Société — Montpellier

Agde, Vécu : "mon adolescence a été gâchée par le harcèlement scolaire"

Sarah*, 30 ans, a été victime de harcèlement scolaire durant de nombreuses années lorsqu'elle était élève au collège. Elle revient sur cette période extrêmement difficile pour elle, dont elle s'est remise avec le temps…

Hérault Tribune vous propose depuis quelque temps une série de témoignages de personnes qui ont vécu ou vivent ce que l’on nomme pudiquement “les difficultés de la vie”, et qui sont en plein combat, ou s’en sont sorties. Vecteurs d’espoir ou montrant la noblesse de ces vies humaines, ces témoignages peuvent être de nature à encourager des personnes qui se trouveraient dans le même cas. Voici le récit de Sarah, victime de harcèlement scolaire pendant plusieurs années*…

Des années de collège particulièrement éprouvantes

Quel âge aviez-vous lorsque le harcèlement scolaire s’est installé dans votre vie ?

Sarah : “Ça a commencé quand j’étais en CE1, vers 7 ans. Une ‘amie’ proche me rackettait en échange de l’autorisation de jouer avec les copains et les copines. Ses parents lui donnaient 2 biscuits au goûter et mes parents m’en donnaient plus. Elle a trouvé cette façon de goûter à sa faim. Ma mère, qui a remarqué que des paquets de gâteaux disparaissaient régulièrement du placard, est intervenue très vite. Elle a cherché les raisons et compris d’où venait le problème. Elle en a discuté avec la maman de mon ‘amie’ et a réglé cette situation. A la seconde où sa mère lui a expliqué qu’elle s’était mal comportée, ma copine est venue s’excuser, et nous sommes ensuite devenues amies.”

Cela s’est-il arrêté là ?

Sarah : “Malheureusement non. Au collège, je me suis retrouvée isolée assez rapidement car je venais d’une autre école. J’ai été rejetée par la seule gamine qui venait de mon école, et il y a eu une escalade. Une fois, en voulant jouer avec des filles, je me suis fait piéger : elles m’ont mise au défi d’entrer dans un casier. J’y suis restée enfermée un quart d’heure, et j’ai dû le défoncer à coups de pieds pour en sortir.

A midi, à la cantine scolaire, il y avait de très grandes tablées. A chaque fois qu’il y avait une place libre, on me disait que je ne pouvais pas m’asseoir. Je devais donc me réfugier aux toilettes pour manger ou au troisième étage devant la bibliothèque, déserte à cette heure-là.

J’avais 11 ans. Un cap était franchi. J’ai donc commencé à quitter le collège le midi alors que j’étais demi-pensionnaire. A l’insu de mes parents, je rentrais déjeuner chez moi, où je me sentais en sécurité. Mes parents n’étaient pas à la maison. Ça n’était possible que deux jours par semaine, après la piscine et la techno. J’ai dit que j’avais perdu mon cahier de correspondance, on m’en a fourni un nouveau, et j’ai écrit un mot prétendument signé par ma mère demandant que je devienne externe. Parfois je ne mangeais pas, sinon j’utilisais mon argent de poche pour m’acheter à manger. Le plus dur était de faire disparaître les traces de ma présence du midi à la maison.”

Avez-vous reçu l’aide d’adultes durant cette période ?

Sarah : “Certains professeurs, comme mon prof de mathématiques, participaient au harcèlement moral, en riant aux blagues qui étaient faites contre moi. En cinquième, ça faisait deux ans que ça durait. J’avais l’impression d’être éteinte. Je n’avais pas envie d’en parler à mes parents, qui étaient très absents. Il y a eu une période dans mon enfance où j’affabulais, comme tous les enfants de moins de 7 ans, donc j’ai craint que mes parents ne me croient pas.”

Êtes-vous parvenue à vous lier d’amitié avec des jeunes au collège ?

