Photographie : Sandra Mehl, regard sensible sur l’humanité
La photographe documentaire Sandra Mehl travaille avec de grands titres comme "Le Monde", "Libération", "Courrier International", "La Vie" ou "Marie-Claire". Elle a dernièrement signé un remarquable portrait de Jean-Louis Trintignant pour "L’Obs". Elle réalise également des commandes pour des institutions. Elle a aussi obtenu plusieurs distinctions. Dont, tout récemment, le Prix Echange Fotoleggendo-Boutographies pour sa série photographique Ilona et Maddalena. Entretien avec une photographe pleine d’avenir…
Après avoir fait hypokhâgne et Sciences Po par goût pour l’histoire, la sociologie, l’économie et les sciences politiques, et avoir été pendant plus de dix années chargée de projets « politique de la ville » pour le Département de l’Hérault, Sandra Mehl a choisi de se mettre en disponibilité pour devenir photographe professionnelle. Une envie de photographie dictée par sa passion pour les couleurs et les tissus, née dans l’atelier de couturière de sa mère, où elle passait parfois ses mercredis, durant son enfance. Grand bien lui en a pris, puisqu’elle travaille désormais avec de grands titres, réalise des commandes pour des institutions et a aussi obtenu plusieurs distinctions.
HJE : Pourquoi avoir choisi de pratiquer la photographie documentaire, et non artistique ?
Sandra Mehl : « Je n’ai jamais été attirée par l’art conceptuel. Vous savez ce que disait Bourdieu : « Le goût est une affaire de classe ». Je pense que c’est le fait d’être née dans un milieu populaire, curieux de l’autre, sociable, axé sur la compréhension de l’autre, qui m’a orientée vers la photo documentaire ».
Vous vous focalisez plus précisément sur le lien entre le territoire et le style de vie. Quelles en sont les raisons ?
Sandra Mehl : « Tout simplement parce que je constate que nous sommes profondément façonnés par notre milieu, notre environnement, le lieu où nous vivons. Cela m’intéresse de contextualiser les choses, de les mettre en rapport, en perspective avec l’histoire, la géographie par exemple. »
Vous mettez un point d’honneur à respecter les personnes que vous photographiez…
Sandra Mehl : « Pour moi, le respect est une notion fondamentale. Quand on travaille avec des gens, on a une responsabilité, car on donne à voir leur vie… »
Racontez-nous votre première série photographique, Checkpoint Chronicle…
Sandra Mehl : « En 2009, à l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, j’ai souhaité faire un sujet en Israël-Cisjordanie autour de la question des murs-frontières. Je me suis rendue sur place pour voir le mur, rencontrer les habitants. J’ai pris la file des Palestiniens et j’ai pris conscience du rapport de domination qui s’exerce au checkpoint. C’est un lieu de passage, mais aussi de stagnation. Cette série a été publiée dans Le Monde Diplomatique et a été finaliste du prix Roger-Pic de la Scam en 2015. »
Que vous a appris ce travail ?
Sandra Mehl : « Il m’a appris à travailler dans l’urgence, à photographier vite, à repérer les caméras, à trouver des astuces pour faire des photos volées… »
Il y a ensuite eu la série PS : Je t’écris de la plage des Mouettes, qui a rencontré un beau succès…
Sandra Mehl : « Bien que j’aie grandi à Sète, je ne connaissais pas cette plage, située au bord de l’étang. Je l’ai découverte en famille durant l’été 2012, et j’ai éprouvé un véritable coup de foudre pour ce lieu et les personnes qui le fréquentent. D’une manière générale, c’est ainsi que je fonctionne, par coups de cœur, dans le choix de mes sujets. Bien que peu accueillante, entourée de roseaux et pleine d’algues, il y règne une harmonie entre les gens et le milieu, une certaine douceur de vivre. Au départ, les photos que j’y ai prises de 2012 à 2016 devaient uniquement servir à tester mon appareil argentique 6×6. Mais quand j’ai montré ce travail, il a beaucoup plu. Il a fait la couverture de La Vie, Courrier International l’a publié dans son numéro sur le Languedoc, il a fait l’objet d’un portfolio de 6 pages dans L’Obs, il a été repris par le site Mediapart, et un magazine chinois d’art de vivre l’a également diffusé. Pourtant, on est loin de la carte postale idéale dans cette série présentée à Manifesto. Je cherche à en faire un livre, du fait de sa dimension biographique, de l’émerveillement que j’ai ressenti pour ce lieu et les personnes qui le fréquentent, et de mon attachement à mes origines. C’est comme si j’avais écrit à un amour avec des images… »
Parlez-nous de la série Ilona et Magdalena, visible jusqu’au 28 mai au Pavillon Populaire, dans le cadre des Boutographies…
Sandra Mehl : « J’habite le quartier Figuerolles. J’ai rencontré ces deux fillettes à la Cité Gély, alors qu’elles promenaient leur chien. J’ai eu un coup de coeur pour ces enfants. Après avoir obtenu l’autorisation de leurs parents, qui m’ont accueillie à bras ouverts autour d’un repas plein de chaleur humaine, je les ai suivies dans leur vie quotidienne (les repas, les devoirs, les jeux, la plage) comme dans les grands moments (leur première communion, Noël, les anniversaires…) de juillet 2015 à octobre 2016, jusqu’à leur déménagement vers le Tarn pour cause de démolition imminente de leur immeuble. Dans cette famille, j’ai retrouvé la générosité spontanée des milieux populaires, un grand sens de l’accueil, un vrai intérêt pour l’autre. Dans mes photographies, j’ai voulu capter la joie, la fantaisie de cette famille, la tendresse qui y règne. J’ai conservé une cinquantaine d’images de ce travail, et j’en ai donné une grande partie à la famille. Cette série réalisée à l’argentique moyen format 6×7 a rencontré un grand succès. Elle a notamment été exposée à la Bibliothèque nationale François-Mitterrand de janvier à mars 2017 et m’a valu d’être sélectionnée pour exposer à Rome, dans le cadre du prix Echange Fotoleggendo – Boutographies. »
Quels sont vos projets ?
Sandra Mehl : « J’ai deux projets en cours. Une première série dont le titre provisoire est On the frontline (Sur la ligne de front), que j’ai débutée en novembre 2016 dans le sud de la Louisiane, sur le littoral, à 100 kilomètres au sud de la Nouvelle-Orléans. Le bayou est un univers à la fois poétique, avec ses grands cyprès en forme de saules pleureurs, et menaçant, avec ses alligators et son ambiance moite, suspecte. J’apprécie l’ambivalence de ce lieu inhospitalier, situé sur une zone faible économiquement, qui vit du pétrole et de la pêche, deux activités a priori antinomiques, que certains cumulent parfois. J’ai reçu une bourse de la Région Occitanie et le prix Mentor pour ce projet. Mon autre projet concerne la mer Morte, lieu atypique et improbable où règne une lumière magique, et la ville de Jéricho, lieu de vacances entouré de colonies »
Propos recueillis par Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
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