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Jean PISANI-FERRY, commissaire général de France Stratégie « Il faut lutter contre la « trumpisation » des débats »

Commissaire général de France Stratégie, Jean Pisani-Ferry a récemment animé à Lille une conférence intitulée « Quels leviers pour l’emploi ? ». L’occasion de faire le point sur l’agence, refondée en 2013. Cette dernière publie une série de notes sur les enjeux de la décennie qui va s’ouvrir au lendemain de l’élection présidentielle.

Comment définiriez-vous le rôle de France Stratégie ? Vos analyses et recommandations sont-elles assez entendues à votre goût ?

« Notre rôle, dans cette phase pré- électorale, c’est de fournir des éléments de cadrage et de poser des questions, mais pas de mettre en avant des recommandations. C’est aux politiques d’élaborer leurs solutions face à nos constats, pas à nous. Et ce n’est pas un exercice facile de livrer une analyse claire, de mettre en avant les différentes options, et de laisser le choix ouvert et libre. Si l’on veut être utile, il faut travailler sur les sujets de fond, tout en ayant une capacité de réaction, en sachant vivre dans le tempo des questions qui se posent. Si vous dites aux gens « réponse dans deux ans », ça ne sert à rien. Nous sommes attachés à être à la fois utiles et très autonomes sur la manière dont nous intervenons. Par exemple, cette initiative de publier une série de treize notes sur les enjeux de la décennie qui suivra la présidentielle, inédite à ma connaissance, répond totalement à nos missions d’organisme public de fournir les matériaux pour que le débat soit de meilleure qualité. »

Ces treize notes font l’objet de débats organisés partout en France. C’est une manière d’enrichir votre réflexion ?

« En effet, nos treize notes vont être publiées, sous la forme d’un livre, le 5 octobre. Dans l’intervalle, chacune aura donné lieu à un débat, à Lyon, Toulouse, Grenoble, Lille ou encore en région parisienne. C’est, pour nous, l’occasion de tester nos idées, de voir les réactions qu’elles suscitent. Nous sommes d’ailleurs ouverts aux contributions extérieures : nous en avons reçu plus de cent-quatre-vingts, en accord, en désaccord, ou qui apportent des compléments à nos propos. Nous allons faire une synthèse. Notre travail, c’est aussi de soumettre nos analyses au débat et de les enrichir d’autres contributions. »

D’où proviennent les contributions à vos publications ? Certaines notes génèrent-elles plus de polémiques que d’autres ?

« C’est assez divers : ces réflexions peuvent venir de think tanks, de spécialistes, de partenaires sociaux… Le niveau de désaccord et de mobilisation varie selon les sujets. Il y a une note qui a suscité beaucoup de critiques par exemple ; elle portait sur l’équilibre entre les jeunes et les seniors dans notre société. Est-ce que nos différentes politiques garantissent un bon équilibre entre les jeunes et les seniors ? N’est-on pas en train, sans s’en rendre compte, de privilégier à l’excès les seniors par rapport aux jeunes, à cause d’un système social qui protège bien contre les risques de l’âge et beaucoup moins bien contre les risques de l’entrée dans la vie active ? Beaucoup de gens étaient très fortement en désaccord avec cette idée. »

Où vos réflexions en sont-elles sur le sujet des leviers pour l’emploi ?

« Nous avons fourni deux notes sur ce thème : l’une sur les nouvelles formes de travail, l’autre sur l’emploi. Cette démarche illustre bien la manière dont nous abordons tous les domaines, avec notamment la comparaison à des pays similaires au nôtre. Nous nous sommes donc demandé si la situation que nous connaissons en France, avec un chômage plus élevé, était la contre- partie d’un emploi de meilleure qualité. Et le constat, c’est très clairement non. Si l’on mesure la qualité de l’emploi, grâce à des enquêtes auprès des salariés notamment, on s’aperçoit que notre arbitrage n’est pas satisfaisant. Notre modèle n’est pas un choix collectif positif, c’est simplement le reflet du fait que l’on agit moins bien que d’autres en termes de rythme et de charge de travail, de compatibilité entre le travail et la vie familiale, d’autonomie des salariés… Sur tous ces points, d’autres font au moins aussi bien que nous, avec des taux de chômage bien plus faibles. »

Devant nous s’ouvre donc un rattrapage à la fois quantitatif et qualitatif sur l’emploi ?

