"Les Impatientes" de Djaïli Amadou Amal, un roman bouleversant
Lire "Les Impatientes", de Djaïli Amadou Amal, c’est se retrouver happé et bouleversé par le destin de trois Camerounaises. Ramla, Hindou, Safira sont trois femmes, trois épouses, qui voient leur jeunesse et leur innocence leur échapper dès lors qu’un mariage leur est imposé.
Par Gautier BLAZEWICZ.
« Tous les hommes aiment les femmes libres, pourvus qu’il en aient une à la maison qui ne le soit pas », Camille Laurens.
Ce roman explore, par le prisme de ces trois personnages, la condition de la femme au Cameroun. Pays dans lequel mariage forcé, polygamie et viol cohabitent et éradiquent toute forme de plaisir, parce qu’une femme respectable et convenable se doit d’être obéissante à son époux. Aucune faiblesse ne leur sera pardonnée : une femme qui laisse exprimer son désarroi est une femme faible, et une femme faible est la porte ouverte aux commérages, aux on-dit.
Ce roman est une fiction, mais comme le rappelle l’auteure, cette fiction est inspirée de faits réels et se fait l’écho d’une triste réalité. Celle des mariages forcés, qui donnent naissance, par la suite, à une polygamie décomplexée. Safira, première épouse du riche Alhadji Issa, va devoir vivre avec Ramla. D’épouse elle ne sera plus que co-épouse, et dès lors, tous les moyens seront bons pour assaillir de coups cette nouvelle femme venue se glisser contre son gré dans le paysage amoureux de son mari. Par respect de traditions désuètes, Ramla est le pantin de sa famille. Pour survivre dans un pays où le regard d’autrui importe plus que toute forme de dignité, elle se résigne et accepte de passer des bancs de l’école à la cuisine d’une maison. Entre ces deux femmes, il y aussi Hindou, qui, contrainte d’épouser son cousin, va vite se retrouver victime de la violence de son mari. Pensait-elle que ses pleurs, ses multiples ecchymoses et son visage tuméfiée alerteraient sa famille ? Non, car c’est une épouse. Et une épouse se doit de satisfaire son mari. Meurtrie par la violence d’un mari alcoolique, on la considère comme la seule et l’unique fautive, et si cette la douleur l’assaille alors Munyal (patience).
Construit comme un thriller, le roman est habité d’une tension permanente et grandissante qui hypnotise et saisit d’effroi. Les pages défilent et on assiste, impuissant, au récit de vie de ces trois femmes soumises, victimes d’aberrations. Récit qui nous questionne et nous interroge, nous, lecteurs occidentaux, sur la misogynie délibérée et les droits humains bafoués dans des pays qui, sous couvert de traditions, perpétuent la construction d’un modèle de femme totalement dépassé et traditionnaliste.
Comme le dit l’auteure, « ce n’est pas la religion le problème, mais c’est l’interprétation que l’on en fait » .Djaïli Amadou Amal a elle-même vécu les traumatismes endurés par ses héroïnes. Elle a choisi de se battre en se servant de la force des mots pour mettre en exergue le quotidien d’un nombre incalculable de femmes aujourd’hui dans son pays natal et dans le monde. Parce que naître femme ne devrait jamais être un handicap et qu’aucun être humain ne devrait subir un jour des violations multiples de ses droits, Les Impatientes est un puissant cri du cœur qui vous laisse meurtri par l’existence, à des kilomètres plus lointains, d’un quotidien révulsant pour de nombreuses femmes.
Face à ce qui fut sa propre résignation et celle de ses héroïnes, Djaïli Amadou Amal utilise les mots et travaille le verbe pour essayer d’éveiller les consciences et alerter. Les Impatientes est un livre fort, utile et nécessaire qui devrait parler à n’importe quel lecteur par l’universalité de son propos.
En prenant la plume et en nous contant le quotidien de ces trois femmes, c’est le spectre de voix qui sont tues, parce que dérangeantes, que Djaïli Amadou Amal ranime.