouvernement envisage de raccourcir les délais de contestation. La prescription constitue un levier permettant de limiter le risque contentieux. Un bref délai de contestation découragera immanquablement les salariés – qui disposeront de peu de temps pour s’informer et organiser leur défense –, éteindra toute action ultérieure et interdira au juge d’examiner la licéité de contrats antérieurs.

Rétroactivité de la jurisprudence

Ce problème de la prescription paraît d’autant plus important qu’il est lié à la question de la rétroactivité de la jurisprudence. Pour la Cour de cassation, « la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ». En pratique, les usagers qui ont déterminé leurs choix en fonction de ce qu’ils croyaient correspondre à l’état de la jurisprudence découvrent parfois a posteriori et suite à des modifications de jurisprudence, qu’ils se sont mis, de bonne foi, en contravention avec les règles applicables, qu’ils ne pouvaient prévoir et encore moins appliquer. Or, les revirements et créations prétoriennes sont fréquents en droit du travail.

Rappel

Avant la loi du 17 juin 2008, la prescription était de cinq ans en matière de salaire et de trente ans en matière de dommages-intérêts. Ce délai avait été fortement critiqué en ce qu’il contribuait à l’insécurité juridique de l’employeur. Le législateur a donc décidé d’unifier les prescriptions en les fixant uniformément à cinq ans, qu’il s’agisse de salaires ou de dommages-intérêts. La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a encore réduit ces délais : l’action en paiement ou en répétition du salaire est passée de cinq à trois ans à compter du jour où celui qui exerce une action en justice a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Quant à l’action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, elle se prescrit par deux ans (C. trav. Art. L. 1471-1). Ce schéma connaît toutefois des exceptions : le recours juridictionnel contre une décision d’homologation de rupture conventionnelle doit être formé dans les douze mois. Egalement, la loi de sécurisation de l’emploi a diminué les prescriptions applicables dans le cadre de la contestation des plans de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), lorsqu’un employeur licencie ou compte licencier au moins 10 salariés dans une entreprise d’au moins 50 personnes sur une période de trente jours. De même, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci.
Le projet de loi d’habilitation prévoit une fois de plus de « réduire les délais de recours contentieux en cas de rupture du contrat de travail ».
A l’étranger, les délais de contestation suite à un licenciement sont souvent brefs. Ainsi, en Europe, le droit allemand fixe à trois semaines le délai d’introduction de l’instance à compter du terme du contrat ; le droit espagnol à vingt jours. Il est de trois mois en Belgique ou au Luxembourg, de quatre mois en Suède….

Instaurer un référentiel obligatoire de dommages-intérêts

Ce souhait de plafonner les indemnités de rupture abusive répond à l’idée d’ôter aux employeurs les craintes et contraintes économiques excessives en cas de licenciement. De plus, il serait paradoxal de rejeter le plafond des indemnités de rupture abusive et de l’admettre (comme c’est le cas en droit français) pour les indemnités de rupture elles-mêmes (pour la Cour de cassation, aucune disposition ne peut interdire à une convention collective de plafonner une indemnité de licenciement, dès lors que le montant se révèle au moins aussi favorable que le minimum prévu par le code du Travail).

 

Trouver le juste équilibre

Les professionnels savent que toute contestation d’un licenciement constitue une épée de Damoclès pour le chef d’entreprise. Encore faut-il déterminer un barème équilibré pour toutes les parties ! De nombreux pays se sont orientés vers un barème des indemnités de rupture abusive afin d’éviter toute dérive des juges, certains avec un plafonnement assez simple. En France, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a prévu, dans le cadre d’un litige portant sur un licenciement, la possibilité pour les parties de décider, pendant la phase de conciliation au conseil de prud’hommes, de mettre un terme au litige, en contrepartie du versement, par l’employeur, d’une indemnité forfaitaire calculée en fonction d’un barème tenant compte de l’ancienneté du salarié (de deux mois de salaire pour une ancienneté inférieure à deux ans à quatorze mois de salaire pour plus de vingt-cinq ans). Cette indemnité forfaitaire ne constituait qu’une possibilité pour les parties, quelle que soit la taille de l’entreprise, et incluait toutes les indemnités relatives à la rupture du contrat de travail (irrégularité de la procédure suivie, absence de caractère réel et sérieux des motifs) hormis les indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles de rupture. Cependant, dans la pratique, cette timide disposition n’était guère appliquée.

“Corridor indemnitaire”

Le thème du plafonnement de l’indemnité de rupture abusive est revenu à l’ordre du jour en 2015, dans le cadre de la discussion du projet de loi Macron, avec la nécessité pour le gouvernement de créer un système obligatoire, un « corridor indemnitaire » avec un plancher et un plafond en fonction de la taille de l’entreprise, de l’ancienneté du salarié… Finalement, le système de plafonnement retenu par le Parlement, qui tenait compte de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Une nouvelle tentative, au cours de la discussion du projet de loi Travail en 2016, a été abandonnée du fait de l’hostilité des syndicats. Si l’idée du référentiel obligatoire peut donc se comprendre, il reste à trouver un barème équilibré et comportant peu d’exceptions.

François TAQUET, avocat,
spécialiste en droit du travail et protection sociale

 

Ordonnances. C’est l’article 38 de la Constitution de 1958 qui permet au gouvernement de légiférer par ordonnance sur habilitation du Parlement, lequel précise dans quels domaines et pendant quelle durée le gouvernement peut prendre des dispositions à caractère législatif.

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