Street art : Depose, itinéraire d’un enfant du hip-hop

La jeune galerie d’art Allezgo Store, qui abrite également le label musical Allezgo Productions, expose actuellement une quinzaine de tableaux sur toile et sur toile de jute du street-artiste sétois Depose, ainsi que des dessins.

L’exposition Nature et rue de Depose était l’occasion idéale pour la rédaction de rencontrer cet artiste qui officie depuis plus de vingt ans sur la scène artistique locale et nationale, réalisant des décors pour des défilés de John Galiano, habillant deux piliers d’autoroute pour Vinci à Lattes, peignant une salle entière pour Home Street Home à Montpellier, officiant aux Expos de Ouf à Nîmes, réalisant des décors de films, une fresque pour le service pédiatrie de l’hôpital de Sète…

Qu’est-ce qui vous a amené au street art ?

Depose : « Gamin, j’étais très assidu en dessin. Un cousin DJ m’a fait connaître le hip-hop. Par la suite, vers 1985-1986, une émission sur le hip-hop diffusée sur TF1 m’a énormément marqué. A l’âge de 11 ans, j’ai commencé à faire du skate dans la rue, à Sète. Il n’y avait pas de skateparks à l’époque ; tout se passait dans la rue. Il faut savoir que la culture hip-hop et rock’n roll est très présente dans les vidéos de skate. Je regardais toutes les vidéos que je pouvais. Le skate est aussi très affilié au graffiti. J’ai commencé à faire des tags sur les murs, à m’entraîner sur papier. »

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Et là vous avez fait une rencontre importante…

Depose : « J’avais été viré de mon établissement scolaire à Sète. Je suis donc parti pour Montpellier. Et là j’ai rencontré Eone, qui était avec un crew [un groupe, NDLR] que Dech a monté : TMDR VDP. Eone m’a montré la technique du graffiti, m’a expliqué les codes, m’a dirigé, montré comment il fallait faire. Nous avions un rapport de maître et apprenti. Parmi les codes de l’époque, qui sont encore valables, il y a le respect. Par exemple, on ne doit pas effacer le travail de quelqu’un à moins d’être de niveau supérieur. C’est de la compétition positive. Et parmi les codes vestimentaires, il y a le port de la casquette et des plaques de ceinture avec le nom du graffeur dessus. Eone ne m’a pas cloisonné dans un style ou un genre. Par exemple, nous ne faisions pas que du vandale. Dès le début, j’ai peint sur des murs mais aussi sur des toiles. Lui aussi peignait sur toiles. Il m’a permis de rencontrer des acteurs de la scène artistique montpelliéraine. Je suis devenu le parfait B-boy, c’est-à-dire le parfait représentant de la culture hip-hop, car j’ai longtemps cumulé les casquettes de DJ et peintre. »

Quels artistes urbains appréciez-vous et lesquels vous ont influencé ?

Depose : « Parmi les Montpelliérains j’apprécie Smole, Ose, Gum, et de l’ancienne école Dech et Kaor. Sur le plan national, Vision, Psychose, Nassyo et Bault. Et à l’étranger Can 2, Bates, Popay et Dulk. »

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Votre création a connu plusieurs phases…

Depose : « De 2007 à 2012, j’ai vécu à Paris. Mon style était alors proche de la bande dessinée noir et blanc, avec des lettres intégrées et un monde imaginaire et figuratif. Ma peinture a ensuite évolué vers un style plus coloré, un travail graphique où les bulles dégoulinent et les animaux marins cohabitent avec les plantes imaginaires et les symboliques universelles, comme la tête de mort ou le cœur, tout en gardant un des codes du graffiti (la bulle, la coulure, la casquette…). En 2016, je suis revenu à mes premiers amours : le tag, la lettre, le dessin et la culture hip-hop à travers des créatures hybrides. »

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Actuellement, vous présentez à la galerie Allezgo Store deux types de tableaux : des créatures hybrides et des bulles.

Depose : « Ce travail des bulles (Bubbles) reprend les codes du graffiti avec des lettrages, des coulures… Les hybrides sont souvent des animaux marins, composés de différents morceaux, troncs d’arbres, murs de briques – tagués évidemment –, et portant des casquettes, clins d’œil à la culture hip-hop, ou des bonnets de rappeur… Etant Sétois, je suis très marqué par mon enfance durant laquelle je faisais beaucoup de plongée en apnée. D’où ces animaux marins : baleines, tortues et autres. Il y a aussi des végétaux anthropomorphes : champignons, cactus avec un œil et des bras.

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J’éprouve un fort besoin de me ressourcer régulièrement dans la nature, ce qui explique ces sujets. Les couleurs sont flashy, psychédéliques. Mes peintures ont un côté naïf et enfantin car j’éprouve une certaine nostalgie pour mon enfance et mon adolescence. Et j’aime les choses simples, aller droit au but ; je veux que les gens s’évadent immédiatement en regardant mon travail sur mur ou sur toile. Que ce soit universel. Même un mur peut être humanisé par un œil, des bras, une casquette et des baskets. Rien n’est impossible. »

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Pourquoi représenter certains de ces animaux tranchés ?

Depose : « Pour neutraliser un peu le côté enfantin, amener un côté plus cru. Nous vivons dans un système très dur. Je ne souhaite pas montrer mon côté noir, mais cet aspect tranché indique qu’il existe. »

Vous avez voulu démocratiser le graffiti…

Depose : « Je n’ai pas fait du graffiti pour des graffeurs ; je me suis mélangé avec des gens différents pour leur faire connaître ma culture. Je tiens à préciser que je ne dis jamais que je suis artiste, mais peintre. C’est aux autres de juger si je suis digne d’être un artiste à leurs yeux ou pas. »

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Que pensez-vous de l’engouement actuel pour le street art ?

Depose : « Comme beaucoup d’autres, j’ai contribué à la démocratisation du street art, à faire qu’il se voie, et je me suis battu pour obtenir la reconnaissance de notre peinture. Il y a évidemment de bons côtés à cet engouement, mais il fausse la donne. C’est devenu un business. Il y a de l’opportunisme, des personnes qui surfent sur la vague. Et ce ne sont pas forcément les artistes ayant un vrai parcours depuis longtemps dans le street art qui en récoltent les fruits, car les gens manquent de connaissances en la matière. »

Désormais, comment vivez-vous votre passion pour le street art ?

Depose : « Aujourd’hui, outre mon travail en galeries et sur des murs qui me sont officiellement attribués, j’ai à cœur de poursuivre ma peinture sur des murs non autorisés. C’est l’une des démarches originelles du graffiti. »

Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com

Informations pratiques

Allezgo Store
5, rue André-Michel
34000 Montpellier

DEPOSE
Le flyer de l’exposition.
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