Vie des professions

Pascal Eydoux, président du CNB : la profession d’avocat a adopté une démarche dynamique en France !

Interview de Pascal Eydoux, président du Conseil National des Barreaux, sur la profession d'avocat et les réformes en cours…

La convention nationale des avocats se tient du 18 au 21 octobre 2017 à Libourne. Est-ce une réunion de formation et de convivialité ou un rendez-vous lors duquel de grandes décisions peuvent être prises ?

« C’est tout à la fois. La convention, c’est le super congrès de la fin de mandature. Durant les précédentes mandatures, nous avions chaque année une assemblée générale dite “ extraordinaire ” regroupant tous les avocats qui souhaitaient y participer. Cette réunion est devenue le “ congrès ” et cette année, une “ convention ” de trois jours, avec 80 ateliers de formation, indispensables pour tous les confrères qui le veulent. Ce sont également des moments conviviaux avec des professionnels riches en culture et en diversité humaine. Cette année encore, nous attendons plus de 5 000 confrères. Des plénières sont aussi organisées autour du thème “ Economie, numérique et territoires ”, pour élaborer une doctrine d’évolution… et peut-être de révolution, qui sait ? Nous voulons mettre l’accent sur la détermination de la profession d’avocat, pilotée par le Conseil national, pour adopter ou épouser le mouvement de mutation sociale et économique que connaît notre pays, avec une grande part internationale. Au fil des années, le CNB a multiplié les liens avec ses homologues et les avocats de nombreux pays hors d’Europe et d’Amérique du Nord. Nous sommes désormais en lien actif avec des états d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Afrique. Durant la convention, nous allons recevoir des délégations d’une cinquantaine de pays. Le CNB rappelle ainsi qu’en France, des professionnels compétents sont mobilisés et capables d’intervenir non seulement dans l’Hexagone, mais aussi en Europe et dans le monde. Beaucoup de confrères français travaillent à l’étranger et sont, eux aussi, représentés par le Conseil national des barreaux. Nous attendons que cette Convention fasse précisément la démonstration que la profession d’avocat en France a adopté une démarche dynamique. Nous avons l’ambition de diffuser les actes de cette convention sous la forme d’un livre blanc. »

 

Aujourd’hui, la France compte 164 Ordres. Le moment n’est-il pas venu de créer des Ordres régionaux ?

« C’est le débat. J’avais proposé ces Ordres régionaux au moment de la publication du rapport Darrois, mais c’était trop tôt. Personne n’était prêt. Les rapports soutenus par le bâtonnier François Faugère au CNB ont eux aussi développé cette proposition. Aujourd’hui, l’évolution est telle qu’on peut y réfléchir de façon sereine, en retenant toujours qu’un ordre régional n’estompera pas la nécessité d’Ordres locaux, parce que la profession d’avocat doit mailler le territoire tout en étant capable de rendre les services attendus localement par les avocats. Tous les professionnels du droit et du chiffre le font, de même que les notaires et les experts-comptables, qui sont nos concurrents directs. La réflexion doit veiller à ce qu’il n’y ait pas de destruction d’un tissu et du maillage actuel par la création de structures régionales. Tel est le message que je porte. »

Vous avez également évoqué, lors de la cérémonie marquant les 25 ans du CNB, le changement de nom du Conseil national…

« Bien sûr, parce que le Conseil national des barreaux n’est pas réductible à l’ordinalité, sachant de surcroît que le grand public ne sait pas ce qu’est le CNB. Il serait donc plus judicieux de le transformer en “ Conseil national des avocats ” ou, pour aller plus loin, en “ Ordre national des avocats ”. Nous avons déjà évolué, puisque le logo du CNB laisse à présent apparaître la mention “ Les avocats ”. Mais c’est de la communication. Il faut faire mieux que cela. Le Conseil national doit s’identifier comme représentant de la profession d’avocat, donc des avocats. »

Vous évoquiez précédemment l’exemple de la Law Society d’outre-Manche. Où en est-on, en France, avec la grande profession du droit ?

« Nous nous en rapprochons un peu plus chaque jour. Qui sont les grands professionnels du droit ? Les avocats, les avocats à la Cour de cassation, les notaires, les huissiers de justice, les mandataires judiciaires. La société d’exercice pluriprofessionnelle est aujourd’hui possible. Tous les acteurs du droit ont désormais la possibilité de travailler ensemble, non plus en structure capitalistique, mais en structure d’exercice. C’est une avancée formidable vers la grande profession. »

Et avec les experts-comptables ?

