Travail : « Il ne faut pas passer du télétravail forcé au présentiel forcé »
Noémie Le Menn, psychologue du travail et coach, présidente du cabinet Upchange Conseil & Coaching, analyse le contexte de travail actuel.
Le télétravail s’est démocratisé à toutes les entreprises. Impossible pour elles de faire marche arrière. D’autant que certains salariés craignent le retour au bureau. Elles doivent donc prendre des mesures pour réinviter le plaisir au travail et positiver les relations interpersonnelles.
Où en est-on du télétravail aujourd’hui dans les entreprises ?
Noémie Le Menn : “Les grandes entreprises ont tranché par les nombreux accords de télétravail signés avec les partenaires sociaux : le monde après covid ne sera pas celui d’avant. Précurseuses, elles vont tailler la route en termes de télétravail. Reste aux PME et aux petites entreprises de suivre leur exemple. S’il existait auparavant des entreprises qui étaient complètement contre le télétravail, force est de constater que nombre d’entre elles ont changé d’avis. La crise ayant montré que c’était possible et les salariés en télétravail ayant prouvé qu’ils travaillaient avec une meilleure productivité, voire plus, voire trop.
Si trois quarts des entreprises ont pour objectif de faire revenir leurs collaborateurs en présentiel, selon Malakoff Humanis, 60 % des salariés appréhendent leur retour au bureau. Le 7e baromètre d’Opinion Way pour le cabinet Empreinte humaine a également révélé qu’un salarié sur deux et 74% parmi ceux en télétravail ne souhaitaient pas revenir sur leur lieu de travail « comme avant ».
Dès lors se pose la question : faut-il inciter tout le monde à revenir ? S’agit-il de passer du télétravail forcé au présentiel forcé ? Des accords ont été signés ou sont en train de l’être pour un télétravail à raison de deux à trois jours par semaine. Celui-ci doit être basé sur la règle du volontariat, ce qui est à mon sens une bonne chose : on ne peut pas forcer les collaborateurs à revenir. Ceux qui ne souhaitent pas télétravailler ne doivent pas y être obligés, certains collaborateurs se sentant mieux au bureau. D’autres sont, au contraire, mieux chez eux et mal au travail. Si les salariés ne veulent pas revenir, l’entreprise doit le prendre comme un signal et dès lors se poser des questions. La possibilité du télétravail doit tenir compte des tâches, du niveau de maturité et de la personnalité des collaborateurs. Il faut pouvoir en discuter avec eux. Hors crise, de manière régulée avec le bon contexte et dans de bonnes conditions, le télétravail est indéniablement un plus et peut constituer un levier de motivation supplémentaire. Certaines entreprises en manque de talents vont sans doute profiter de cette manne de migrations en tous genres et du télétravail. Mais cela ne doit pas être tout le temps, de manière systématique et sans lien social. L’excès nuit en tout”.
Quels sont les risques et les conséquences du télétravail ?
Noémie Le Menn : “Le télétravail a entraîné quelques dérives, comme le workaholisme ou addiction au travail qui n’est pas sans conséquence sur la santé des collaborateurs. D’autres addictions en tous genres, au tabac et à l’alcool notamment, sont également à déplorer. Chez eux, les collaborateurs font ce qu’ils veulent, ils ne bénéficient pas d’un cadre comme en présentiel où ils doivent « se tenir » et respecter des normes sociales. Le regard des autres permet de se réguler et d’empêcher certains excès.
Ceux qui ne savent pas poser de limites ou ne sont pas assez structurés peuvent vite se laisser déborder. Je pressens d’ailleurs une quatrième vague d’épidémie avec une explosion du taux de burn-out. Déjà avant la pandémie, on faisait état de la hausse des burn-out à l’échelle européenne. Le baromètre OpinionWay du 26 mai 2021 montrait que le taux avait doublé en un an, dans l’Hexagone. C’est une des conséquences de la crise, associée au fait que certains ont dû mettre des coups de collier, parfois sans limites. La France avait d’ailleurs mis l’accent sur la nécessité de faire de la prévention sur le sujet et l’avait inscrit comme une norme dans le plan santé au travail 2016-2020, afin d’améliorer la connaissance du phénomène et de pouvoir recommander certaines bonnes pratiques en la matière. Car les entreprises ont l’obligation de préserver la santé de leurs salariés. Si les RH savent qu’il y a des burn-out, nombre d’entre elles cachent la poussière sous le tapis, négociant des conventions de départ ou laissant les salariés en congé maladie ou les réintégrant en les mettant « au placard ». Certes, il y a beaucoup de freins qui empêchent l’identification et la mesure du phénomène. Mais elles doivent pourtant s’interroger sur ce qui le favorise dans l’entreprise.”
Comment les entreprises peuvent-elles prévenir et anticiper les appréhensions du retour au bureau ?
Noémie Le Menn : “Nous pouvons tirer parti des leçons de la crise. On a gagné des années d’évolution en ce qui concerne le télétravail, par exemple. La rentrée va être l’occasion pour les entreprises de réfléchir et de tirer les leçons de leur organisation et de leur culture d’entreprise. Il est important de favoriser le dialogue en assainissant les conflits, en résolvant les difficultés et de réinviter le plaisir au travail, en organisant des événements sympathiques. Je ne parle pas de bonheur qui reste personnel et ne relève pas de la mission de l’entreprise. Il s’agit pour les collaborateurs de passer des bons moments ensemble, d’instiller de la reconnaissance, de la valorisation au travail et des encouragements sympathiques dans les moments plus difficiles. Redynamiser, redonner envie de travailler ensemble et se donner du plaisir à être ensemble en présentiel, c’est une bonne méthode pour favoriser les retours.
En tant que coach et psychologue du travail, j’ai pris conscience à quel point certaines relations au travail pouvaient être stressantes pour ma clientèle, que ce soit avec leur manager, soit parce qu’il est caractériel ou négatif, ou dans le cadre d’autres relations interpersonnelles.
Les entreprises gagneraient à travailler sur les comportements et les modes relationnels contre-productifs. L’énergie et la charge mentale de certaines personnes se focalisent sur leur protection et leur défense, plutôt que vers l’action et la créativité… En aidant leurs salariés à identifier et comprendre ce qui freine et empêche leur retour en présentiel, les entreprises décèlent leurs propres axes d’amélioration pour une meilleure performance. Le télétravail a apporté une distance, et en cela un bienfait pour celles et ceux qui souffrent d’un management trop pesant, leur manager ne pouvant plus débarquer à l’improviste dans leur bureau. Cela leur donne une vraie respiration et leur enlève une charge de stress énorme. Sur l’écran, au pire, ils peuvent se déconnecter ou couper la caméra, c’est une soupape.
Enfin, il faut cesser les réunions en présentiel du lundi matin, classiques tours de table où les collaborateurs ont le sentiment de passer devant un jury, comme lorsqu’ils étaient à l’école. Il revient aux entreprises de trouver d’autres méthodes de reporting responsabilisantes et plus dynamisantes. Maintenant que les salariés ont prouvé leurs capacités de travail en autonomie, ils supporteront de moins en moins certaines méthodes…”