Évaluation de l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h : 349 vies épargnées sur 20 mois
Le 9 janvier 2018, le Premier ministre, Édouard Philippe, a réuni le Comité interministériel…
Le 9 janvier 2018, le Premier ministre, Édouard Philippe, a réuni le Comité interministériel de la sécurité routière et annoncé 18 mesures fortes dont la mise en place de la baisse de la vitesse autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central à compter du 1er juillet 2018 (mesure n°5). Cette décision a été prise sur la base des recommandations des experts du Conseil national de la sécurité routière (CNSR).
L'objectif de la mesure était de faire baisser le nombre de morts sur les routes concernées.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a été sollicité par la Délégation à la sécurité routière pour réaliser, avec l'appui de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), l'évaluation de la mesure, dont voici la synthèse.
Le Cerema a élaboré une méthode d'évaluation en concertation avec les experts indépendants du CNSR et soumise ensuite à l'avis d'experts indépendants de divers pays, pour étudier les résultats de la mise en place de la mesure sur la base de cinq axes : l'accidentalité, les vitesses pratiquées, l'acceptabilité sociale, les temps de parcours et le bilan socio-économique de la mesure.
L'évaluation, initialement prévue sur une période de deux ans, concerne finalement une période de 20 mois, du 1er juillet 2018 au 28 février 2020. Le contexte sanitaire et la période de confinement ont en effet eu un impact considérable sur la circulation routière, rendant cette période trop singulière pour pouvoir la comparer aux années précédentes. Le Cerema a donc décidé d'exclure du bilan les mois de mars à juin 2020.
Diminution significative du nombre de personnes tuées : 349 vies épargnées
Sur les 20 mois consécutifs à la mise en œuvre de la mesure, le nombre de vies épargnées s'élève à 349, par rapport à la moyenne des cinq années précédentes 2013-2017 prises en référence : chaque semestre est comparé à la moyenne de ce semestre des années 2013 à 2017, les mois de janvier et février 2020 sont comparés à la moyenne des mois de janvier et février des années 2013 à 2017. Cet indicateur est plus fiable et plus stable que la stricte comparaison avec l'année 2017, et conforme aux recommandations de la communauté scientifique.
Cette baisse sensible de la mortalité routière n'est observée que sur le réseau concerné par l'abaissement de la vitesse autorisée. Sur le reste du réseau, la mortalité routière a augmenté par rapport à la période de référence (+ 48 décès).
Concernant les accidents corporels, le Cerema observe que la mesure n'a pas eu d'impact sur leur nombre, qui est resté équivalent à la période de référence, mais a eu un effet sur leur gravité, le nombre de personnes tuées rapporté au nombre d'accidents sur le réseau considéré ayant baissé de 10%.
La disparition du différentiel de 10 km/h de vitesse maximale autorisée entre poids-lourds et véhicules légers a fait craindre l'augmentation des dépassements dangereux et des accidents avec poids-lourds : le Cerema a donc réalisé un focus sur ces deux situations.
L'étude du Cerema n'a pas fait ressortir de variation du nombre d'accidents causés par un dépassement dangereux avec le reste du réseau, mais a mis en lumière une baisse significative des accidents par collision arrière impliquant un poids-lourd.
Un effet mineur sur les temps de parcours : 1 seconde par kilomètre parcouru
Le Cerema, qui s'est principalement intéressé aux trajets domicile-travail, a observé via l'application Google Maps et l'utilisation de traces GPS historiques, l'évolution des temps de parcours avant et après l'entrée en vigueur de la mesure. L'allongement des temps de trajet est en moyenne de 1 seconde par kilomètre. Dans 19 % des cas, il a observé non pas une perte de temps, mais un gain.
Cette réalité est donc très éloignée de la perception subjective qu'en ont les automobilistes, qui déclarent estimer à 2 minutes la perte de temps sur un trajet de 50 kilomètres, alors qu'elle est de 50 secondes.
Réduction des vitesses pratiquées de 3,3 km/h
Le suivi des vitesses pratiquées en continu depuis mai 2018 sur un échantillon de routes à double sens de circulation et sans séparateur central fait état d'une baisse de 3,3 km/h des vitesses moyennes de l'ensemble des usagers. A l'instar de l'expérimentation conduite entre 2015 et 2017 sur les routes nationales, les vitesses moyennes pratiquées ont davantage baissé les premiers mois (4,5 km/h de moins) puis ont légèrement remonté pour ensuite se stabiliser sur la durée.
Un meilleur respect de la mesure pourrait permettre d'épargner davantage de vies sur les routes concernées. Ainsi, en décembre 2019, 58 % des conducteurs de véhicules légers circulaient encore au-dessus de 80 km/h, dont 23 % au-dessus de 90 km/h.
Le Cerema n'a pas constaté d'impact négatif de la mesure sur la fluidité du trafic, et notamment pas d'augmentation du nombre de « pelotons », c'est-à-dire de voitures agglutinées derrière un poids-lourd.
Une économie pour la société de 700 millions d'euros par an
Pour connaître l'impact économique de la mesure, le Cerema s'est livré à une comparaison des coûts induits par l'abaissement de la vitesse, et notamment l'allongement des temps de parcours, et des gains financiers, notamment produits par la diminution des accidents, mais aussi par la moindre consommation de carburant. La mesure permet ainsi à la société française d'économiser 700 millions d'euros sur une année.
Une progression continue de l'acceptabilité sociale de la mesure
Depuis le 1er juillet 2018, l'acceptabilité mesurée sur un échantillon de plus de 3 000 personnes représentatives de la population française est en nette progression : 30 % des Français y étaient favorables en avril 2018, ils sont aujourd'hui 48 % (en juin 2020).
L'évolution est également favorable pour les personnes habitant en zone rurale : aujourd'hui 40 % se disent favorables à la mesure.
L'évolution positive a été la plus marquée parmi les personnes « tout à fait opposées » en 2018 : elles étaient 40 % en avril 2018 et elles sont 20 % en juin 2020.
Enfin, la mesure fait l'objet d'une adhésion très différente entre les hommes et les femmes : seuls 44 % des hommes y sont favorables (56 % y sont opposés) alors que les femmes y sont majoritairement favorables 53 % (contre 47 % qui y sont opposées).