« Les professionnels du droit et les experts-comptables sont à la fois concurrents et complémentaires. Les experts-comptables ont un monopole qui ne subit aucune concurrence sur le chiffre et ils ont une compétence accessoire en matière juridique. De leur côté, les avocats n’ont pas de monopole en matière juridique et n’ont pas la possibilité de faire du chiffre à titre accessoire. Je ne cesse de répéter aux pouvoirs publics que nous sommes donc en rupture de concurrence. Il en est d’ailleurs de même pour les notaires. Ils ont le monopole de leurs actes authentiques, mais disposent d’un champ d’exercice hors monopole, concurrentiel avec les avocats, sur lequel ils réclament des privilèges exorbitants. Si vous sortez du clivage droit-chiffre et que vous entrez dans la conception globale de la prestation de services unifiée, le full service, vous concevez que la société pluri-professionnelle est un mode d’intégration de l’ensemble des acteurs qui conduit nécessairement à l’émergence d’une grande profession du droit et du chiffre. C’est très certainement et heureusement ce qui va se produire. Nous disposons déjà d’informations selon lesquelles des avocats, des notaires et des experts-comptables créent ensemble des sociétés. La dynamique va donc être très rapide. Simplement, il ne faut pas que ce soient les mieux lotis dans la profession qui bénéficient de ces nouvelles structures. Il faut que, partout, tous les acteurs aient conscience que ce mode d’exercice permet d’élargir l’offre. C’est l’un des objectifs que j’abordais précédemment. C’est une grosse vague qui s’annonce et, étonnamment, c’est un sujet dont on entend moins parler dans la profession que la réforme de la postulation. Les jeunes notaires, qui ont à présent la possibilité de s’installer à l’issue du tirage au sort, vont probablement jouer un rôle de catalyseurs en trouvant de l’intérêt à s’associer avec des avocats et des experts-comptables pour développer leur propre expertise et assurer leur propre développement économique. C’est une démarche intelligente. »

Et les juristes d’entreprise ?

« Sur ce point, je suis en désaccord avec Stéphanie Fougoux, la présidente de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE). Je  ne veux pas que l’on se méprenne. La profession de juriste d’entreprise regroupe des juristes extrêmement compétents, qui ont la même formation que les avocats et dont certains ont même le CAPA mais n’ont jamais exercé… Voilà qui est indiscutable. C’est néanmoins, à ce jour, une profession qui ne peut pas être réglementée, même si elle le souhaite, puisque son exercice ne dépend pas de la formation de ses membres, mais de la nomenclature des conventions collectives et des conditions dans lesquelles les services juridiques sont organisés dans une entreprise. Le rédacteur, le juriste ou le responsable d’un service juridique ont des fonctions qui ne dépendent pas de leur formation, mais des responsabilités que leur donne l’employeur. C’est donc tout sauf une profession réglementée. Il est, par conséquent, exclu pour les avocats que ces professionnels compétents, que je respecte, bénéficient du legal privilege, autrement dit du secret professionnel, dès lors que ce dernier est une obligation pesant sur des professionnels libéraux structurés et contrôlés par leur organe de régulation.

Bien sûr, nous pouvons travailler sur les conditions dans lesquelles un avocat libéral peut travailler dans une entreprise, en vertu de notre réforme de l’article 15 du RIN [NDLR : Règlement intérieur national de la profession d’avocat]. Nous pouvons aussi travailler sur les conditions dans lesquelles un juriste d’entreprise qui remplirait les conditions pour être avocat peut rester en entreprise, mais avec le statut d’avocat et la régulation de la profession d’avocat. Nous avons donc des pôles de convergence avec l’AFJE, malgré certains clivages. Je reconnais que notre profession est sur un chemin qui ne l’a pas encore conduite à la maturité sur le sujet. »

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Pascal Eydoux, président du CNB.

Etes-vous prêt à autoriser l’exercice de la profession d’avocat en entreprise ?