Sarah : “En cinquième, j’ai réussi à me faire quelques copines. Mais un jour, elles se sont retournées contre moi pour une broutille. Un soir où nous rentrions chez nous, elles m’ont insultée sur tout le trajet du retour, depuis le trottoir d’en face. Ma mère est arrivée, et en entendant cela, elle m’a posé des questions. J’ai répondu que nous nous étions disputées mais que ça n’avait pas d’importance. Comme ma sœur était en crise à ce moment-là, elle n’a pas cherché à en savoir plus. Le lendemain, j’avais terriblement peur de retourner en cours, et en même temps j’étais anesthésiée. J’étais un zombie. Je ne voulais pas y retourner. J’ai eu envie de me jeter du balcon. On vivait au cinquième étage.

Mais notre baby-sitter a compris que je n’allais pas bien. Elle a pensé que j’étais malade car j’étais livide. Elle m’a dit d’aller m’allonger et je ne suis pas allée au collège pendant trois jours. Pendant dix ans, j’ai cru que c’était parce qu’elle avait parlé à mes parents que nous avions déménagé de Paris quatre mois plus tard. J’ai appris récemment que ce n’était pas le cas, et que c’était dû au fait que ma mère s’était vue refuser une promotion. A la suite du déménagement, j’ai changé de collège.

Est-ce que cela s’est mieux passé dans ce nouveau collège ?

Sarah : “Mon deuxième collège était situé dans une petite ville. Arrivée en classe de quatrième, j’ai cru pouvoir me créer une nouvelle vie, me faire des amis. Au bout de deux heures, pourtant, j’avais déjà un surnom. Tous les élèves se connaissaient, j’étais l’intruse. J’étais une erreur, je me suis sentie de trop. Et j’ai pensé que je ne serais jamais acceptée. Pourtant, j’étais appréciée par les adultes, j’étais même déléguée de classe.

Mais avec les gens de mon âge, ça ne passait absolument pas. J’étais rondelette avec un monosourcil, des lunettes, habillée toujours en noir et je venais de Paris.

Au bout d’une semaine s’est produit un événement qui m’a rendue très fière mais qui m’a causé deux ans d’ennuis ensuite : 3 collégiennes m’insultaient régulièrement. Un jour, en cours de maths avec une jeune prof dont c’était la première année d’enseignement, pendant que Justine et Emmanuelle m’insultaient de chaque côté, Magnolia derrière moi me mettait des chewing-gums dans les cheveux et faisait mine de me couper les cheveux avec ses ciseaux. J’ai murmuré une insulte tout bas. L’une des trois filles s’est levée, m’a agrippée et m’a dit que je n’étais pas capable de la frapper. Et pour la première fois j’ai réagi. Je lui ai mis une gifle. Elle se jetait sur moi lorsque la cloche de la récré a sonné. La prof de maths m’a dit d’attendre et de me cacher. Elle m’a proposé de me ramener en mobylette chez moi. J’ai refusé par peur de me faire encore plus remarquer. Entre temps, les filles avaient eu le temps de s’organiser. Quand je suis descendue dans la cour, de nombreux élèves m’ont craché dessus, insultée ; d’autres applaudissaient. Je me suis réfugiée aux toilettes.

Puis j’ai eu le courage de sortir des toilettes et je suis allée m’asseoir sur un banc, et ils ont recommencé. La cloche des cours a sonné, la CPE est venue me voir et j’ai pu rentrer chez moi une heure avant la sortie. Mais elle n’a pas prévenu mes parents.

Mon acte de bravoure m’a attiré des copines : des filles qui s’étaient fait harceler avant.

Dans le même temps, je me scarifiais à l’aide de compas, d’aiguilles… Je me sentais comme un zombie. Je devenais bonne élève, mes profs m’appréciaient. Mais les filles qui m’avaient harcelée me poursuivaient pour me cracher dessus. Un jour je suis rentrée chez moi couverte d’une bonne dizaine de crachats. Du coup je changeais régulièrement d’itinéraire. Ça a duré jusqu’à la fin de la troisième.”

Avez-vous songé à dénoncer vos harceleurs ?

Sarah : “Non. J’avais trop peur des conséquences et de ne pas être crue, et pendant très longtemps j’ai pensé que c’était de ma faute, que je ne méritais pas d’avoir des amis, étant donné que personne n’est jamais venu à mon secours.”

