Henri Antonmattéi : « La négociation collective est le centre de gravité du droit du travail »

Professeur à l’Université de Montpellier, doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences politiques de Montpellier, et président délégué de Barthélémy avocats, Paul-Henri Antonmattei a été consulté pour la confection des ordonnances Macron et il est membre du comité national d’évaluation des ordonnances. Pour l’Hérault juridique et économique (HJE), il met en avant les caractéristiques principales de l’évolution du droit du travail en France depuis une quinzaine d’années.  

Le droit du travail n’a pas cessé d’évoluer au cours des dernières années. Comment expliquez-vous le phénomène ?

Le droit du travail doit tenir compte des mutations technologiques, économiques et sociales dont l’intensité et la célérité impressionnent. Les organisations du travail changent. L’attente des travailleurs et la perception du travail évoluent. Dans ce contexte, plus que jamais, il convient de concilier performance économique et performance. Notre pays s’est engagé dans une déclinaison du modèle européen de flexisécurité. Il convient à la fois d’offrir aux entreprises une adaptabilité de la règlementation et de construire une sécurisation des parcours professionnels, idée sociale la plus novatrice et la plus prometteuse de ce début du 21ème siècle.

“Une nouvelle architecture en trois niveaux se diffuse, thème par thème”

Comment la France s’engage-t-elle pour promouvoir un tel modèle ?

Il faut admettre la diversité des activités et des entreprises et reconnaître qu’on ne peut pas imposer toujours à tous la même règle. Depuis maintenant une quinzaine d’années, notre pays a fait,…

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UNE HJE 18 juillet 2019 Num 3264

 

 

 

 

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…fort opportunément, le pari de la négociation collective. Plus qu’avant, les négociateurs, singulièrement au niveau de l’entreprise, peuvent construire des règles sociales mieux adaptées à leur contexte économique. La liberté offerte à la négociation doit cependant être encadrée par le législateur. Dans le sillage du rapport Combrexelle de 2015, une nouvelle architecture en trois niveaux se diffuse, thème par thème. Le premier niveau est composé de dispositions d’ordre public. Ces règles impératives s’appliquent à tous. Deuxième niveau : le champ de la négociation collective. Le législateur trace le domaine d’intervention de la négociation collective qui, selon le thème, peut être plus ou moins important. Troisième niveau : les dispositions supplétives. Si un accord n’est pas conclu, les dispositions supplétives s’appliqueront.

Quel a été le parti pris pour établir les ordonnances Macron ?

Les ordonnances du 22 septembre 2017 confortent cette évolution. Elles sont étroitement liées aux réformes précédentes. Depuis 2004, tous les gouvernements ont emprunté ce chemin vertueux de la négociation collective.

Plus précisément, les ordonnances développent la nouvelle architecture en trois niveaux, et surtout, affirment le principe de primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.

La réforme de 2017 impose aussi le passage à une instance unique de représentation du personnel : le Comité social et économique (CSE). C’est une évolution majeure dans l’histoire de la représentation élue du personnel. L’objectif recherché est de rendre plus efficace cette autre forme du dialogue social en entreprise qui consiste à associer l’instance élue à la gestion économique et sociale de l’entreprise. L’objectif de l’unicité est de gagner en efficacité.

“L’ouverture de nouveaux champs de négociation requiert une compétence plus forte des négociateurs”

Comment motiver et impliquer les acteurs du terrain pour qu’ils s’approprient la négociation collective ?

Le pari de la négociation collective n’est pas encore gagné. De nombreuses entreprises ne concluent pas d’accord. Il est certain que l’ouverture de nouveaux champs de négociation requiert une compétence plus forte des négociateurs et de ceux qui les accompagnent.

