La Cour des comptes s'intéresse aux salariés détachés
Dans son rapport public annuel de février 2019, la Cour des comptes analyse la lutte contre la fraude au travail détaché. Elle note que si le cadre juridique a été renforcé, des lacunes existent encore au niveau des sanctions.
En 2017, 516.000 salariés détachés ont été déclarés en France, tous secteurs d’activités confondus. Sur le plan juridique, le détachement de travailleurs, instauré par une directive européenne du 16 décembre 1996, permet à une entreprise, établie dans un État membre, d’affecter, sous son contrôle et pour une durée limitée, un ou plusieurs de ses salariés à la réalisation d’une prestation de service pour le compte d’une entreprise ou d’une entité publique située dans un autre État membre. La directive d’application, adoptée le 15 mai 2014, a renforcé la capacité des pouvoirs publics nationaux à en contrôler l’usage. Devant les abus constatés, une révision de la directive de 1996 a été adoptée le 28 juin 2018, notamment afin d’instaurer le principe selon lequel « à travail égal », il doit y avoir « rémunération égale sur un même lieu ».
Trois formes de fraudes, trois priorités
La Cour des comptes relève dans son rapport que ce régime particulier mal connu, fait l’objet de nombreuses fraudes, et que si ces abus sont liés à l’activité d’entreprises installées en dehors du territoire national, ils font toujours intervenir un bénéficiaire final installé en France et peuvent même être organisés à partir de la France. La Cour a ainsi mené une enquête sur la lutte contre la fraude en matière de travail détaché et la mise en œuvre par la France des directives européennes sur ce sujet. Au terme de ses travaux, elle constate que l’usage du travail détaché conduit à trois formes de fraudes. Et que si la politique de lutte contre la fraude produit de premiers effets, des progrès importants doivent être réalisés dans trois domaines prioritaires.
Un régime d’emploi particulier
Parmi les pays accueillant plus de travailleurs détachés qu’ils n’en envoient, la France se situe au quatrième rang (après l’Allemagne, la Belgique, la Suisse et devant les Pays-Bas et l’Autriche). La Pologne est à l’inverse le pays qui présente le plus grand écart entre le nombre de travailleurs envoyés à l’étranger et le nombre de travailleurs détachés accueillis sur son territoire. Elle est suivie par la Slovénie, la Slovaquie, la Hongrie, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Roumanie. La durée moyenne de détachement à l’étranger varie également fortement pour les 16 pays ayant fourni cette statistique en 2016 : elle s’établit à 44 jours en France, soit la durée la plus courte, et dépasse 230 jours dans sept pays, dont la Hongrie, la Pologne et la Croatie.
Dans les secteurs d’activité, le travail intérimaire arrive au premier rang (144.000 salariés détachés) et connaît une évolution très dynamique sur trois ans. Viennent ensuite l’industrie (101 000 salariés détachés), avec une croissance également soutenue, le BTP (68 500 salariés détachés), dont le nombre de salariés détachés diminue depuis 2015, et les prestations intragroupe (48 000 salariés détachés), qui sont en très nette augmentation. En reclassant les salariés détachés au titre de l’intérim, le travail détaché équivaut à 21,9 % du total de l’emploi dans l’agriculture, 5,7 % dans le BTP et 2,2 % dans l’industrie.
Trois formes de fraudes qui peuvent se cumuler
Lutte : trois domaines prioritaires d’action
– La prévention : l’effort de prévention, intégré dans le plan national de lutte contre le travail illégal, vise à la fois les entreprises étrangères détachant des salariés en France et les entreprises qui recourent à leurs services sur le territoire national. L’action conduite en ce sens par la DGT dans le BTP mérite d’être élargie, notamment à l’intérim et à l’agriculture. Cette politique de prévention doit aussi viser les entités publiques, en particulier pour la passation de marchés publics. Elle suppose une politique de formation adaptée, encore trop peu développée. La FFB 34 s’est par exemple engagée par convention à sensibiliser les maires de l’Hérault et les élus et techniciens des collectivités à travers des réunions informatives. Une information complète sur leurs droits et dans une langue permettant sa bonne compréhension doit être délivrée aux salariés détachés en France.
– Cibler les contrôles pour être plus efficace. Une des attentes de la FFB 34 et de la CAPEB Hérault, serait notamment une extension renforcée de ces contrôles durant les week-ends.
– Faire aboutir les procédures en termes de sanctions. La Cour des comptes note que la caractérisation et la sanction des fraudes détectées sont rendues difficiles tant par la spécificité du droit applicable que par la nécessité de disposer, dans la plupart des cas, de renseignements émanant des autres États membres et d’une volonté de coopérer de la part de l’entreprise étrangère incriminée. Les récentes condamnations enregistrées dans le département de l’Hérault montrent que les choses évoluent et que les sanctions s’alourdissent.
Un faible intérêt à recourir au travail détaché au niveau du Smic
… si le droit est respecté ! C’est l’un des intérêts de cette étude menée par la Cour des comptes : pour des emplois au niveau du Smic, le recours au travail détaché n’est pas plus intéressant en termes économiques pour les entreprises que l’emploi direct d’un salarié, dès lors que les règles du détachement de travailleurs sont respectées. A ce niveau de rémunération, il n’y a plus de différence de coût du travail entre la main-d’œuvre locale (1 681 €) et le recours à des travailleurs détachés provenant de pays comme l’Espagne (1 788 €), la Pologne (1 756 €), le Portugal (1 697 €) ou la Roumanie (1 619 €), ainsi que l’illustre une étude de la direction générale du Trésor publiée en juin 2016. Ces constats restent toujours valides, surtout que de nouveaux allègements de charges ont été entre-temps adoptés en France. Les salariés détachés ou directement embauchés reçoivent désormais, la même rémunération au niveau du Smic, et les cotisations sociales appliquées en France à ce niveau (15 % au moment de l’étude) se comparent favorablement à celles de nos partenaires européens (31 % en Espagne, 21 % en Pologne, 24 % au Portugal et 28 % en Roumanie). Cette situation, ainsi que les risques encourus en l’absence de respect du « noyau dur » des droits applicables, méritent d’être mieux connus, estime la Cour des comptes, en particulier dans les secteurs où les entreprises font état de difficultés pour recruter des salariés.
Source : Cour des comptes, rapport annuel 2019, “La lutte contre la fraude au travail détaché” (février 2019)
https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/02-lutte-fraude-travail-detache-Tome-1.pdf
(DC)