« C’est ce que le CNB a décidé, puisque nous avons voté la possibilité pour un avocat d’installer un cabinet dans une entreprise. Si l’employeur ne veut pas un exercice indépendant dans ses murs, il n’en prend pas. En revanche, s’il l’accepte, alors donnons-lui la possibilité de le faire. Ce n’est pas parce qu’on va autoriser un avocat à installer un cabinet dans une entreprise, sous la régulation de son Ordre, qu’on va imposer à tous les avocats de le faire. C’est une possibilité pour des confrères qui le souhaiteraient et les entreprises qui sont en demande d’exercer différemment la profession d’avocat sous la même régulation de l’Ordre. Ce n’est pas une injure à la profession ni aux entreprises. Si on lit convenablement notre réforme de l’article 15 du RIN, on y trouve une réelle évolution qui répond sans doute à l’objectif de préservation du caractère libéral de notre profession. Ce sujet est très polémique dans nos rangs. De deux choses l’une : soit notre profession parvient à structurer cette nouvelle modalité d’exercice, soit elle n’y parvient pas et subira une situation où l’avocat ne sera plus identifié comme avocat libéral, mais comme un grand juriste dans une grande profession avec le risque de réglementation d’une profession associée qui mènera à un retour en arrière par rapport à la réforme de 1990. »

Quelques mots sur le président Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe ?

« Indéniablement, nous vivons une révolution politique qui change nos grilles de lecture habituelles de la Ve République et de sa structure partisane. En ce qui concerne Emmanuel Macron, il n’est pas un inconnu pour les avocats. Nous lui devons, alors qu’il était ministre de l’Economie, des réformes importantes qui impactent notre exercice professionnel avec la loi du 6 août 2015.

Les projets de loi présentés et discutés au Parlement après les élections présidentielle et législatives nous ont conduits à réagir sur la loi contre le terrorisme en rappelant que si la profession d’avocat comprend que la sécurité de nos concitoyens doit être préservée dans le pays et que le terrorisme est un vrai problème, cela ne doit se faire au détriment des libertés. Nous alertons depuis longtemps sur la nécessité de préserver les libertés publiques et, par conséquent, de donner au juge un rôle de contrôle qui ne soit pas uniquement a posteriori, mais a priori. Nous avons ouvert un débat juge judiciaire / juge administratif. Il est complexe, parce que les avocats ne peuvent pas ignorer l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le gardien des libertés ; qu’ils savent que le juge administratif est un juge, lui aussi, et que l’on peut saisir pour protéger les libertés. Simplement, la dévolution de la préservation des libertés publiques est toujours accordée au juge judiciaire, parce qu’il est formé et organisé pour cela et que c’est sa fonction fondamentale. Nous souhaitons donc que la loi permette, dans ses évolutions au cours des lectures parlementaires, que le contrôle de toutes les mesures qui seront prises renforce le rôle du juge des libertés et de la détention, notamment. Le projet de loi a connu quelques évolutions de ce point de vue.  Nous avons fait passer un certain nombre de contributions et avons été auditionnés au Sénat et à l’Assemblée nationale. Nous sommes naturellement à la disposition du législateur. »

Et concernant les lois Travail ?

« Sur les lois Travail, le Conseil national des barreaux a simplement rappelé certains dangers que les textes peuvent présenter. Par exemple, le souci du président Macron, qu’il manifestait déjà lorsqu’il était ministre de l’Economie, d’enfermer les indemnités en matière de rupture de contrat de travail dans un tarif n’a pas été admis par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas réitérer ce type de mesure. La conception d’un corridor, entre un minimum et un maximum, est à l’ordre du jour. Nous la surveillons de près. Il faut savoir que le droit français ne peut pas s’affranchir d’une exigence qui veut qu’un individu qui subit un préjudice, même en matière de droit du travail, doit bénéficier de dommages et intérêts adaptés à sa situation individuelle. L’individualisation du préjudice et sa réparation est un socle de notre droit reconnu et garanti par le juge constitutionnel. Il faut le préserver. »

Quelle est votre position sur la moralisation de la vie publique ?

« Sur ce sujet, nous avons présenté des contributions. Nous ne sommes pas du tout opposés à la moralisation, bien au contraire. Concernant notre profession, l’interdiction pour un avocat d’exercer son activité pendant son mandat politique est une bonne mesure. Le fait qu’il ne puisse pas créer une activité de conseil dans l’année qui précède son élection ne nous paraît pas non plus anormal. La profession d’avocat se méfie des effets d’aubaine. »

Propos recueillis par Jean-Paul VIART pour ResohebdoEco
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