SERIGNAN - Poème d'Armand de Caunes : L'heure du berger
L’HEURE DU BERGERArmand de Caunes, fondateur du domaine viticole des Orpellières, était aussi poète.…

L’HEURE DU BERGER
Armand de Caunes, fondateur du domaine viticole des Orpellières, était aussi poète. Il a su “croquer” l’âme et l’ambiance si particulières du lieu à la tombée de la nuit. Ce poème est une ode à la nature et à sa beauté brutes qui ne laissent personne indifférent.
Les Orpellières, 15 août 1888
“Mon cher ami,
Vous me demandez ce que je fais à la campagne ?
Écoutez, profane, qui jamais n’avez su comprendre le bonheur de cette existence : votre horizon se limite au ruban bleu mal découpé, le jour, par les toitures irrégulières des maisons ; la nuit, les becs de gaz sont pour vous les étoiles de première grandeur.
Être citadin n’empêche pourtant pas d’être artiste ! – Avez-vous vu des peintures de Corot ?…
Il n’est pas encore jour ; la tiédeur d’une nuit sans sommeil m’attire vers la plage ; le silence absolu qui plane sur le reste de la nature n’est ici troublé que par le bruit monotone des flots expirant sur un sable fin. La silhouette des dunes se découpe au couchant malgré l’obscurité. Peu à peu, les étoiles s’effacent, un murmure s’élève en progressant du côté de la terre : un duvet blanc couronne les vagues, à l’horizon qui s’éclaire de plus en plus. Les objets autour de moi revêtent des formes régulières, les arbustes empruntent à l’aurore naissante une partie de sa couleur. J’ai hâte de gagner une dune élevée : de là, sans cesser d’entendre le bruissement des vagues je percevrai le gazouillement des oiseaux dans les branches des pins, le bourdonnement des insectes à mes pieds. Au ciel, faiblit l’éclat des étoiles, un voile blanc s’élève et s’étend : sur ce fond uni, une forme svelte et gracieuse, tendant la main vers un point que mes regards ont suivi, semble indiquer un brillant dont les feux vont s’éteindre : cette forme est celle d’une jeune femme qui entourent immobiles encore quelques brebis.
Réveil de la nature dans cette paix profonde, n’êtes-vous pas délicieux ! mon cœur bat plus fort et mon esprit s’enivre… Cette heure, où le soleil attend la chute d’une étoile pour apporter ses caresses à la nature, son amante à peine éveillée : cette heure où je partage avec tout ce qui m’entoure, le bonheur de vivre… c’est l’heure du berger”.
Armand de Caunes