Michel Barnier : « L’Europe n’est pas une option, c’est une obligation »

« Le projet européen, ce n’est pas des chiffres ou des sigles, c’est d’abord des…

« Le projet européen, ce n’est pas des chiffres ou des sigles, c’est d’abord des hommes et des femmes. »

 

 

Européen convaincu et passionné, l’homme politique savoyard, négociateur en chef pour le retrait de l’Union européenne de la Grande-Bretagne, nous livre sa vision de l’avenir du projet européen.

 

Montée des populismes, Brexit, crise migratoire… L’Europe est à un tournant.

« C’est effectivement un moment de vérité pour elle. Un pays, le Royaume-Uni, a choisi pour la première fois dans l’histoire de l’Union d’être solitaire plutôt que de rester solidaire. Je pense que c’est un affaiblissement pour tout le monde. Et j’espère vivement que les Anglais, tout comme les Américains avec Donald Trump, ne choisiront pas la voie du protectionnisme en se repliant sur eux-mêmes. Dans ce contexte difficile, nous devons parvenir à relancer le projet européen. Mais il faut aussi comprendre que nous revenons de loin. »

Comment cela ?

« Depuis la crise financière de 2008, les dirigeants européens sont le dos au mur. Nous avons été un temps au bord de l’explosion de la zone euro. On a passé cette période ; on a rétabli la stabilité. Nous devons maintenant réfléchir à l’avenir de l’Europe. En tant que conseiller spécial du président Juncker pour la sécurité et la défense, j’ai personnellement beaucoup travaillé sur la question de la défense européenne, en préconisant notamment une mutualisation supplémentaire de nos forces armées et la mise en place d’un état-major commun. La Commission européenne s’apprête à publier un livre blanc et à proposer des idées en la matière. Mais tout ne viendra pas de Bruxelles ; chaque pays doit aussi se mobiliser et avoir la volonté politique d’avancer. Je suis persuadé que l’Europe est une idée neuve et qu’on peut avancer et résister au fatalisme. »

Cette crise de 2008 venue des États-Unis, l’Europe n’a pas su l’éviter…

« Effectivement, parce que les dirigeants européens de droite comme de gauche se sont laissé aveugler par la doctrine de l’ultralibéralisme. Cette dérégulation forcenée, à laquelle nous avons assisté après la chute du mur de Berlin, est l’une des erreurs commises par l’Europe. On a cru que la globalisation et l’explosion des échanges n’avaient pas besoin de contrôle. Cette erreur, l’Europe a entrepris de la corriger, et j’ai été chargé, en tant que commissaire au Marché intérieur et aux Services entre 2010 et 2014, de remettre de la régulation financière avec – j’ose le dire – un peu de morale et d’éthique. »

Quelles sont les autres erreurs de l’Europe ?

« Il est tellement difficile de prendre des décisions à vingt-huit que l’Europe est souvent incapable d’aller au bout de ses choix. Par exemple, quand François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors ont proposé la création d’une monnaie unique, ce dernier avait tout de suite prévenu que derrière l’Union monétaire, il faudrait aussi mettre en place l’Union économique, budgétaire et fiscale. Cela n’a pas été fait, et on aboutit à la situation actuelle où le manque d’harmonisation fiscale et sociale est l’une des grandes faiblesses de l’Union. De même, lors de la suppression des frontières intérieures de l’Europe, on aurait dû aussi traiter la question des frontières extérieures de l’Union. Elles sont devenues les nôtres ; et si, en Grèce ou ailleurs, on ne peut pas gérer l’afflux des migrants, alors il faut que l’Union européenne aide à le gérer. C’est d’ailleurs ce que la Commission, sous l’impulsion du président Juncker, est en train de mettre en place avec des gardes-côtes et des gardes-frontières européens. »

Beaucoup critiquent aussi la bureaucratie…

« D’abord, lorsque les technocrates prennent le pouvoir, c’est que les responsables politiques les ont laissés faire. Cela étant, il est exact que cette bureaucratie existe avec des gens parfois un peu éloignés de la réalité. En 1999, lorsque je suis devenu commissaire européen en charge des politiques régionales, je me souviens du premier discours que m’avait préparé mon cabinet et que je devais prononcer au congrès des maires de France. Il était incompréhensible, avec des termes trop techniques. J’ai dit à mon chef de cabinet : « Je ne vais pas lire ce document devant le maire de Bourg-Saint-Maurice, dont j’étais le conseiller général, sinon il va penser : ‘Barnier, il est à Bruxelles depuis à peine un mois et on ne le comprend déjà plus’ ! »

Vous parliez de la responsabilité des hommes politiques…

« Tout ce qui se décide à Bruxelles est d’abord voulu par les chefs d’État et de gouvernement européens. La Commission européenne fonctionne comme une sorte de premier ministre collectif. Elle propose des lois au Conseil des ministres des 28 gouvernements et au Parlement des citoyens. Ce sont ces deux chambres qui décident. C’est pourquoi l’avenir de l’Europe passera par la volonté collective des dirigeants européens de la faire avancer. Mais la période qui s’ouvre est compliquée car 2017 est une année d’élections dans plusieurs pays : la France bien sûr, mais aussi l’Allemagne ou les Pays-Bas. »

L’Europe n’est-elle pas absente des débats nationaux ?