C’est la raison pour laquelle, le rapport Combrexelle, suivi par le législateur en 2016, a suggéré la mise en place de formations communes. L’Université a une vocation naturelle à organiser ces nouvelles formations. Avec ma collègue Laurianne Enjolras et l’équipe de l’Ecole de droit social de Montpellier, nous avons créé en 2017 un Diplôme d’université (DU) de Droit et Pratique du Dialogue Social en formation continue. Nous accueillons 25 auditeurs par an : des délégués syndicaux, des Directeurs des ressources humaines (DRH), des avocats, des spécialistes de la santé au travail… Après 2 promotions, nous pouvons, à la lumière des évaluations des auditeurs, saluer le succès de cette formation. C’est aussi et surtout une très grande réussite humaine : les préjugés et les dogmes tombent. Les promotions sont soudées et entretiennent des relations très fortes via des groupes sur les réseaux sociaux.

Le 28 juin dernier, lors d’une journée au ministère du travail sur les réussites du dialogue social, notre formation a été mise à l’honneur avec trois autres diplômes comparables (Paris, Rouen et Nancy). Il est important que ces formations communes se généralisent sur l’ensemble du territoire dans le respect du cahier des charges établi par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP).

Quel peut être le rôle des avocats pour aider au développement des accords collectifs ?

Les avocats doivent accompagner les négociateurs. Négocier n’est pas facile et rédiger un accord encore moins. L’accord d’entreprise va constituer de plus en plus la norme de référence. La jurisprudence a déjà acté cette évolution et le rôle du juge change. Cette évolution est la bienvenue car dans le même temps le contentieux prud’homal diminue sensiblement, plaçant des cabinets d’avocats dans la difficulté. La profession est à un tournant comme l’a bien indiqué le Conseil national des barreaux. Ce nouveau marché du conseil qui attire d’autres professionnels requiert un investissement des avocats spécialistes de droit social. Construire un acte juridique est bien au cœur de leur activité.

“Nous conseillons une concertation entre l’employeur et les salariés sur le projet d’accord. Il serait utile que le code du travail l’impose”

Certains syndicats critiquent les négociations collectives au niveau des petites entreprises, argumentant d’un rapport de force trop déséquilibré entre patrons et salariés. Qu’en pensez-vous ?

C’est une des nouveautés de la réforme de 2017 : dans les entreprises de moins de 11 salariés et dans celles entre 11 et 20 où il n’y a pas de comité social et économique, l’employeur peut proposer aux salariés un projet d’accord sur tous les thèmes ouverts à la négociation d’entreprise. Lorsque ce projet est approuvé à la majorité des 2/3 du personnel, il est considéré comme un accord d’entreprise valide.

Cette nouvelle formule, qui connaît un certain succès surtout en matière de durée du travail, peut effectivement conduire à des situations déséquilibrées. Pour l’heure, elles ne sont pas fréquentes. Nous conseillons une concertation entre l’employeur et les salariés sur le projet d’accord. Il serait utile que le code du travail l’impose.

Dans le cadre de l’Observatoire des accords d’entreprise que nous avons mis en place et qui a permis aux étudiants du master 2 Droit et Pratique des relations de Travail de remettre à la ministre du travail, le 28 juin dernier, un rapport sur l’analyse de 450 accords CSE, nous mènerons, dans les mois à venir, des travaux sur les accords conclus dans les TPE.

Où en est la France par rapport aux autres pays de l’Union européenne en matière de dialogue social ?

Ce pari du dialogue social est celui de l’Union européenne. Mais la comparaison s’avère difficile, car d’un pays à l’autre, nous n’avons pas les mêmes systèmes juridiques et la même histoire. Ceci étant, trop souvent encore, la négociation est, en France, marquée par le dogme, la posture et l’affrontement. Une culture de la négociation collective doit se développer. Elle implique le respect de l’autre et des propositions qu’il porte. La négociation doit se dérouler dans un climat de confiance et de manière loyale et sérieuse. Pour autant, la négociation n’est pas synonyme de compromission ou de soumission. Elle est parfois compliquée et donne lieu à des tensions. C’est le propre de toute négociation qui vise à dégager un compromis économique et social.

 

 

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