Le lycée et la découverte de l’amitié

Comment se sont passées vos années de lycée ?

Sarah : “Au lycée, j’ai eu beaucoup de chance. Je suis devenue instantanément amie avec une redoublante aux cheveux rouges qui me voyait un peu comme sa petite sœur. J’ai gagné en assurance. Le fait d’avoir cette amie m’a aidée. Toujours positive malgré de graves difficultés familiales, elle m’a permis de relativiser. J’ai cessé de me scarifier. J’ai commencé à travailler le week-end et le mercredi. Avoir des responsabilités, échanger avec des adultes m’a redonné confiance en moi. Les activités scolaires m’ont aidée également : guitare, chorale, théâtre, tennis…”

Avez-vous revu vos “bourreaux” ?

Sarah : “J’ai revu ces filles plus tard. L’une d’elles au lycée. Elle m’a pleuré dans les bras car elle n’avait aucune amie. La deuxième lorsque j’étais étudiante. Elle était caissière. Elle ne m’a pas reconnue, mais moi si. Ma vie commençait, la sienne stagnait. Cela m’a suffi. Il y a un an, j’ai reçu une demande de pardon de la part d’un garçon qui n’a pas été plus violent que les autres, mais qui, en apprenant que j’étais la grande sœur de son amie, m’a présenté ses excuses par son intermédiaire. Ma sœur et ma mère ont ainsi appris ce qui m’avait causé des tourments toute mon enfance.

Gestion actuelle du traumatisme

Ressentez-vous encore les conséquences du harcèlement scolaire que vous avez subi ?

Sarah : “Lorsque j’aurai des enfants, je pense que je serai plus vigilante que mes parents ne l’ont été. C’étaient des gens cool et populaires lorsqu’ils étaient jeunes. Ils n’ont jamais imaginé une seule seconde que j’étais victime de harcèlement scolaire.

J’ai l’impression que cette expérience m’a endurcie. Désormais adulte, je me montre forte face aux difficultés de la vie. Mais je suis aussi pleine de compassion. Je peux pardonner facilement en fonction des profils, car je sais que certaines personnes regrettent parfois quinze ans après de s’être mal comportées. J’ai gagné en courage car j’ai dû me débrouiller seule.

Quand j’ai été témoin d’une agression dans la rue l’année dernière, j’ai foncé sans réfléchir pour défendre la personne agressée. Je ne sais pas si j’aurais agi ainsi si je n’avais pas dû forger mon caractère pendant ces années de harcèlement.

Mais aujourd’hui encore, certaines phrases me font partir au quart de tour, comme “tu n’as pas ta place”, “pourquoi tu parles ?”, par exemple. Pendant de nombreuses années, j’étais toujours la dernière que l’on choisissait pour former des équipes lors des cours de sport par exemple. Lorsque des équipes doivent être formées, même maintenant, mon nom n’arrive jamais assez vite pour moi. Et j’ai toujours tendance à trop en faire pour garder l’amitié des autres, ou pour être appréciée au travail.

Pensez-vous vous être totalement reconstruite ?

Sarah : “Aujourd’hui, je suis fière de ne pas considérer l’autre comme un ennemi, même ces filles-là. J’ai oublié les visages. Il me reste quelques prénoms. Parfois je me demande où elles en sont dans leur vie. Je suis d’un naturel souriant et sociable. Parfois je me demande si ce n’est pas pour compenser toutes les années où je n’ai pas eu d’amis. Il arrive très rarement que l’on me rejette. J’ai du mal avec l’échec, que je prends de manière personnelle. Mais j’ai développé des qualités sociales. Je prends un malin plaisir à dérider les gens les plus fermés ou rigides, à les transformer. Je vis ça comme des victoires. J’ai besoin de plaire. J’use beaucoup de mes compétences sociales. Certains me trouvent trop polie ou trop généreuse. Je fais de mon mieux pour être, tout simplement.”

*Cette jeune femme ayant souhaité témoigner anonymement, nous avons décidé de l’appeler Sarah.

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