« En France, il est certain que nous avons un débat politique hexagonal. Et je regrette profondément que l’on y parle si peu et si mal de l’Europe. Prenez par exemple le récent débat entre Alain Juppé et François Fillon à l’occasion des primaires de la droite : pas un mot sur l’Europe. C’est une vraie faiblesse, parce que l’avenir de notre pays ne peut pas être centré sur son nombril et qu’il dépend en grande partie de ce qui se passe autour de nous. L’Europe n’est pas une option, c’est une obligation et une motivation. En plus d’être patriotes, nous devons être européens pour peser, pour nous faire respecter, et défendre nos intérêts et nos valeurs. Il faut être ensemble dans le monde d’aujourd’hui. »

Sous peine de disparaître ?

« Sous peine de ne plus figurer, d’ici quelques années, à la table de ceux qui vont diriger le monde. Aujourd’hui, dans le G8, il y a encore 4 puissances européennes. Mais d’ici 2050, il n’y en aura plus aucune à cause du basculement démographique vers l’est et les pays du Sud. Nous ne représentons déjà plus que 7 % de la population mondiale, mais 23 % de la richesse et 50 % des dépenses sociales. Cette équation est intenable. Et face à un monde de plus en plus peuplé, injuste (900 millions de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour), dangereux et fragile, l’Europe n’a qu’une solution pour peser : s’unir et mutualiser, c’est-à-dire coordonner des politiques, sans pour autant gommer nos différences. »

Pas question de fédéralisme ?

« Ce rêve fédéral n’est plus d’actualité. Le mot fédéral n’a de toute façon pas la même signification pour un Français ou un Allemand. Mais, sans faire de révolution, on peut aussi faire évoluer le système. Par exemple, nous pourrions accepter une Europe à deux vitesses en s’appuyant sur l’avant-garde de la zone euro, qui avancerait plus vite vers un socle économique, budgétaire et fiscal commun. L’incarnation de l’Europe est aussi un vrai sujet. Je suis favorable à ce que l’on réunisse les deux postes de président du Conseil européen et de président de la Commission. Cela permettrait d’avoir un président de l’Union, ce qui donnerait une bien meilleure lisibilité à l’Europe. Il faut mettre plus de visages, plus d’âme, plus d’humanité dans l’Europe. Le projet européen, ce n’est pas des chiffres ou des sigles, c’est d’abord des hommes et des femmes. »

Cela passe aussi par les citoyens ?

« Il est fondamental qu’il y ait un débat public et des échanges. Pour l’Europe, le pire c’est le silence, car il entretient les peurs et nourrit aussi les démagogies que l’on voit fleurir aujourd’hui. Alors oui, il faut mobiliser les citoyens, et pour cela je compte sur les dirigeants européens et nationaux, sur les corps intermédiaires et sur toutes les initiatives. Il faut aussi profiter des outils comme les réseaux sociaux pour consulter les citoyens et les associer au débat européen.

Un mot sur le Brexit, même si vous êtes tenu par le devoir de réserve… Comment abordez-vous cette négociation ?

« Pour le moment elle n’a pas commencé, puisqu’il faut d’abord que le gouvernement britannique active la procédure de retrait. Le Premier ministre britannique, Theresa May, a parlé du mois de mars. C’est à partir de là que nous pourrons commencer la négociation. Nous sommes prêts et nous l’aborderons alors sans agressivité, mais sans naïveté non plus. »

Michel Barnier, CV express
• Conseiller général, puis président du Conseil général et également député et sénateur de la Savoie.
• Ministre de l’Environnement (1993-1995), ministre délégué aux Affaires européennes (1995-1997), ministre des Affaires étrangères (2004-2005), ministre de l’Agriculture et de la Pêche (2007-2009)
• Commissaire européen à la Politique régionale (1999-2004), député européen (2009-2010) et commissaire européen au Marché intérieur et aux Services (2010-2014). Conseiller spécial pour la Défense et la Sécurité auprès du président de la Commission (2015).
• Nommé le 27 juillet 2016 négociateur en chef pour le retrait de l’Union européenne de la Grande-Bretagne.

 

 

Propos recueillis par Sophie GUILLAUD
pour RésoHebdoEco
www.facebook.com/resohebdoeco

 

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