« Le rattrapage à faire est en effet très important par rapport à des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas. Aujourd’hui, ces pays connaissent un taux de chômage autour de 5 % et un taux d’emploi, en moyenne, de 73 %, quand nous en sommes à un petit 64 %. L’écart est considérable. En parallèle, nous consacrons énormément d’efforts aux politiques pour l’emploi. Si l’on compte l’ensemble des moyens budgétaires (indemnisation des chômeurs, formations, différentes politiques de l’emploi ciblées et divers allègements), on arrive à 108 milliards d’euros par an. C’est absolument énorme. Le sujet de premier ordre, c’est d’arriver à faire mieux avec les mêmes moyens. »

Quels seraient les axes à privilégier selon vous ?

« Un thème très fort, ce sont les compétences. En termes de compétitivité ou d’éducation, la France a fait un effort considérable ces dernières décennies. Mais en termes de compétences, il y a toujours une fraction de la population active qui a des difficultés. Les décrocheurs, qui sont sans diplôme, avec une formation insuffisante et inadaptée, représentent quand même 15 à 20 % d’une classe d’âge ! Et la surprise, c’est que même chez les actifs dans l’emploi, qui sont mieux formés, on constate souvent des lacunes sur la maîtrise des compétences de base comme écrire, compter… On n’est pas mauvais, mais on est dans la moyenne. Or, aujourd’hui, vu son niveau de coût salarial, la France aurait besoin d’être parmi les meilleurs. »

Dans ce contexte, des politiques locales vous paraissent-elles une bonne solution ?

« Les politiques de l’emploi ne peuvent être que des combinaisons ; il faut chercher la bonne entre une politique nationale et celles plus proches du terrain. C’est sûr qu’une politique nationale va jouer davantage sur de grands dispositifs, la fiscalité ou la formation initiale. Ensuite, elle doit s’articuler avec une politique beaucoup plus proche du terrain, des questions de formation et d’accompagnement. D’autant plus que, finalement, l’utilisation des moyens nationaux est très inégale selon les régions. »

In fine, les notes et analyses que vous produisez sont destinées aux candidats à la présidentielle ?

« Oui bien sûr, mais pas uniquement. Elles s’adressent aussi au débat citoyen, aux partenaires sociaux, à ceux qui s’intéressent à ces questions et souhaitent un débat de qualité. Elles constituent notre réponse au “ trumpisme ” qui menace toutes les démocraties, c’est-à-dire au débat qui se limite à l’invective et à l’insulte. Notre rôle, c’est de contribuer à ce qu’on se saisisse de vrais enjeux ; qu’on se nourrisse de faits ; que, sur cette base, les différentes solutions se construisent et se confrontent, pour permettre un choix informé. Nous avons basé nos notes sur la décennie 2017-2027, car il y a un certain nombre de sujets sur lesquels il faut prendre un horizon à dix ans pour aller au fond des choses. Le climat, la formation, la fiscalité sont des sujets pour plus d’un quinquennat. On essaie de prendre plus de recul pour interroger la nature même de notre système, les choix qui ont été faits… Alors, bien sûr, quand on se place dans cette perspective, il y a des moments où l’on est un peu triste de la manière dont s’engagent les débats. Mais il ne faut pas renoncer à essayer d’apporter des éléments qui permettent à ceux qui le veulent de se saisir des questions que nous posons. Il y a toujours plusieurs temps dans une campagne : le temps des petites phrases, le temps des invectives et le temps de la réflexion et du débat citoyen. Nous voulons nourrir ce dernier. »

Propos recueillis par Jeanne MAGNIEN
pour RésoHebdoEco
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